Arash Mohtashami-Maali : l’Iran, l’Ontario et la langue française

Arash Mohtashami-Maali. Crédit image: Gilbert Gosselin

[LA RENCONTRE D’ONFR+] 

OTTAWA – Arash Mohtashami-Maali a 17 ans lorsqu’il commence à apprendre le français, en France, tout juste après s’être enfui de la guerre en Iran. L’Étranger de Camus fut son premier contact à la littérature francophone, l’apprenant par cœur comme seule façon de réussir un cours. L’actuel directeur général du Mouvement d’implication francophone d’Orléans (MIFO) ne pouvait pas prédire que son arrivée en Ontario quelques années plus tard, en 1997, marquerait le début d’une longue carrière dans la culture franco-ontarienne et pancanadienne.

« Diplômé d’un baccalauréat (français) en mathématiques et en sciences physiques à Paris, vous avez entamé des études de médecine à Poitiers que vous avez abandonné pour suivre des études en lettres françaises à Toronto. Qu’est-ce qui a entamé ce changement radical dans votre parcours?

J’ai jamais eu peur de changer. Il y a des gens qui restent dans un choix et qui avancent dans ce choix-là. Moi, j’aime prendre des risques. C’est comme en retournant en Ontario, au MIFO : je tente de reprendre contact dans la communauté après un parcours avec différents niveaux d’expertise en lien avec le gouvernement.

Dans ma tête, j’allais faire des études en médecine, puis en troisième année. Je me suis rendu compte que ma réalité d’immigrant faisait qu’il ne pouvait pas y avoir de continuité. Soit je reprenais toutes mes études au Canada, soit je continuais en France et ça n’allait rien donner parce que je n’avais pas le droit de travailler là. 

J’ai continué quelques années puis, quand j’ai perdu toute ma motivation, je suis venu ici. Ça m’a donné la possibilité de me concentrer sur la littérature que j’aimais beaucoup et que j’aime toujours. C’est ma grande passion.

Quel a été votre rapport personnel à la littérature à travers le temps?

Ça a commencé tout jeune. Ma mère et mon oncle sont des écrivains connus en Iran.  Dès notre jeunesse, ma mère nous disait de lire des livres, certains de poésie, qui n’étaient pas toujours faits pour les enfants! Je me souviens qu’il y en avait qui me traumatisaient. Mais les enfants vieillissent vite en Iran.

Cette poésie-là m’a accompagné tout au long de ma vie, en Iran, en France, ici. Ça a été mon refuge. Dès que j’ai appris à écrire, j’écrivais des histoires.

Il y a maintenant quelques mois que vous occupez un poste de directeur général au MIFO, qui se voue notamment à l’offre de programmes et de services en français. À quoi ressemble une journée dans ce poste?

En ce moment, j’apprends énormément. J’écoute beaucoup les gens puis je pose des questions. C’est toujours de cette façon que j’ai appris mes différents métiers. Les gens qui y travaillaient avant mon arrivée sont très généreux, ils prennent beaucoup de temps pour m’expliquer ce qu’ils font. Le MIFO est grand! Des services aux jeunes enfants jusqu’aux services pour les aînés, on fait de la diffusion artistique, des activités de loisirs… La garderie, par exemple, c’est tout un métier en soi, une industrie de services que je ne connaissais pas mais on a des équipes incroyables qui sont spécialisées.

Arash Mohtashami-Maali. Crédit image : Gilbert Gosselin

Que comptez-vous apporter au MIFO? Avez-vous des projets concrets en perspective?

J’espère (Rires)! Une des valeurs que j’ai toujours développée puis qui est importante pour moi, c’est que ce n’est pas qu’une personne qui porte un organisme, c’est l’ensemble de leadership que l’organisme développe qui est important. Partout où je travaille, j’essaye d’apporter cette vision-là. Comment va-t-on prendre les expertises de tous les employés et les mettre dans une vision commune? Je ne sais pas quelle est ma vision pour le MIFO et je préfère ne pas l’avoir. Je pense que les gens qui arrivent avec une vision pour un organisme devraient d’abord en avoir une compréhension profonde.

Pour l’instant, je pense qu’on se concentre beaucoup sur le renouvellement puis aussi l’adaptation avec la nouvelle situation au MIFO qui est la transition après la COVID-19. On est en train de se remettre sur les pattes.

Vous avez par le passé été directeur pour les Éditions L’Interligne. Que retenez-vous de cette expérience?

C’était une expérience passionnante pour moi. J’ai beaucoup aimé ça. Le directeur qui était là avant moi avait lancé toute une programmation de publications littéraires, mais il fallait faire le développement sur le marché franco-ontarien et québécois. Ce que j’ai adoré, c’était la revue ontarienne Liaison. J’avais développé toute une vision avec le comité de rédaction, en consultant l’ensemble de la communauté artistique à travers le Canada. Tout d’un coup, la revue a changé d’approche et j’ai beaucoup aimé ça.

Ça m’a mis en contact avec l’ensemble de la communauté artistique de Canada francophone. Ça a été la grande passion de ma vie!

Qu’avez-vous pensé de l’arrêt de production de la revue Liaison et comment percevez-vous le statut de la couverture culturelle francophone hors Québec depuis?

Quand je travaillais au Conseil des arts, je me suis rendu compte, par un programme qui soutenait les revues canadiennes anglophones et francophones, que c’est un secteur qui est en difficulté. C’est très dépendant de la publicité. Dans l’environnement actuel, ce ne sont plus les journaux qui assurent la publicité, ça se passe beaucoup en ligne et sur les médias sociaux.

Presque toutes les revues à travers le monde ont de la difficulté. J’ai rencontré d’autres subventionnaires dans le secteur du livre et de la littérature en général à travers le monde puisque j’allais une fois par année à La Foire du livre de Francfort. Cela m’a fait comprendre qu’il s’agissait d’une réalité globale. La couverture se passe beaucoup par l’entremise de l’autopromotion, donc les médias sociaux et par l’entremise de la promotion de joueurs importants. Les influenceurs, comme on appelle ça!

Il y en a au Canada français mais pas tant que ça parce que pour devenir un influenceur, on a besoin d’un public derrière nous. Ce public est plus difficile à trouver en français, comme je l’ai vu avec Liaison. Aller chercher les gens et les individus était très difficile parce que la population est éparpillée et beaucoup de l’information reçue hors Québec est en anglais.

Arash Mohtashami-Maali. Source : MIFO

Avez-vous été affecté par la mort de l’autrice Marguerite Andersen? Quelle relation entreteniez-vous avec elle?

Marguerite était une mentore pour moi. Elle m’a beaucoup soutenu quand j’étais à Toronto. Elle était à l’époque la présidente de la Société des écrivains de Toronto et moi j’étais un écrivain en herbe à la fin de la vingtaine. Nous avons vraiment connecté ensemble dès notre première rencontre. On se rencontrait une fois par mois, elle, moi et Paul Savoie. On échangeait nos manuscrits, on lisait nos textes, on se critiquait. De fil en aiguille, on s’est mis à gérer la revue Virage.

Quand j’étais à L’Interligne, j’ai publié son manuscrit Le figuier sur le toit, qui parle de son enfance. J’en avais beaucoup parlé avec elle avant même qu’elle ne l’écrive parce qu’on parlait beaucoup de nos enfances ensemble. Elle avait vécu la Deuxième Guerre mondiale très jeune et moi j’avais connu la guerre en Iran, donc on parlait souvent de nos expériences.

Quel moment vous a le plus marqué avec elle?

Après avoir publié le livre, elle a gagné le Prix Trillium. C’était la première fois! Six mois plus tard, j’ai quitté L’Interligne pour aller au Conseil des arts. 

On est restés très proches jusqu’à ce que j’entre au Conseil. Ça a été très difficile pour moi parce que l’ensemble de la communauté que je connaissais et les relations d’amitié que j’avais développées étaient des gens qui faisaient des demandes de subvention chez nous. Il y avait un conflit d’intérêt, donc j’ai dû couper des ponts avec beaucoup de gens de la communauté artistique.

Votre parcours démontre votre compréhension des réalités culturelles des communautés francophones à travers le Canada. Si vous aviez à porter un regard critique sur celles-ci, quel serait-il?

Un regard critique? Ce serait très difficile de critiquer des gens que j’adore et qui travaillent super dur. Je l’ai constaté tout au long de ma carrière.

Ce que je critique c’est toute la machine gouvernementale qui est autour d’eux et qui ne comprend souvent pas leur réalité, leurs besoins réels et particuliers, surtout dans les communautés francophones minoritaires. Elle ne comprend pas non plus comment il est difficile de s’adapter pour ces communautés-là! Trouver un public, ne pas le perdre, maintenir la main-d’œuvre…

Arash Mohtashami-Maali. Crédit image : Gilbert Gosselin

Mais les choses ont évolué, n’est-ce pas?

Oui, il y a eu beaucoup d’évolution dans la communauté franco-ontarienne, que je connais très bien, ainsi que dans d’autres communautés hors du Québec. On est passé de période de revendication au départ dans les années 70, avec les personnes fondatrices comme André Paiement, qui sont allées chercher beaucoup nos communautés.

Je me souviens qu’il y a 15-10 ans, on s’inquiétait de qui allait être la relève et comment elle allait être. Aujourd’hui je le constate plus que jamais. Nos communautés ont une résilience incroyable. Une volonté de continuer. On trouve des jeunes qui reprennent des flammes et qui continuent dans des conditions qui ne sont pas faciles. Il y a quand même cette résilience, cette force, cette volonté de dire : « Moi, je veux continuer à être francophone et avoir des activités en français. »

Avez-vous porté un intérêt aux élections municipales et aux propositions des candidats en ce qui concerne l’offre culturelle et artistique? 

C’est toujours un moment clé parce que le municipal a un rapport direct avec le MIFO. On a nos activités de service offertes aux communautés d’Orléans et les alentours et c’est beaucoup en complément avec ce qui est offert par la ville. Donc le service de garderie, de loisir, pour les personnes âgées…

On ne travaille pas pour la municipalité : on est apolitique. En même temps, on a regardé ça de très près et avec beaucoup d’inquiétude. C’est important pour nous d’avoir des politiciens qui sont sensibles à la réalité francophone et aux besoins de services en français. »


LES DATES-CLÉS D’ARASH MOHTASHAMI-MAALI :

1997 : Publication de son premier livre, La tour du silence

2001 : finaliste pour le prix Trillium

2003 : Nommé directeur général de la Maison d’édition L’Interligne

2015 : Prend la direction du programme Rayonner au Canada, du Conseil des arts du Canada

2022 : Devient directeur général du Mouvement d’implication francophone d’Orléans (MIFO)

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.