Bernard Leduc : 20 mois de pandémie plus tard à l’Hôpital Montfort
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
OTTAWA – Le président de l’Hôpital Montfort Bernard Leduc s’est vu remettre le prix Paulette-Gagnon la semaine dernière alors que son établissement vient de passer à travers un peu moins de deux ans marqués par le coronavirus et la vaccination à vitesse grand V. Le seul hôpital entièrement francophone de la province n’a pas chômé en ouvrant notamment des cliniques de dépistage et de vaccination durant la crise. Entrevue avec son président qui fait un plaidoyer pour l’accès à des soins de santé en français.
« Vous avez remporté la semaine passée le prix Paulette-Gagnon, remis par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO). Comment avez-vous reçu cet honneur?
J’étais très fier de le recevoir et c’est un grand honneur. Je rejoins des gens pour qui j’ai énormément de respect et d’estime. C’est sûr qu’on est fier quand on est reconnu par la communauté.
Le gouvernement a annoncé plus tôt cette semaine qu’il ne rendra pas la vaccination obligatoire pour le personnel hospitalier. De votre côté, la vaccination est obligatoire depuis près d’un mois. Comment les choses se sont-elles déroulées de ce côté-là?
Dans la région d’Ottawa, on était tous solidaires à obliger la vaccination et s’ils (employés) n’étaient pas vaccinés, les gens seraient en congé sans solde et perdraient leur emploi. L’Hôpital Montfort ne déroge pas à cette politique. On a vu que le fait de mettre en place cette politique-là – en plus de donner du support aux employés et des formations-, à fait en sorte que notre taux de vaccination a augmenté. On a vu les gens beaucoup se conformer et on a vu une trentaine d’individus – à temps plein, temps partiel et à temps occasionnel – qui ont perdu leur emploi en date de cette semaine.
La province a aussi annoncé cette semaine que toute personne qui le souhaite pourra recevoir une troisième dose de vaccin contre la COVID-19. Est-ce que Montfort entend participer à l’effort de vaccination?
Oui, et c’est une bonne nouvelle. On a été un peu en retard pour recevoir des vaccins au tout début, car c’était juste certains centres qui pouvaient recevoir des doses. Nos employés devaient aller à l’extérieur. Maintenant que c’est disponible, on va pouvoir organiser des cliniques de vaccination. On est en train de travailler justement sur la mise en place de cliniques de vaccination pour les employés.
Quelle est la situation avec la COVID-19 en ce moment à Montfort?
On a qu’un patient atteint de COVID-19 aux soins intensifs en ce moment, alors ça va quand même bien. On a beaucoup payé durant la troisième vague. À ce moment-là, on a reçu beaucoup de patients à l’hôpital. On en a même reçu de Toronto et de l’Ouest canadien. Le nombre de patients COVID-19 à l’hôpital est bien moindre que lors de la 3e vague. C’est l’une des raisons pourquoi nous sommes stricts sur la vaccination, car on a eu des éclosions à l’hôpital.
Comment décririez-vous la façon dont l’Hôpital Montfort est passé à travers la crise depuis le début de la pandémie?
L’hôpital s’est rallié devant la menace et on a fait notre part au niveau local et régional. Si on regarde notre implication, on a ouvert deux centres d’évaluation, on a été aux deux centres de soins de longue durée et on a mis sur pied des cliniques de vaccination. On a aussi été là pour la région de Toronto et pour les autres provinces quand ils étaient débordés. Le revers de la médaille est qu’on a effectivement aujourd’hui du personnel fatigué qui a besoin qu’on relâche un peu de pression.
On a beaucoup parlé de fatigue à travers le Canada pour le personnel hospitalier, comment jugez-vous la situation dans votre hôpital après près de 20 mois de pandémie?
C’est vraiment l’enjeu du jour. Un bon système de santé a beau avoir toute la technologie, ça prend du monde pour la faire marcher. C’est une industrie de service : on a besoin de gens pour mettre le système en marche (…). Ça ne veut pas dire qu’on ne sera pas obligé de réduire des services dans le futur et ce n’est pas dû au virus, mais bien au manque de personnel. Juste dans la région d’Ottawa, il y a un besoin de 700 infirmières. C’est un enjeu. Le système de santé aura de la difficulté à récupérer de cette pandémie, car le personnel n’aura pas tout ce qu’il faut pour pouvoir récupérer et reprendre ce qu’on a rattrapé pendant la bataille contre la COVID-19.
Quels moyens peuvent être mis en place pour éviter l’épuisement généralisé du personnel?
Il faut trouver d’autres moyens, car on ne peut pas dire qu’on va engager plus de monde. Il n’y en a pas plus à embaucher. Là, il faut modeler l’activité en fonction des personnes qu’on a. Il faut donner des soins de façon différente par rapport à l’avant-COVID-19, car il n’y aura pas ce personnel-là demain, la semaine prochaine. Aujourd’hui, si on décide de former suffisamment d’infirmières pour combler le besoin, ça va prendre quatre ans avant que ces personnes-là soit en activité et en pratique. Ça va être l’enjeu malheureux qu’on va devoir régler dans les prochaines années et c’est encore un plus gros défi pour les gens qui essaient d’offrir des services en français dans un milieu minoritaire.
Vous dites que se battre pour améliorer la qualité des soins en français vient avec un défi supplémentaire. Comment vit-on avec le fait de toujours avoir à en demander toujours plus en raison du statut linguistique?
On ressent l’appui. Montfort serait fermé sans l’appui et le soutien de la population. C’est une des choses que j’ai comprise et que j’essaie de porter haut et fort. Avec mon implication, celle de l’AFO et tout ça dans la francophonie ontarienne, le prix reconnaît les efforts qui sont attribuables à ce que toute l’équipe et l’hôpital a fait. À Montfort, on est prêt à en faire plus pour l’accès aux soins de santé en français surtout avec ce qu’on a connu avec la COVID-19 sur le côté médecine virtuelle (…). Je vois le rôle de Montfort de toujours vouloir augmenter l’offre de service en français et peut-être même un chien de garde face aux choses qui pourraient diminuer l’accès à des services en français.
Vous le dites vous-même, Montfort est l’un des chiens de garde francophones de la province. Aimez ce rôle en tant que président de l’hôpital?
Oui, je suis fier de dire que Montfort collabore avec les autres entités francophones pour qu’on mette notre esprit collectif pour enfin s’assurer que les changements, comme la modernisation de la loi ou encore des changements de réglementations n’aient pas d’effets négatifs sur les services en français… On se bat tous les jours et on le voit avec la COVID-19.
Vous êtes président depuis maintenant près de 12 ans. Est-ce que le travail de terrain comme médecin vous manque?
C’est un choix qui a été difficile à faire et au début quand j’ai commencé en 2010. J’avais espoir de pouvoir continuer une certaine pratique médicale, mais c’est devenu apparent que je ne pouvais pas mener à bien les deux volets. J’ai quitté la médecine de pratique au début de 2012. C’est un aspect de ma carrière professionnelle qui me manque, car j’ai toujours aimé interagir avec les gens et le côté un peu détective de trouver les symptômes pour trouver des solutions pour travailler avec ces gens-là pour améliorer leur santé. Maintenant, je le fais à un autre niveau où je touche à plus de patients que je peux voir dans une autre journée dans le but d’améliorer le système de santé.
Vous êtes arrivé à l’Hôpital Montfort en 1999 en plein milieu de la saga de SOS Montfort. Comment avez-vous vécu ça?
Quand je suis arrivé, je savais qu’il y avait une possibilité que l’hôpital ferme, mais je me disais que je réévaluerais quelles seraient ces options rapidement, car c’est en 1999 qui a eu le premier jugement. Mais comme Michel Gratton disait : « La cause est juste », alors c’était évident qu’il y avait des chances que l’hôpital ne ferme pas et puis on connaît l’histoire aujourd’hui.
L’année prochaine, ce sera le 25e anniversaire de la crise Montfort. Comment voyez-vous les 25 prochaines années pour l’Hôpital Montfort?
Je pense qu’on va continuer à faire des gains. Je pense que la réforme de la Loi sur les services en français est un gain vers l’avant (…) J’ai l’impression qu’on va continuer à bâtir dans les 25 prochaines années sur ce qu’on a. On a vu dans les dernières années à quel point la communauté est capable de se rallier quand il y a une atteinte significative à ses droits comme c’était le cas avec la grande manifestation du 1er décembre 2018. On dit toujours que le 22 mars 1997 était la plus grande manifestation de l’histoire franco-ontarienne et qu’elle a été battue en 2018. J’ose espérer que ça ne sera pas encore le cas dans le futur. »
LES DATES-CLÉS DE BERNARD LEDUC :
1958 : Naissance à Saint-Jovite dans les Laurentides
1998 : Arrivée à l’Hôpital Montfort comme médecin de famille
2010 : Devient le président de l’Hôpital Montfort
2017 : Reçoit la médaille de l’Ordre d’Ottawa
2020 : Reçoit le prix Paulette-Gagnon de l’AFO
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.