Photo : Archives ONFR/Rudy Chabannes

Le nombre d’élèves qui fréquentent les écoles de langue française en Ontario est en constante hausse depuis le début des années 2000, révèle des données du ministère de l’Éducation de la province. Les anglophones, de leur côté, sont en baisse, en proportion comme en nombre.

En se basant sur le catalogue des données ouvertes du gouvernement de l’Ontario et les chiffres fournis par les conseils scolaires, nous avons compilé le nombre d’élèves fréquentant les conseils scolaires publics anglophones et francophones et ainsi calculé une proportion. Nous avons ainsi extrait des données allant de 1994 à 2023.

Les chiffres des écoles privées ainsi que ceux des années scolaires 2023-2024 et 2024-2025 dans le système public n’étaient pas disponibles. Dans le cadre de la rentrée scolaire, nous avons donc réalisé près d’une dizaine d’entrevues avec des acteurs du milieu scolaire franco-ontarien pour comprendre ce qui explique cette hausse depuis plus d’un quart de siècle.

Les chiffres démontrent que la proportion d’élèves dans les conseils scolaires francophones oscille autour de 5,5 % alors qu’il était autour de 4,25 % à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Le nombre d’élèves francophones était de son côté en deçà de la barre des 100 000 entre 1994 et 2012. Or au cours des dix dernières années, les conseils scolaires francophones ont connu une forte augmentation de leurs effectifs.

En 2013, on a franchi la barre des 100 000 avec un effectif total de 100 541, pour atteindre 112 032 en 2022-2023, soit une augmentation de 13,5 % en une décennie. À titre de comparatif, l’augmentation dans la décennie précédente (de 2003 à 2013) représentait seulement la moitié (7 %).

De leur côté, entre 2014-2014 et 2022-2023, les écoles anglophones n’ont connu une hausse que de 1,43 % de leur effectif étudiant. De 1994 à 2022, le nombre d’élèves dans les écoles francophones de l’Ontario a bondi de 14,44 % alors qu’e ça a’il a chuté de 1,51 % chez les anglophones.

« C’est surprenant qu’il y ait une augmentation chez les francophones et une légère diminution chez les anglophones sur 30 ans alors qu’il y a une croissance de la population totale de 47 % selon Statistique Canada. Ça nous dit que le vieillissement de la population est assez clair », analyse le doctorant en sociologie à l’Université de Waterloo Jacob Legault-Leclair, qui étudie la question de la francophonie en contexte canadien et québécois.

« Je ne pense pas que l’accroissement des élèves francophones en Ontario augmente à un rythme élevé, mais plutôt modeste, poursuit-il. Ça semble correspondre avec l’augmentation de l’immigration de personnes en Ontario qui peuvent s’exprimer en français », constate le démographe.

Selon le recensement de 2021, ce sont 1,51 million de personnes qui parlent français en Ontario alors qu’il y en avait 1,31 million, 20 ans auparavant.

En 1991, 89 % des francophones de l’Ontario étaient nés au Canada alors qu’ils sont aujourd’hui 78 %, souligne Jacob Legault-Leclair. Chez les moins de 19 ans, 91 % étaient des Canadiens contre 82 % en 2021.

« On voit que le bassin d’ascendance canadienne-française diminue de façon non négligeable alors qu’il y a une présence de plus en plus importante des premières générations d’immigrants », souligne-t-il à la lumière de ces chiffres.

« Selon d’autres données, les immigrants en général sont plus jeunes que les francophones. Les immigrants en moyenne ont plus d’enfants que les natifs, car ils sont plus jeunes et que lorsqu’on migre dans un pays, on a tendance à avoir plus d’enfants dans le pays comme s’il y avait un retardement de la naissance à l’immigration », analyse-t-il.

Des élèves franco-ontariens un 25 septembre lors de la journée des Franco-Ontariens. Archives ONFR
Des élèves franco-ontariens un 25 septembre à Toronto lors de la journée des Franco-Ontariens. Archives ONFR

L’ajout d’écoles dans des régions mal desservies auparavant n’est pas à négliger, nous ont indiqué des dirigeants de conseils scolaires, la proximité étant souvent citée comme la raison première du choix de l’école par les parents.

« On réussit à avoir des augmentations importantes quand on a potentiellement un nombre de nouvelles écoles. Tout d’un coup, si tu as quatre-cinq projets dans le pipeline qui aboutissent, tu vois une progression plus forte et si tu es plusieurs années à ouvrir peu d’écoles, la progression est bien moins forte », soutient Yves Lévesque, de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC).

« Dans les dix dernières années, on a ouvert une dizaine d’écoles et des familles sortent de la forêt, image Geneviève Oger du Conseil scolaire Viamonde, dont l’effectif a augmenté de 47 % en 11 ans. Lorsqu’il y a une école francophone plus proche, des familles qui envoient leurs enfants en immersion ou à l’école anglophone se mettent à regarder nos écoles. »

Et les enseignants dans tout ça?

Cette importante hausse d’élèves depuis dix ans, bien que graduelle, implique davantage de ressources telles que des enseignants.

Dans un rapport fourni au gouvernement, un groupe de travail évaluait que pendant que le nombre d’élèves francophones augmentait dans la province, le nombre de nouveaux enseignants francophones qui rentrait dans le système scolaire chutait.

En 2021, le Groupe de travail sur la pénurie de personnel enseignant dans le système d’éducation en langue française, composé de membres du milieu de l’éducation signalait qu’il fallait ajouter 500 professeurs de plus par année pour combler la pénurie.

Cela est notamment lié à une décision de 2015 du gouvernement ontarien de réduire de moitié le nombre de diplômés en enseignement en plus d’ajouter une année d’études au cursus. À l’époque, le système anglophone perdait des étudiants alors que trop de professeurs rentraient sur le marché du travail.

Seulement, au niveau francophone, cela a induit un effet pervers. Le manque de nouveaux diplômés (voir image plus bas) et la hausse d’élèves ont contribué à un déficit d’enseignants dans la province depuis près d’une décennie.

Crédit image: capture d'écran du Rapport sur la pénurie de personnel enseignant dans le système d’éducation en langue française
Le nombre de diplômés en enseignement n’a cessé de chuter entre 2015 et 2020 en Ontario français. Crédit image : capture d’écran du Rapport sur la pénurie de personnel enseignant dans le système d’éducation en langue française

Nathalie (nom fictif) est une enseignante qui a travaillé au sein de deux conseils scolaires de la région d’Ottawa dans sa carrière. Elle dit avoir remarqué au cours de ses premières années au secondaire des groupes qui pouvaient osciller entre 25 et 28 élèves alors qu’on se rapproche aujourd’hui des 30 à 35.

« Avoir un lien avec chaque élève, les appuyer un à un, fournir de la rétroaction… c’est ce qu’il y a de plus important. Or, très difficile de voir tous ses élèves avant une remise finale d’un travail, ça prendrait une semaine. Là, on a peut-être une minute avec chaque élève. Ce n’est pas facile de faire du « un à un » avec un groupe de 35 », affirme celle qui est enseignante depuis 11 ans.

« Réduire le nombre d’élèves serait numéro 1 sur ma wish list. C’est la solution la plus simple à faire, à mon avis, en plus de venir combler nos besoins en termes de ressources », avance la professeure.

Elle dépeint un rythme actuel soutenable. « J’ai beaucoup de collègues épuisés qui ont pris un congé maladie. On veut être là pour nos élèves, mais on est aussi humain avec notre vie personnelle et une famille. Quand la tâche continue à s’alourdir, ce n’est pas soutenable à long terme », juge-t-elle.

Jason (nom fictif), un enseignant du Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE) qui cumule dix ans d’expérience, a clairement remarqué la tendance à la hausse des effectifs en classe au cours des années.

L’ajout d’élèves a signifié inévitablement l’ajout de plus de tâches au cours des années pour lui et ses collègues : plus d’heures de correction, davantage de prises de notes, de plus longs bulletins et aussi davantage d’élèves avec des besoins spéciaux, donne ce dernier comme exemples.

Crédit image: capture d'écran du Rapport sur la pénurie de personnel enseignant dans le système d’éducation en langue française
Les données concernant le nombre de professeurs de langue française en Ontario ne sont pas disponibles publiquement, mais démontrent que le nombre a augmenté légèrement entre 2012 et 2019. Crédit image : capture d’écran du Rapport sur la pénurie de personnel enseignant dans le système d’éducation en langue française

« L’ajout de seulement un élève entraine de la correction additionnelle pour chaque matière, insiste-t-il. Même si on est plus efficace avec les années, le temps de travail augmente. »

« Il y a aussi des occasions manquées de faire du « un à un ». On se donne un objectif que chaque élève a le droit au même temps d’éducation que tous les élèves, mais plus que tu as d’élèves, moins ton temps peut varier équitablement surtout quand on a des élèves avec des besoins », a-t-il constaté au fil des années.

Des années creuses pour les conseils scolaires anglophones

Pendant que le nombre d’élèves était en augmentation dans les conseils scolaires francophones dans le dernier quart de siècle, les anglophones, même s’ils composent près de 95 % des élèves ontariens, ont connu une baisse en termes de nombre et de chiffres.

Au début des années 2000, on comptait plus de deux millions d’élèves dans les écoles anglophones. Près de 20 ans plus tard, bien la population ontarienne a cru de près de 3 à 4 millions de personnes, les élèves anglophones sont aujourd’hui sous la barre des deux millions.

À titre d’exemple, entre 2002 et 2012, le système anglophone a perdu près de 140 000 élèves, mais celui-ci a repris de la vitesse dans les dernières années, atteignant des chiffres de près de 1,94 million d’élèves, un plus haut depuis la fin des années 2000.