Vérité avant réconciliation : « Il faut améliorer le système »

Ce 30 septembre à Ottawa, de nombreuses personnes ont déposé des chaussures autochtones pour enfants lors d'une cérémonie soulignant la Journée nationale de la vérité et

OTTAWA – Ce 30 septembre, Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada, est à la fois une célébration des richesses autochtones et un jour de deuil, l’occasion de s’interroger sur l’état de ce grand projet de réconciliation qui suscite une certaine incertitude dans sa mise en place.

C’est seulement depuis 2021 que le 30 septembre est considéré comme la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation suite à l’identification de sépultures d’enfants découverts sur les sites d’anciens pensionnats. À Ottawa et Toronto, ce 30 septembre, étaient organisées plusieurs cérémonies en hommage aux disparus et survivants.

Pour Émilie Bourgeault-Tassé, Franco-Ontarienne, experte en affaires autochtones à l’Université Laurentienne, « il faut penser vérité avant réconciliation, même si tout le monde veut sauter les étapes et arriver à la réconciliation ».

« L’histoire des peuples autochtones est toujours mal connue », explique-t-elle. « Il n’y pas que l’histoire des pensionnats et les politiques qui ont séparé les enfants des familles. Il y a aussi les politiques qui nous ont séparés de nos terres et des fractures entre les liens communautaires et culturels. »

Accès à l’éducation

Pour cette experte, l’état du système d’aide à l’enfance continue de séparer les enfants de leurs familles. « C’est via un système légal puisque aujourd’hui pour aller à l’école, dépendamment d’où, certains enfants doivent quitter leurs réserves, leurs villes. »

Mme Bourgeault-Tassé rappelle, à ce sujet, l’histoire de Shannen Koostachin, originaire d’Attawapiskat, qui militait dès l’âge de 10 ans pour avoir une école. La jeune fille et près de 400 enfants ont perdu leur école qui était contaminée et dans un état déplorable. Suite à sa fermeture, la jeune Shannen a été forcée de déménager à 600 km de sa communauté pour se rendre à New Liskeard, en Ontario et loin de sa famille. La jeune fille est décédée à 14 ans sur le chemin de l’école.

« Il y a encore de grosses lacunes dans l’accès à l’éducation. On reçoit moins de fonds en éducation et en santé », affirme-t-elle.

Autochtone : Police Anishinabek de la Première Nation Nipissing.
La Sgt. Chantal Larocque, Franco-Ontarienne et Autochtone. Crédit image : Media/Recruitment. Anishinabek Police Service

Il faut « changer la perception des enfants pour changer le futur » – Chantal Larocque

Pour la sergente Larocque, du service de police Anishinabek de la Première Nation Nipissing, « dans le système d’éducation, il a eu des efforts, oui, mais je pense que l’enseignement ne doit pas juste se restreindre à un cours autochtone ou un cours de langue autochtone. On peut incorporer nos sujets dans n’importe quel cours, comme en éducation sportive ou autre ».

La policière en est certaine, il faut « changer la perception des enfants pour changer le futur ».

C’est exactement ce que soutient le député pour Kiiwetinoong, Sol Mamakwa, « il y a beaucoup à faire en éducation, il y a de nombreux enfants issus des Premières Nations qui ont seulement accès à l’école élémentaire, mais pas au secondaire », explique-t-il.

 « Ce n’est pas normal de quitter sa communauté quand on a 14 ans pour continuer son enseignement. Cela démontre qu’il faut investir dans des écoles secondaires afin de ne pas avoir à se séparer de la famille, de la culture et de la langue. »

Il ajoute également que les peuples autochtones ont un apprentissage à partager et qu’il serait utile de le reconnaître. Pourtant, « ce n’est pas le cas dans le système normé canadien », déplore-t-il.

Ce 30 septembre à Ottawa, la gouverneure générale Mary Simon déclarait en français, « c’est avec curiosité et générosité que nous pouvons apprendre les uns des autres ».

La gouverneure générale Mary Simon était présente ce 30 septembre sur les plaines LeBreton à Ottawa. Crédit image : Lila Mouch

Le système des réserves

Émilie Bourgeault-Tassé considère qu’il y a encore de nombreuses avancées dans ce projet de réconciliation qui méritent une attention particulière. Notamment le système des réserves. « D’un point de vue historique, les communautés autochtones en Ontario fonctionnent avec les saisons et les territoires. »

« Dépendamment des saisons, les communautés bougeaient et donc étaient mobiles », raconte-t-elle. « Avec le système de réserve, les traités ont enfermé les autochtones dans un territoire nommé. Le système de réserve a brisé le lien avec l’écologie, mais aussi à nos traditions. »

Pour elle, si les peuples autochtones pouvaient voyager et s’installer au gré des saisons, ils vivraient de la terre, dans le respect de leurs racines ancestrales. « Mais on sait que les gouvernements devraient nous chasser pour faire des extractions ici et là, c’est pourquoi on ne pas déplacer nos réserves, le gouvernement veut développer l’extraction minière, la foresterie et l’hydro-électricité qui pollue nos communautés. »

« Sans oublier le manque criant d’infrastructures, telles que les hôpitaux, les cliniques et les écoles. »

Des avancées

Pour la sergente Chantal Larocque, même s’il y a beaucoup de défis, « depuis la première découverte des sépultures d’enfants, on observe des changements qu’on ne pensait pas possibles ».

« Par exemple, pratiquer en public notre culture – et je prendrais l’exemple de mon métier – en tant que policière, nous pouvons maintenant porter un vêtement traditionnel incorporé dans notre habit de policier », se ravit-elle.

« Dans un système paramilitaire parfois difficile de changer, c’est une très bonne nouvelle. »

Pourtant, elle indique qu’il y a encore beaucoup de racisme, notamment au sein des forces de police non autochtones. « On a l’impression qu’ils se pensent être au-dessus de nous. »

Pour la sergente Chantal Larocque, il faut rebâtir le lien dans les communautés, bâtir la confiance. « Le défi en tant qu’agent de police, c’est de ne pas oublier que les policiers ont participé à l’enlèvement des enfants pour les déplacer dans les pensionnats. »

« Les belles choses qu’on voit dans les universités, c’est qu’il y a plus de langues disponibles », ajoute Émilie Bourgeault-Tassé, « l’apprentissage sur les herbes médicinales aussi, alors que c’était illégal dans le passé ».

Autochtone : Université Laurentienne
Émilie Bourgeault-Tassé, experte en Affaires autochtones à l’Université Laurentienne. Source : Université Laurentienne

Dans ce sens, l’experte nous raconte aussi l’histoire de Cindy Blackstock, Première Nation Gitxan et activiste qui a mis en place le Principe de Jordan.

Jordan, un enfant des Premières Nations, est né avec de graves problèmes de santé. Il n’y avait pas de matériel nécessaire pour prendre soin de lui à la maison, donc sa famille a décidé de l’envoyer dans un hôpital pédiatrique hors de leur réserve. Le temps que les gouvernements s’accordent sur un conflit de compétences, soit sur quel ministère (fédéral ou provincial) devait payer pour ses soins, dont les soins à domicile, l’enfant est décédé.

« Cindy Blackstock a créé le Principe de Jordan afin qu’un enfant puisse recevoir d’abord les soins avant de régler la facture. C’est le principe de l’enfant d’abord. Cela fait partie de nos belles avancées. »

Encore tant à faire

Pour arriver à cette réconciliation, « c’est la vérité avant tout ». C’est aussi, travailler pour mettre en place « des infrastructures, des routes, des soins de santé, mettre l’emphase sur le savoir autochtone et comment vivre avec la terre », déclare Mme Bourgeault-Tassé, « là encore, c’est comprendre que l’histoire des mines, de la foresterie, l’hydro-électricité, les extractions, tout ça, a un impact sur les communautés autochtones ».

Pour Sol Mamakwa, le meilleur moyen d’y arriver, c’est de se tourner vers l’éducation et de remonter aux origines du problème. « Il faut transformer le système de santé, travailler avec les municipalités et mettre en place des infrastructures. »

Pour le député, « l’impact du système oppressif colonial est encore trop présent ». Il juge que l’Ontario peut mieux faire. « Les mots ne sont plus suffisants, la réconciliation ne doit pas être un acte de performance, mais être indissociable de la vérité. »

Il faut « améliorer le système », conclut Émilie Bourgeault-Tassé, « qu’on travaille ensemble et que l’on combatte les préjugés ».

Le premier ministre s’est également déplacé aux plaines LeBreton à Ottawa pour assister aux cérémonies du jour. Crédit image : Lila Mouch