Arnaud Baudry, défiler pour le droit à la différence

Arnaud Baudry estime que l'acceptation passe par l'éducation. Gracieuseté: Arnaud Baudry

[LA RENCONTRE D’ONFR]

TORONTO – Près d’un million de participants sont attendus dans les rues de la Ville reine, ce dimanche, pour le défilé de la Fierté. Arnaud Baudry en fera partie. Vice-président et responsable des bénévoles de FrancoQueer, ce Franco-Canadien milite pour l’inclusivité des francophones lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres, queers et bispirituels (LGBTQ2S).

« Quelle est la raison d’être du défilé de la Fierté?

C’est l’occasion d’avoir de la visibilité, de montrer qu’on est une communauté unie dans sa diversité et fière de qui on est. C’est l’opportunité de se rassembler de façon festive, mais aussi de faire passer des messages car, ne l’oublions pas, l’origine de la Pride est d’abord politique. Si on défile, c’est pour maintenir l’attention sur le fait qu’il y a toujours du travail à faire pour améliorer les conditions et l’intégration des personnes LGBTQ.

À quelles barrières se heurtent cette communauté dans la société?

Le racisme, l’exclusion, le harcèlement, la violence… L’accès aux services de santé et l’acceptation dans ces services restent un défi important. Quand la carte de santé n’indique pas le genre que l’on présente, l’accueil ne se fait pas très bien à cause d’une mauvaise compréhension dans les faits.

Pour ce qui est de l’accès à l’emploi, les personnes ne vont pas mettre en avant devant un employeur potentiel leur orientation sexuelle, car elles savent que cela peut jouer en leur défaveur, encore aujourd’hui. Mais c’est plus difficile pour les personnes transgenres. Les personnes qui ressentent un genre qui diffère de celui que la société attend subissent plus de discrimination.

Les francophones ont-ils des défis supplémentaires à surmonter?

On se trouve à l’intersection de trois identités minoritaires : la langue, l’orientation sexuelle et l’ethnicité. Tous ces paramètres s’additionnent pour compliquer le chemin d’intégration.

Quand on est nouvel arrivant et surtout demandeur d’asile, c’est très très compliqué, car on manque de ressources. Trouver les services en français n’est pas simple. Les coupures Ford dans le financement d’Aide Juridique Ontario posent par ailleurs de gros problèmes d’accès à la justice pour les personnes à faibles ressources comme les demandeurs d’asile, en attente de soutien juridique pour se préparer à leur audience. Leurs chances de succès diminuent. C’est vraiment grave.

Avez-vous, vous-même, été confronté à de telles barrières au Canada?

Venant de France, j’ai dû comme beaucoup m’adapter à la culture nord-américaine et à la langue. J’ai néanmoins eu beaucoup de chance. Mon adaptation s’est faite rapidement. J’ai obtenu la nationalité canadienne. C’est une fierté. Ce qui ne veut pas dire que j’oublie mes racines françaises.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager pour la cause LGBTQ?

J’ai toujours eu le souci de l’équité. Ce qui m’a motivé, c’est une conviction personnelle et des valeurs que je voulais concrétiser dans la vie réelle. Beaucoup de choses m’indignent. Je voulais mettre en action mes valeurs et contribuer à construire une communauté saine, juste et équitable.

Le Canada lutte-t-il suffisamment contre ces discriminations?

Sur le plan international, les droits des personnes LGBTQ ne sont pas défendus dans une grande partie du monde. Le Canada joue déjà un rôle important et il peut faire certainement plus encore, en prenant garde que sa politique étrangère en la matière ne soit pas perçue comme une ingérence dans la politique des autres pays. C’est toute la problématique.

Au niveau national, les problèmes que rencontrent les personnes LGBTQ dans ces pays se retrouvent en partie au Canada lorsqu’elles immigrent. L’homophobie dans les diasporas est persistante. Bien sûr, ici, on ne lapide pas les gens, mais le harcèlement et la violence existent bel et bien.

Les francophones LGBTQ sont présents chaque année dans la parade de la fierté. Gracieuseté : Arnaud Baudry

Deux de nos membres, qui ont fait l’objet d’un acharnement médiatique dans leur pays d’origine, ont par exemple reçu des menaces. Le Canada a donc un rôle vital à jouer localement en matière d’éducation pour augmenter l’acceptation, regarder l’intégration des gens avec une approche holistique qui dépasse l’orientation sexuelle, en abordant l’identité de genre, la diversité raciale et ethnique.

Comment FrancoQueer accompagne les personnes LGBTQ?

On a un programme d’aide à l’établissement et à l’intégration : le Carrefour des immigrants. On leur apporte du soutien et de l’assistance pour accéder aux services auxquels ils ont droit, telles que des ressources juridiques ou bien encore des soins de santé. Trouver un médecin est un gros défi, car très peu acceptent de nouveaux patients. On les aiguille vers les services existants et on leur apporte du soutien psycho-émotionnel par le biais de groupes de discussion.

L’arsenal législatif protège-t-il efficacement les droits de la communauté?

Le Code des droits de la personne de l’Ontario protège les personnes quelles que soient leur orientation sexuelle, leur race ou leur religion, mais il y a toujours un décalage entre la loi et la pratique dans la société. Les victimes de discrimination doivent être en mesure de prouver le harcèlement ou la discrimination, ce qui est compliqué. La loi aujourd’hui ne garantit pas non plus un accès équitable au marché de l’emploi ou aux services en santé.

Quels sont vos projets pour faire avancer la cause LGBTQ? 

À FrancoQueer, on envisage d’accompagner les organismes partenaires afin qu’ils adoptent des pratiques inclusives. C’est un des éléments qui les intéressent. Ce n’est encore qu’un projet. On y tient beaucoup. Nous ne sommes pas dans la capacité d’offrir ces services mais on veut s’assurer que les personnes LGBTQ orientées vers eux seront accueillies de la bonne façon. On voudrait aussi aller dans les écoles pour sensibiliser les enfants. L’éducation est fondamentale.

Les réfugiés francophones sont particulièrement vulnérables…

Oui, l’intégration des réfugiés et des demandeurs d’asile est préoccupante. Ces personnes doivent surmonter un traumatisme vécu dans leur pays d’origine, en même temps qu’elles font face à un décalage culturel en arrivant ici.

Elles sont directement confrontées au racisme pour la première fois de leur vie et réalisent que l’homophobie fait aussi partie de la société canadienne. On les aide à gérer ces obstacles émotionnels et trouver en elles la force de réaliser leurs rêves, leurs projets, car elles ont des capacités énormes et une motivation qui peut les conduire jusqu’à la création d’entreprise, par exemple.

La non-participation de la police au défilé a fait longtemps débat…

La participation de la police dans Pride est mal comprise. Ce n’est pas l’inclusivité de la police dans la communauté qui est en cause, mais celle des personnes LGBTQ dans la société. Il y a eu des progrès énormes dans la police : on peut vivre en tant que gai tout en étant policier ou policière. Cependant, la question posée en 2013 grâce à Black Lives Matter [mouvement afro-américain contre les violences envers les Noirs] questionne les pratiques policières envers les personnes transsexuelles et de couleur.

Un certain nombre de recommandations ont été adressées à la police pour transformer ses pratiques, mais les problèmes persistent. Des exemples récents montrent que la police n’a pas assez protégé des personnes transsexuelles et que des enquêtes n’ont pas été suivies de manière appropriée. Il y eu des manquements. L’affaire du tueur en série Bruce McArthur a été très mal vécue dans la communauté. Les victimes étaient des personnes de couleur. Des éléments ont été mis de côté.

La police n’a pas sa place dans Pride pour le moment. C’est un point de vue personnel. J’espère qu’elle pourra revenir dans le défilé, mais c’est à elle de montrer qu’elle peut protéger l’ensemble de la population, incluant les personnes LGBTQ et de couleur. On pourra dire All Lives Matter quand ce sera le cas.

Le drapeau arc-en-ciel, symbole du mouvement LGBTQ. Crédit photo : Rudy Chabannes

Des tensions internes au mouvement sont apparues, n’est-ce pas?

Les divisions apparaissent par manque de compréhension mutuelle. La communauté est diversifiée comme l’est la société. L’expression de divisions et de tensions se retrouve aussi dans la société dans son ensemble. C’est énormément de travail pour avancer dans la même direction, aller au-delà des tensions.

Quel regard portez-vous sur l’évolution des mentalités depuis ces 50 dernières années et la décriminalisation de l’homosexualité en 1969?

Des progrès ont été réalisés mais on n’est pas encore arrivé à un point où l’ensemble de la communauté est en sécurité.

Si on regarde l’histoire, certaines sociétés étaient bien plus avancées dans l’acceptation des genres que nos sociétés contemporaines. En Afrique ou au Canada des Première Nations, avant la colonisation, les sociétés étaient compréhensives et acceptaient les personnes que l’on appelle maintenant bispirituelles. Elles acceptaient la diversité de la nature et voyaient en une personne située entre les deux genres une richesse qui lui conférait un pouvoir pacificateur capable de dialoguer avec différentes personnes.

Les lois importées des occidentaux par la colonisation ont détruit ces conceptions. On ne fait donc que rattraper le retard qu’on a nous-mêmes creusé. Il était temps. »


LES DATES-CLÉS D’ARNAUD BAUDRY :

1982 : Naissance à Cholet (France)

2011 : Arrivée au Canada

2012 : Installation à Toronto

2015 : S’engage dans FrancoQueer

2016 : Rejoint le site d’information Xtra

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.