Artistes autochtones, de puissants messagers de la réconciliation

La Franco-Algonquine Makhena Rankin Guerin. Gracieuseté

Dans un Ontario qui (re)découvre les pages sombres de son histoire, les artistes jouent un rôle de passeurs de culture contre l’oubli. ONFR+ a rencontré trois d’entre eux. Francophones et francophiles aux racines autochtones, ils reconnectent à travers leur art à leur identité enfouie et opèrent, à leur manière, un pont entre le passé, le présent et le futur d’une province engagée dans une difficile quête de la réconciliation.

« Je ressens ce besoin d’amener guérison à mon peuple », confie Makhena Rankin Guerin. Cette jeune Franco-Algonquine d’Orléans pratique la danse de cerceau, une chorégraphie exécutée dans la cadence de percussions traditionnelles qui se veut un art médicinal.

Makhena attribue sa passion pour la médecine à son identité deux-esprits. « Dans les communautés des Premières Nations les deux-esprits, qui ont un côté femme et un côté homme, sont des personnes avec des rôles de médiateur. J’utilise la danse de cerceau pour amener une émotion chez les spectateurs qui va agir comme une médecine pour la tête, le corps et l’esprit. »

Makhena Rankin Guerin, la médecine par la danse

Par le biais de cet art ancestral qui a failli disparaître dans les années 1950, Makhena Rankin Guerin a le sentiment de renouer avec ses racines autochtones.

« J’ai été impactée par la colonisation et l’assimilation de mon peuple », dit-elle. « Ma grand-mère est passée par un pensionnat autochtone et a grandi avec une certaine honte de sa culture qui a affecté la façon dont elle a élevé ma mère. Même si ma mère a fait de son mieux pour revitaliser cette culture, j’ai toujours senti que quelque chose me manquait car, en tant qu’autochtone urbaine, j’ai grandi hors d’une réserve et sans aîné autour de moi. La danse m’a permis de rencontrer des gens incroyables qui m’ont aidée à développer mon identité. »

Aujourd’hui, elle transmet son art à son frère et éveille les non-autochtones à sa culture en suscitant la curiosité et en abattant les barrières de ceux qui en ont une « compréhension négative ».

Makhena Rankin Guerin est danseuse de cerceau. Source : Facebook Makhena Rankin Guerin

« Je montre la beauté et la complexité de notre culture. Je me concentre sur le positif, là où le négatif est si facile à répandre. C’est une des façons de faire un avec la terre mais, pour aboutir à une réconciliation, ça va prendre beaucoup d’effort des deux côtés », estime-t-elle.

Les découvertes de sépultures autochtones en Colombie-Britannique et Saskatchewan l’ont profondément blessée. « Ça a rouvert de vieilles plaies. Ça m’a brisée et fait resurgir à l’intérieur de moi les traumatismes intergénérationnels. Des membres de ma famille ont vu des enfants se faire battre à mort dans ces endroits. C’est dommage que ça prenne une preuve comme ça pour qu’on commence à nous écouter. »

Michel Dumont, faire émerger le beau du brisé

Dans ce contexte lourd, Michel Dumont le dit sans détour : « L’art est un médicament, une thérapie contre les traumatismes endurés par les peuples des Premières Nations. »

Pour « guérir le passé », l’artiste visuel casse des objets afin de les reconstituer d’une autre façon. « Je fais quelque chose de beau à partir de quelque chose de cassé. C’est le fil conducteur de mon art », explique-t-il.

L’une de ses œuvres est la photo de classe de sa mère en pensionnat. Il l’a brisée avant d’en recoller les morceaux. Il a dû se battre en justice contre sa propre famille pour obtenir cette photo des années 1950. « Des cousins ont essayé de cacher le passé autochtone de ma famille. J’ai ressenti alors l’ampleur du racisme hérité du système scolaire. Dans mon art, j’essaye de réparer ces liens brisés. »

Michel Dumont et la photo de classe du pensionnat de sa mère. Source : Facebook Michel Dumont

Les mises à jour macabres de ces dernières semaines l’ont dévasté. « C’est une peur qui m’a rendu malade. J’ai le sentiment qu’il y en aura de plus en plus à travers le pays », confie-t-il. « Les pensionnats ont été une dévastation car c’était un système censé nourrir et forger les enfants mais il s’est produit l’inverse. Plus jeune, quand je demandais à ma mère pourquoi les enfants ne souriaient pas sur la photo, elle me répondait que c’était la mode. Je ressentais que quelque chose n’allait pas. Aujourd’hui, je comprends pourquoi ces enfants semblaient si terrorisés. »

Une autre de ses œuvres célèbre les femmes ojibwées qui ne pouvaient pas transmettre leur culture. « Avec mon art, j’honore ma culture pour tous ceux qui n’ont pas pu le faire avant moi. Avant, des gens passaient sans voir cette œuvre mais, à cause de Kamloops, ils comprennent maintenant le message que je transmets. »

L’artiste de Thunder Bay constate ainsi une meilleure compréhension de son art, autour de lui. « J’en suis reconnaissant », dit-il même si, aujourd’hui encore, « montrer la difficulté de la réconciliation avec le passé est un défi de tous les jours ».

Jean Verdon, mettre en lumière les métis de l’Est

Réconciliation est un mot pénible à prononcer pour Jean Verdon. Depuis une vingtaine d’années, cet artiste sillonne sans relâche les pow-wow. Métis aux origines algonquines, ce résident de Casselman sculpte le bois de pin blanc pour donner naissance à des objets d’art arborant les signes distinctifs de la nation métisse.

Passionné des arts des Premières Nations, il ne voyait rien dans les arts existants qui célébrait les métis de l’Est. Il a donc créé ses propres objets spirituels pour transmettre cette histoire, encore aujourd’hui remise en doute par les gouvernements.

« Avec mes créations, j’apprends au monde l’histoire des différentes tribus et des métis. Le gouvernement ne reconnait pas les métis dans l’Est du Canada. Les métis de la Rivière rouge (Manitoba) disent qu’on n’existe pas et s’accaparent tous les fonds du gouvernement. Mais ce n’est pas vrai : ils sont en train de changer l’histoire. »

Le sculpteur Jean Verdon. Gracieuseté

M. Verdon, dont le grand-père a vécu dans un pensionnat et dont l’identité autochtone a été étouffée dans sa famille, explique que son art est un moyen de reconnecter à son histoire, mais aussi une réponse au déni, un cri de vérité. « Les métis sont partout au Canada. On en compte 80 000 au Manitoba mais aussi près de 400 000 dans l’Est du pays. C’est une histoire que peu de gens connaissent et c’est une bataille qui continue. Il y a beaucoup de racisme. On nous appelle encore des mixed-blood, des half-breed. »

Avec patience et obstination, il a développé son propre style d’art. Pour lui, donner forme au bois et une façon de renouer avec ses racines et de transmettre un héritage menacé par le rouleau compresseur de l’histoire.