Artistes à domicile : Véronique Sylvain, libérer les mots dans l’isolement

L'auteure Véronique Sylvain. Crédit image: Mathieu Girard

ONFR+ met les artistes à l’honneur, et leur donne la parole sur nos réseaux sociaux pendant la durée de cette crise. Cette semaine, la poète Véronique Sylvain, originaire de Kapuskasing, nous raconte, avec sa plume, sa manière de vivre le confinement, et ses coups de coeur littéraires du moment.

Qui suis-je?

« Originaire de Kapuskasing, dans le Nord de l’Ontario, j’habite Ottawa depuis une douzaine d’années. J’occupe le poste de responsable des communications et de la promotion aux Éditions David, une maison d’édition franco-ontarienne basée à Ottawa, depuis 2014. Mon premier recueil de poésie, Premier quart, est paru en octobre 2019 aux Éditions Prise de parole, à Sudbury. »

Premier Quart de Véronique Sylvain, Éditions Prise de parole (2019), 105 pages

Dans Premier quart, la poète revisite le Nord, lieu de sa naissance, à travers le voyage et les souvenirs. Au long de son parcours, elle tentera de comprendre les drames et réalités à l’œuvre dans le rude climat nordique. Elle sera ainsi ramenée à ses propres combats, à la solitude, à la tristesse, à l’angoisse, et à l’hiver qui invite à l’introspection. La nature et l’écriture lui permettront d’inscrire sa quête dans un vaste héritage familial et littéraire.

Comment je vis ce confinement? 

« Cette période exceptionnelle demande à tous et à toutes de réorganiser leurs vies. Je peux, heureusement, accomplir plusieurs tâches liées à mon travail, à partir de chez moi. Le soir de semaine, comme la fin de semaine, après le travail, je reprends tranquillement des habitudes que j’avais un peu abandonnées, par exemple, réorganiser des projets artistiques, mettre de l’ordre dans ma bibliothèque, faire de la méditation, appeler mes proches régulièrement.

En ce temps de crise, l’écriture, qui fait partie de mon quotidien depuis longtemps, me permet de mettre en mots mes angoisses, mes craintes, mais elle me permet surtout de documenter mes expériences, mes observations ainsi que celles des autres. Les textes que j’écris dans mon iPhone traitent beaucoup de sujets d’actualité, de mon quotidien que je dois réapprivoiser et de la vie qu’il m’arrive de tenir pour acquis. 

Ces heures que je passais, jusqu’à tout récemment, dans une salle d’entraînement, un restaurant, un bar, un café, un studio de yoga, seule ou en compagnie de mes proches, je les consacre à la lecture, à l’écriture, à la musique, à la pleine conscience, dans ce monde de plus en plus chaotique. Je pense régulièrement aux personnes plus vulnérables, ici comme ailleurs, et espère que ce cauchemar sera bientôt derrière nous. »

Le livre franco-ontarien ou franco-canadien que je recommande :

« Ma découverte de la poésie franco-ontarienne remonte il y a près de quinze ans, dans une classe de français à l’école secondaire. Le premier poème du recueil Un pépin de pomme sur un poêle à bois (Prise de parole, 1995) de Patrice Desbiens que nous a lu l’enseignante a eu l’effet d’un coup de foudre sur moi. 

« William Carlos / Williams / viens chercher / ta brouette rouge / On est / tannés / de s’enfarger / dedans / câlisse » (p. 69).

Quoique cet extrait ne soit pas tout à fait représentatif du livre, c’est le style (par exemple, les sonorités, le rythme, l’humour) de Desbiens qui a premièrement suscité ma curiosité. La première édition de ce recueil, publiée en 1995, est un triptyque qui comprend les textes des recueils Grosse guitare rouge et Le pays de personne. Un livre d’une très grande beauté, dans lequel s’entremêlent des souvenirs de son enfance à Timmins, de son Ontario natal, de l’exil, de l’amour, de l’identité, mais aussi de la vie et de la mort, celle de la mère, à qui le poète rend un magnifique hommage, dans des textes remplis de tendresse.

Desbiens m’a ouvert la porte à la poésie franco-ontarienne, que je continue aujourd’’hui de prendre plaisir à lire, à étudier et à écrire!  »

Pour découvir le l’oeuvre de Patrice Desbiens : prisedeparole.ca/auteurs/?id=1025

Un pépin de pomme sur un poêle à bois, de Patrice Desbiens (1995), Éditions Prise de parole, 62 pages

Un pépin de pomme sur une poêle à bois est un long portrait touchant et souvent douloureux de la dignité bafouée, de la fidélité aveugle, de l’absurdité d’une vie. Le narrateur y danse un étrange ballet entre la vie et la mort, l’absence et la présence, le passé et le présent; les pas se répètent, la musique repasse et l’on se rend compte, petit à petit que sa mère vit en effet, parce qu’elle vit en son fils.

Le roman francophone à ne pas manquer cette saison :

« Le plus récent roman de Monia Mazigh, Farida (David, 2020), est, d’après moi, le titre franco-canadien à découvrir cette saison. L’auteure d’Ottawa, d’origine tunisienne, dépeint cette lente affirmation des femmes, à travers l’histoire de Farida et celles de femmes d’une même famille, dans une Tunisie qui, jusqu’à tout récemment, était très influencée par le patriarcat et la religion musulmane.

Le roman nous fait aussi voyager à travers différentes époques, en Tunisie, à partir des années 1940, jusqu’en 1995, à Ottawa, où Leila, la petite fille de Farida, est étudiante à l’Université d’Ottawa. Ce roman rend hommage à une génération entière de femmes et nous force à revoir les vieux clichés sur l’ignorance, l’oppression ou la soumission des femmes arabo-musulmanes. »

Pour découvrir l’oeuvre de Monia Mazigh : http://editionsdavid.com/products-page/farida/

Farida de Monia Mazigh, Éditions David (2020), 406 pages

Victime du patriarcat qui régissait la société tunisienne au siècle dernier, Farida va toutefois résister au rôle qu’on lui assigne, en devenant un exemple de résistance dans cette culture arabo-musulmane qui nie le pouvoir des femmes. Forcée par son père de se marier à un cousin dépravé, elle va petit à petit conquérir son indépendance après avoir mis au monde un garçon, Taoufiq, puis élevé sa petite-fille, Leila, qu’elle veut forte et déterminée.

Le classique francophone que je conseille de redécouvrir :

« Le « classique » franco-ontarien à redécouvrir serait, selon moi, Toronto, je t’aime de Didier Leclair paru il y a déjà vingt ans aux Éditions Vermillon. Il s’agit d’un roman dans lequel l’auteur nous plonge, avec un brin d’humour, dans le quotidien d’immigrants africains récemment arrivés au Canada.

À l’aide des yeux de Raymond, on (re)découvre Toronto dans toute sa diversité, avec ses gens, ses rues, ses quartiers, ses commerces, ses activités. Un roman, précurseur de la transformation de la société franco-ontarienne, qui nous permet de découvrir la diversité culturelle sous toutes ses formes. »

Pour découvrir l’oeuvre de Didier Leclair : https://aaof.ca/

Toronto, je t’aime, de Didier Leclair, Éditions Vermillon (2000), 232 pages

Un été, un jeune Africain débarque à Toronto avec, pour seules boussoles, une vieille carte postale de la rue Yonge la nuit et l’adresse d’un ami d’enfance. Il n’a rien, mais veut tout ce que Toronto peut lui offrir. La ville cependant ne se donne pas si facilement. À la fois aguichante et sidérante, elle nargue ce nouvel immigrant encore visité par son passé. Heureusement qu’il y a Bob, Joseph et Koffi, des Noirs comme lui. Or, sont-ils vraiment ses frères?

Un article réalisé en collaboration avec Katia Café-Fébrissy