Anglophones dans les écoles francophones : « On force les conseils scolaires à se prostituer »
OTTAWA — Le militant franco-ontarien Basile Dorion estime que la situation des élèves anglophones dans les écoles francophones de la province a empiré au cours des années et se dit toujours prêt à poursuivre devant les tribunaux les conseils scolaires.
L’ex-conseiller scolaire qui s’était fait connaître lors de la crise scolaire de 1979 à Penetanguishene avait déjà menacé par le passé d’aller devant les tribunaux. Il avait en 2017 envoyé une missive au gouvernement provincial et aux conseils scolaires qu’il considérait comme fautifs d’admettre des élèves anglophones dans des écoles francophones.
Aujourd’hui, il se dit toujours prêt à poursuivre cette bataille juridique, lui qui est à la recherche d’un avocat, même anglophone, avance-t-il alors qu’à l’heure actuelle, rien ne bouge dans ce dossier.
L’impact d’accepter autant d’élèves anglophones est un désavantage pour ceux qui sont francophones, car cela donne lieu à des milieux anglophones au sein de l’école en français et facilite l’assimilation à l’anglais des jeunes francophones, considère M. Dorion.
« L’enfant qui arrive à l’école et qui parle français est désavantagé par le système et nos conseils scolaires francophones sont trop pissous pour prendre des mesures proactives », a-t-il lancé aux députés fédéraux du Comité des langues officielles la semaine dernière.
Pour Basile Dorion, ces critères de sélection pour les non-ayants droit des conseils scolaires francophones prennent le bord et permettent d’accepter n’importe qui, déplore-t-il, accusant les instances scolaires d’attirer les parents anglophones.
« On les invite avec de pleines pages d’annonce dans le Toronto Star (…). Il y a des exceptions, mais beaucoup de ces personnes veulent juste rentrer et après ça, il n’y a plus d’engagement (envers le français) », a-t-il dénoncé face aux élus, qui l’avaient invité à venir témoigner dans le cadre d’une étude sur le continuum en éducation.
« Il ne faut pas que ça soit fait au détriment du petit enfant francophone qui se trouve un weirdo dans sa propre école », ajoute-t-il.
Un ayant droit est une personne qui a un droit constitutionnel à l’école française, en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés « qui garantit le droit à l’instruction dans la langue de la minorité comme outil de lutte contre l’assimilation ».
Des enfants de parents non ayant droit peuvent être admis dans des écoles franco-ontariennes si l’enfant parle français. Les parents de nouveaux arrivants qui ne parlent pas français peuvent aussi être admis tout comme ceux qui le parlent. Dans les trois derniers cas, c’est au parent de faire la demande auprès d’un conseil scolaire, qui, par l’entremise d’un comité d’admission, détermine d’accepter ou non cette requête.
Mais pour Basile Dorion, les conseils scolaires n’ont d’autre choix que de procéder ainsi, car le mode de financement fonctionne selon des effectifs scolaires et l’élève représente désormais « un signe de piasse ».
« On force les conseils scolaires à se prostituer pour obtenir des nombres et avoir de l’argent, car ça donne bonnes jobs. »
« Tous les octrois sont dirigés vers la francisation et non pas vers la francophonie. Le petit francophone est négligé (…). S’il veut se faire des amis, il doit faire comme la majorité et parler en anglais, sinon il est ostracisé », affirme-t-il.
Le député du Bloc québécois Mario Beaulieu dit y voir un parallèle avec « les problèmes qu’on a dans les écoles à Montréal où les francophones sont minoritaires ». Le point de vue du militant franco-ontarien n’était toutefois pas partagé par l’ensemble des députés conservateurs et libéraux « qui ne trouve pas ça négatif qu’on augmente le nombre d’ayants droit, car pour les francophones, c’est un gain », a plaidé le porte-parole conservateur en langues officielles, Joël Godin.
Dans une décision rendue l’an dernier, la Cour suprême du Canada, avait tranché en faveur de la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest dans un dossier de six enfants de parents immigrants non-ayants droit à qui l’on avait refusé l’accès à l’école en français.
La Cour suprême avait blâmé le gouvernement ténois de ne pas avoir pris en compte l’article 23 de la Charte tout en prévenant que sa décision n’équivalait pas à l’obligation d’admettre tout non-ayant droit.
« On continue à le faire »
Basile Dorion estime que le problème a empiré dans les dernières années car, en acceptant des non-ayants droit avec des critères de sélection très souples, cela signifie, a-t-il expliqué aux élus à Ottawa, que les enfants de ceux-ci deviennent automatiquement des ayants droit et cela se multiplie au fil des générations.
« Zéro a été fait par les conseils scolaires. J’avais donné des pistes de solution et ils n’ont rien fait. On continue à le faire », lance-t-il en entrevue après sa comparution en lien avec une lettre qu’il avait envoyée aux conseils scolaires.
L’organisme Canadian Parents for French soutient lui aussi voir beaucoup d’élasticité dans la manière dont les conseils scolaires acceptent les non-ayants droit.
« Le ministère de l’Éducation donne le droit aux conseils scolaires (d’accepter les non-ayants droit), alors vous pouvez imaginer qu’un conseil scolaire dans une région éloignée va interpréter différemment et va peut-être changer les critères », a témoigné sa présidente Nicole Thibault au même comité parlementaire.
Dans les dix dernières années, le nombre d’élèves dans les conseils scolaires francophones a connu un bond faramineux de 13,5 % en une décennie contre 1,43 % du côté anglophone, notamment attribuable à l’immigration.
Même si l’ex-conseiller scolaire réussit à trouver un avocat pour le représenter, un autre obstacle serait de trouver des parents francophones prêts à témoigner en faveur de cette cause.
« Les gens ont peur d’entrer dans une cause où leurs enfants vont souffrir les conséquences à l’école et beaucoup des parents sont des enseignants qui ont peur de s’exprimer », soutient-il, affirmant toutefois avoir reçu beaucoup d’aide de l’ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache dans ses démarches judiciaires.