Assiatou Diallo, du chaos à la réussite
[LA RENCONTRE D’ONFR]
TORONTO – Lorsqu’elle a quitté la Guinée, Assiatou Diallo était loin d’imaginer qu’elle deviendrait chef d’entreprise. La Torontoise revient sur son parcours, entre violence, immigration et réussite. Elle évoque aussi son nouveau défi : venir en aide aux immigrantes en tant que présidente du Mouvement ontarien des femmes immigrantes francophones (MOFIF). Un poste pour lequel elle vient de succéder à Fayza Abadalloui.
« Dans quelles conditions avez-vous immigré au Canada?
J’ai fui la violence. J’ai immigré au Canada il y a 13 ans, alors que j’étais enceinte. Je suis restée quatre ans à Montréal avant de déménager à Toronto où je suis arrivée sans connaître personne, sans toit, sans argent et sans un mot d’anglais. Je me suis retrouvée dans un centre pour sans-abri durant deux ans. J’ai ensuite eu la chance de travailler au Centre francophone de Toronto pendant plus de cinq. Puis j’ai créé ma propre entreprise de nettoyage, TAAB Cleaning Inc., en 2015, dans l’est de la ville.
Pourquoi partagez-vous haut et fort l’enfer que vous avez traversé?
J’ai vécu beaucoup de violence. Je me disais toujours que la soumission était quelque chose de culturel, mais non. C’est le respect de l’autre et de soi qui devrait être culturel. Alors, j’ai fait une thérapie pour que ça sorte. Partager mon expérience à d’autres femmes pour qu’elles sortent à leur tour du silence m’est apparu comme un devoir et une guérison. Je ne veux pas que les jeunes générations vivent ça, surtout ici au Canada.
Pourquoi avoir tenté l’aventure entrepreneuriale?
Devenir entrepreneur ici, au Canada, était un rêve. Je n’ai pas réussi à développer mon activité en Guinée pour des raisons de santé et, en arrivant ici, j’étais pleine de doute. Je pensais que mon parcours était le pire qui puisse arriver à une femme, que j’étais seule.
Mais je me suis rendue compte que d’autres avaient vécu la même chose dans le refuge que nous partagions. Je leur disais toujours : « Ne vous inquiétez pas. Un jour, je vais créer mon entreprise et je vais vous embaucher. » C’est devenu comme une promesse. J’ai cherché et trouvé des financements. Une de mes premières employées, originaire du Mexique, venait de ce refuge.
Quelle est la réalité de ces hébergements d’urgence?
Il y a beaucoup de femmes immigrantes qui ont toutes sortes de difficultés, administratives ou conjugales, mais aussi des citoyennes canadiennes qui fuient une relation abusive ou se retrouvent dans la rue après un divorce. On était 27 femmes. Ce sont des endroits très importants car il y a tout un système d’accompagnement, que ce soit pour trouver un emploi, garder les enfants ou aider pour les papiers de résidence ou de citoyenneté. C’est la première étape vers un nouveau départ.
Où avez-vous puisé la force de rebondir?
Mon fils a été mon moteur. Je me sentais seule. J’étais perdue. Je ne dormais pas. Mais mon fils est tout pour moi. Il fallait que je lui donne le meilleur. Ça n’a pas été facile. J’ai vécu quatre ans avec une dépression à Montréal. Quand on vit ça, le danger est le repli sur soi. Personne ne nous comprend. C’est une étape que beaucoup d’immigrantes vivent. Finalement, j’ai décidé de changer de province pour changer de vie. Je suis retournée à l’école. Je ne voulais pas abandonner.
Présider le MOFIF représente-t-il la suite logique de ce parcours?
Oui, c’est l’opportunité de partager ma vision au conseil d’administration et d’inspirer d’autres femmes. Il est temps de passer à l’action, de dire aux femmes que le rêve est possible. Il y a des défis, mais on peut voir le bout du tunnel.
Quelles sont les premières tâches qui vous attendent?
On veut partir à la rencontre des immigrantes francophones de toutes les associations en Ontario, les écouter, voir comment on peut répondre à leur besoin. Bien souvent dans notre communauté, on s’attend à ce que les gens demandent quelque chose, mais nous parlons de femmes qui ont subi un stress et se referment parfois sur elles. C’est à nous d’aller les rejoindre, sans attendre. On travaille aussi sur le prochain plan stratégique et la formation des employées.
De quoi ont le plus besoin les femmes immigrantes?
Elles ont besoin qu’on les écoute et qu’on les aide. Quand vous demandez un logement et qu’on vous donne une liste de liens Google pour vous débrouiller, ce n’est pas normal. Il faut les accompagner de A à Z. Ce n’est pas que du matériel, mais aussi du soutien psychologique et de l’éducation financière : savoir comment s’organiser avec ses finances et ne dépendre de personne.
Quand on vous donne une carte de crédit de 300 dollars et que vous venez d’un pays où ça n’existe pas, on va l’utiliser comme si c’était de l’argent qu’on possède. Puis, on se retrouve dans un bureau de recouvrement et, du jour au lendemain, le rêve de devenir propriétaire s’écroule. C’est stressant. L’autonomisation financière des femmes me tient beaucoup à cœur.
Quel message voudriez-vous adresser aux immigrantes qui subissent la violence, le doute, l’isolement?
Il faut qu’elles sachent qu’elles valent quelque chose et ne devraient laisser personne leur dire le contraire. Quand on vit dans une relation abusive, on est prisonnière du matériel. C’est difficile de sortir de là. On se met des barrières soi-même et on trouve toutes sortes d’excuses. Mais il n’est jamais trop tard pour s’en sortir.
On est dans un pays où il est permis de croire en soi. Je n’avais pas confiance en moi et puis on m’a dit que ce n’est pas parce que je n’étais pas intelligente, mais parce que je n’avais pas eu l’aide que j’aurais dû avoir pour m’en sortir. Si y’a un problème, c’est qu’on a besoin d’aide. Accepter d’être aider est une démarche importante. »
LES DATES-CLÉS D’ASSIATOU DIALLO :
1974 : Naissance à Pita (Guinée)
2006 : Arrivée au Canada
2007 : Naissance de son fils
2015 : Création de son entreprise
2019 : Élection à la présidence du MOFIF
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur important issu des milieux francophones ou politiques de l’Ontario et du Canada.