La Cour suprême du Canada. Archives ONFR+

Dans une décision unanime, la Cour suprême a renforcé ce vendredi les obligations des gouvernements provinciaux à prendre en compte les droits garantis sur l’éducation en français en milieu minoritaire. L’impact fera augmenter l’accès à l’éducation en milieu minoritaire, notamment auprès des immigrants, estiment les appelants dans la cause.

Elle opposait la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO) et le ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation des Territoires du Nord-Ouest. En 2018, le ministère de l’Éducation avait refusé à six enfants le droit à l’école en français, car celui-ci estimait que leurs parents n’étaient pas des ayants droit en fonction de la Charte.

La Cour suprême a tranché vendredi que la ministre de l’Éducation n’avait pas pris en compte l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu’elle avait refusé l’éligibilité à ces six enfants.

  • Un ayant droit est une personne qui est éligible à une éducation en milieu minoritaire en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.
  • En Ontario, les ayants droit sont les enfants de parents ou tuteurs qui ont étudié en français ou qui ont le français comme langue maternelle.
  • Des enfants de parents non-ayants droits peuvent être admis dans des écoles franco-ontariennes si l’enfant parle français. Les parents de nouveaux arrivants qui ne parlent pas français ou qu’ils le parlent peuvent aussi être admis. Dans les trois derniers cas, c’est au parent de faire la demande auprès d’un conseil scolaire, qui par l’entremise d’un comité d’admission, détermine d’accepter ou non cette requête.

Les motifs

Selon la juge Suzanne Côté, qui a écrit les motifs de la décision, les décisions de la ministre ont mis en jeu les protections garanties par la Charte canadienne des droits et libertés. Celle-ci explique que le gouvernement ténois a accordé un poids disproportionné à son pouvoir de décision administrative et que les besoins pédagogiques de l’article 23 devaient peser plus lourd dans la balance. Elle écrit que cet article a pour objectif de prévenir l’érosion des communautés linguistiques officielles et donc que l’admission de non-ayants droit, en vertu de l’article 23, « peut avoir une incidence sur le maintien et l’épanouissement des communautés linguistiques minoritaires ».

Si la Cour suprême reconnaît « l’expertise » des commissions scolaires pour « évaluer les besoins de la minorité linguistique en matière d’éducation », elle prévient toutefois que cette décision n’équivaut pas à l’obligation d’admettre tout enfant de parents non-ayants droit, mais qu’il s’agit bien d’un cas par cas.

« Nous sommes vraiment ravis. La décision confirme que nous avions raison », a réagi quelques instants après le verdict, Jean De Dieu Tuyishime, président de la CSFTNO, en entrevue.

La Fédération nationale des conseils scolaires francophones qui représente l’ensemble des conseils en français au pays agissait aussi à titre d’intervenant dans le dossier en appui de son membre des Territoires du Nord-Ouest.

« On renforce l’accès à l’éducation en français en milieu minoritaire », juge de son côté l’avocate chez Juristes Power Law, Perri Ravon, qui représentait la CSFTNO dans ce dossier.

Le haut tribunal avait déjà octroyé un jugement fort en 2020 lorsqu’elle avait tranché en faveur d’un groupe de parents de la Colombie-Britannique qui réclamaient pour leurs enfants une éducation en français équivalente à celle offerte en anglais. Ce jugement d’aujourd’hui vient compléter le tout, mais au niveau administratif dans la prise de décision des gouvernements, estime Perri Ravon.

« Ils (les gouvernements) doivent décider si on va construire une nouvelle école. Où est-ce qu’on va la placer? Est-ce qu’on va donner du financement à tel ou tel programme ou est-ce que l’on va permettre l’accès à cette école pour des enfants immigrants? Maintenant, toutes ces décisions doivent tenir compte de l’article 23 alors ça va avoir des impacts plus larges même que juste l’accès. »

Un gain pour l’éducation en français chez les immigrants

Cette nouvelle décision a de fortes chances de renforcer l’éligibilité des écoles francophones à admettre les enfants de parents nouveaux arrivants dans leurs écoles, car ceux-ci sont souvent considérés comme non-ayants droit.

« Ce n’est pas automatique, mais dans plusieurs contextes, je pense que les chances vont augmenter maintenant », croit Perri Ravon.

« On est dans un mouvement de changement. On voit que nos écoles commencent à être remplies par l’immigration donc quand la Charte avait été écrite, je ne crois pas que cet élément qui concerne l’immigration était dans le viseur », affirme de son côté Jean de Dieu Tuyishime.

Les six familles d’enfants franco-ténois, qui avaient été refusées, étaient justement immigrantes, mais les plus jeunes parlaient français.

« Des familles de ce genre, il y en a des milliers dans notre francophonie, et cette tendance ira en augmentant. La Cour suprême nous donne aujourd’hui une base juridique forte pour éviter qu’on ne leur barre la route à l’école française », a applaudi la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada dans un communiqué.