Autochtones : pas de réconciliation sans un toit

Les Autochtones représentent 16 % des sans-abri à Toronto. Crédit image: Rudy Chabannes
La ville souhaite endiguer le problème du sans-abrisme. Archives ONFR

32 % de la population carcérale fédérale (alors qu’ils représentent moins de 5 % de la population), un taux de suicide trois fois plus important que le reste de la population nationale, dix ans de moins d’espérance de vie en Ontario en comparaison avec les allochtones … la situation des Autochtones au Canada en général et dans la province en particulier est loin d’être enviable. À l’origine de la plupart de ces maux, un seul : le logement. ONFR+ dresse l’état des lieux.

Selon les statistiques gouvernementales, l’Ontario est la province où l’on compte la plus importante population autochtone du Canada. C’est aussi la communauté qui souffre le plus de la crise du logement dans la province, et ce malgré le fait que le dossier du logement soit le cheval de bataille des partis politiques, toutes couleurs confondues, spécialement à l’approche des élections provinciales.

En effet, d’après un rapport publié en février 2021 par le Bureau fédéral du directeur parlementaire du budget, 20 % des ménages autochtones ayant des besoins de logement vivent en Ontario.

Autre statistique préoccupante découlant directement de cette crise du logement : les Autochtones représentent 16 % des sans-abri dans une ville comme Toronto, alors qu’ils représentent seulement 1 % à 2,5 % de la population totale de cette cité selon les données les plus fraîches de la Ville.

Une inégalité communautaire donc qui prend des allures d’injustice nationale lorsque l’on sait qu’à l’échelle du pays, « leur taux d’itinérance est 11 fois supérieur à la moyenne nationale », selon le rapport du Groupe d’étude ontarien sur le logement abordable publié le 8 février dernier.

Une situation accentuée par un manque de logement pour cette communauté comme l’explique Justin Marchand, chef de la direction d’Ontario Aboriginal Housing Services et membre du Groupe d’étude sur le logement abordable de l’Ontario : « Il existe en Ontario un besoin criant pour des logements abordables dans les régions rurales et urbaines. Les besoins en logement parmi les peuples autochtones sont 52 % plus élevés que la population générale. »

La réalité du terrain

Deux constats reviennent souvent dans les témoignages recueillis : la cherté des prix et une accessibilité limitée aux programmes dédiés.

« Les logements par ici coûtent très cher. Les prix ont flambé ces derniers temps alors que rien ne le justifie parce qu’il n’y a pas grand-chose ici : pas de gros magasins ni de centres d’affaires ni que sais-je d’autre. Il faut compter 1 200 à 1 400 dollars par mois pour une chambre à coucher. C’est comme si on était dans une grande ville », déplore Sue Lambert de la nation Ojibway à Sturgeon Falls et qui vit avec sa mère de 87 ans parce que son salaire ne lui permet pas de payer un tel loyer.

Et d’ajouter : « Il y a un nouveau projet dédié aux Autochtones qui vient d’être bâti à Sturgeon Falls et où ils se basent sur les salaires pour fixer le montant du loyer. J’y ai soumis ma demande l’été passé et je n’ai reçu aucune réponse jusqu’à aujourd’hui. »

Sue Lambert, femme autochtone vivant chez sa mère à Sturgeon Falls. Gracieuseté

L’autre raison invoquée est afférente à l’accessibilité à ces logements subventionnés aux personnes vivant seules. Il semblerait que pour bénéficier d’un logement social, il vaudrait mieux être parent, car la priorité est donnée aux familles et/ou aux personnes avec enfant(s). De ce pas, et au regard de la rareté du produit, certains, les plus jeunes, sont forcément laissés sur le palier.  

« Ma fille est partie étudier dans une ville et, quand la COVID-19 a frappé, elle est revenue parmi la communauté puisque tous ses cours étaient en mode virtuel. Ça fait depuis le printemps 2021 qu’elle cherche un logement dans la réserve, mais elle ne trouve rien. Elle a fini par s’installer chez nous. Donc son problème de logement est devenu aussi le mien », raconte Chantal Vézina depuis Garden Village en Ontario.

Cette femme s’identifiant de la Première Nation de Nipissing explique que « les gestionnaires de ces appartements dédiés aux membres de la communauté privilégient les familles avec des enfants aux jeunes célibataires ou aux jeunes couples. Pour avoir accès à ces logements, il faudrait que ma fille ait un enfant et ce n’est pas dans ses projets pour l’instant. »

Chantal Vézina, autochtone habitant à Garden Village en Ontario. Gracieuseté

Des propos que M. Marchand confirme : « Les listes d’attentes sont très longues pour le logement social réservé aux Autochtones. C’est souvent les plus jeunes vivant seuls qui sont délaissés par le système et, malheureusement, n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’itinérance ».

Par ailleurs, cet expert pointe du doigt un autre élément explicatif, moins quantifiable celui-là de par son caractère tendancieux, mais qui contribue à aggraver la situation. Il s’agit de ce qu’il appelle « le racisme dans le marché immobilier ».

Tour du propriétaire

Pourtant, des projets immobiliers destinés aux Autochtones en Ontario existent bel et bien, que ce soit du côté du fédéral ou du côté provincial. Parmi les initiatives phares du premier, on trouve le programme des logements abordables lancé sur le plan national par les Libéraux en octobre 2020.

Dotée d’une enveloppe globale de 2,5 milliards de dollars, L’Initiative pour la création rapide de logements (ICRL) vise à bâtir, à terme, plus de 10 000 logements abordables pour les personnes les plus vulnérables au Canada, et ce en usant de méthodes de construction rapides. 2 870 seront consacrés à l’Ontario. Aussi, 40 % de ces nouvelles unités seront dédiées aux Autochtones. 

Les responsables de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) en charge du dossier assurent que dans le cadre de la phase 1 de l’ICRL visant à créer quelque 4 800 unités abordables, près de 3 800 sont actuellement en construction ou achevées. La Société affirme également que « d’ici 2030, tout le monde au Canada pourra se payer un logement qui répond à ses besoins. » 

Justin Marchand, chef de la direction d’Ontario Aboriginal Housing Services et membre du Groupe d’étude sur le logement abordable de l’Ontario. Gracieuseté

De son côté, le gouvernement provincial a annoncé, le 13 janvier dernier, un plan d’investissement annuel de 10 millions de dollars afin de mettre en place des solutions en matière de logement à long terme et des services de soutien adaptés aux Autochtones qui sont sans-abri ou susceptibles de le devenir.

Insuffisant, martèle l’Association du logement sans but lucratif de l’Ontario (ALSBLO) qui regroupe 730 fournisseurs de logements et de sociétés d’habitation locales sans but lucratif à travers la province.

« À lui seul, l’Ontario doit construire, au cours des dix prochaines années, au moins 22 000 logements subventionnés qui appartiendront à des Autochtones et seront exploités par ces derniers afin de répondre aux besoins croissants en matière de logement des populations autochtones vivant hors réserve », peut-on lire sur un rapport de l’Association intitulé Stratégie sur le logement autochtone en milieux urbains, ruraux et dans le Nord pour le Canada « pour les Autochtones, par les Autochtones ».

L’Association estime que l’investissement de 7,3 milliards de dollars que nécessite ce programme permettrait de réaliser 14,3 milliards de dollars d’économie, notamment dans les services sociaux, les soins de santé ou encore les services d’hébergement.

Le cercle vicieux

Plus qu’un constat, ce problème d’accessibilité aux logements sociaux réservé aux Autochtones est largement évoqué dans le rapport du Groupe d’étude ontarien sur le logement abordable. Le document stipule que « le coût élevé des logements exclut encore davantage les minorités et les Ontariennes et Ontariens à faible revenu des marchés de l’emploi. Les taux d’accession à la propriété des Noirs et des Autochtones représentent moins de la moitié de la moyenne provinciale. »

Quelles que soient les raisons sous-jacentes à ce manque indéniable d’habitations pour les Autochtones, cela relève du bon sens de penser qu’une grande partie des maux que connaissent ces peuples en Ontario comme au Canada puisent leur combustible dans ce déficit d’habitats.

En effet, comment espérer trouver un emploi, vaquer à l’éducation de ses enfants ou simplement mener une vie décente si on ne dort pas bien, on ne prend pas de douche et/ou on ne mange pas bien? À l’inverse, comment trouver un logement si on n’a pas un emploi stable et suffisamment rémunéré pour ce faire? Un véritable cercle vicieux.

Le document de la Stratégie de renouvellement du secteur du logement communautaire édité par le gouvernement ontarien à fin 2019 pointe du doigt cette relation de cause à effet.

« Les personnes qui ont le logement dont elles ont besoin ont une meilleure santé, une meilleure éducation et un meilleur emploi. Lorsque le logement est abordable et situé près des transports en commun, des écoles, des lieux de travail et des services, les gens sont en mesure de gérer leur vie et d’élever leur famille. »

Il est donc crucial pour la province et le pays de résoudre ce problème source qu’est le logement. La réconciliation nationale passe probablement par-là, par un toit.

Du 15 au 29 mars, retrouvez Au pied du mur, la série web d’ONFR+ qui explore la crise du logement en Ontario. Prochain rendez-vous : Au pied du mur, comment dénouer la crise? Émission en direct sur TFO.