Bilinguisme inégal au sein du gouvernement Trudeau

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau. Crédit image: Stéphane Bédard

OTTAWA – Alors que le débat fait rage sur le besoin pour un chef de parti fédéral d’être bilingue ou non, qu’en est-il des 36 ministres du gouvernement libéral de Justin Trudeau? ONFR+ a approché le bureau de chacun d’entre eux pour savoir où se situent leurs capacités linguistiques.

Sur leur page internet de la Chambre des communes, ils sont 17 ministres à indiquer préférer l’anglais, quand deux ministres, les Québécois François-Philippe Champagne et Diane Lebouthillier, optent pour le français. Les 18 autres membres du gouvernement, dont le premier ministre Justin Trudeau, affichent les deux langues officielles.

En 2016, l’unilinguisme français de Mme Lebouthillier, déjà ministre du Revenu national du Canada, avait fait sourciller. Certains lui reprochaient de ne pouvoir donner une entrevue en anglais.

« Le scandale était dans les médias anglophones », rappelle le politologue de l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, Rémi Léger.

« Cela montre qu’il y a encore une relation de pouvoir entre les langues officielles. L’anglais est toujours vu comme la langue normale, et le français comme un accommodement. »

Plus de 57 % à l’aise en français et en anglais

Mais à la question posée par ONFR+ aux équipes des différents ministres, aujourd’hui, Mme Lebouthillier n’apparaît pas comme la seule ministre à ne pouvoir faire une entrevue dans l’autre langue officielle.

Sur les 38 membres du cabinet Trudeau, ils seraient 21 à être à l’aise de répondre en français ou en anglais. Parmi eux, la ministre des Relations Couronne-Autochtones et députée ontarienne Carolyn Bennett. 

« La ministre Bennett suit des cours de français chaque année depuis son élection en tant que députée il y a plus de 20 ans. Cette année, elle a passé la première semaine de janvier à Québec pour suivre un cours intensif en français », répond un de ses porte-paroles.

La ministre des Relations Couronne-Autochtones et députée ontarienne Carolyn Bennett. Gracieuseté

La ministre du Développement international, Karina Gould, a appris le français à l’école, dans un programme d’immersion.

« Depuis son arrivée à Ottawa, à titre de députée, elle s’est remise à la pratique quotidienne du français avec ses collègues, les intervenants et les fonctionnaires », explique son entourage qui raconte que lorsqu’elle était secrétaire parlementaire de la ministre du Développement international et de la Francophonie, Marie-Claude Bibeau l’encourageait et lui déléguait des activités en français.

Face à ces chiffres, M. Léger se montre prudent.

« Il faut toutefois faire attention, car c’est une autodéclaration », rappelle-t-il. « De plus, il y a très peu de ministres de l’Ouest dans le cabinet actuel. »

Unilingues anglophones

Onze ministres ne peuvent répondre à une entrevue en français. Et les deux ministres dont l’équipe n’a pas répondu aux questions d’ONFR+ affichent tous uniquement l’anglais sur leur profil de député. Ils seraient donc, au total, 13 ministres à ne pouvoir s’exprimer dans la langue de Molière.

Enfin, les équipes des ministres ontariens, Anita Anand et Navdeep Bains ne répondent pas directement quant à leur capacité de faire des entrevues en français.

Celle du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie explique que M. Bains a juste du mal avec le langage technique propre à son ministère.

Une porte-parole de la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Anita Anand, rapporte que cette dernière « a eu l’occasion d’apprendre le français en grandissant à Kentville, en Nouvelle-Écosse », mais ne confirme pas si elle peut répondre en français aux journalistes.

Formation linguistique

La ministre Lebouthillier poursuit son apprentissage de la langue de Shakespeare.

« Mais elle n’est toujours pas à l’aise de faire des entrevues dans sa langue seconde », explique un de ses porte-paroles.

Et elle n’est pas la seule, puisque 12 ministres prennent ou auraient l’intention de suivre des cours de français, dont la députée ontarienne et ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international, Mary Ng.

« Immédiatement après son entrée en fonction au cabinet en juillet 2018, elle a participé à une retraite d’immersion française, à Québec. Plus récemment, en décembre, elle a effectué une retraite d’immersion, en France, à ses propres frais. Elle suit des cours de français régulièrement et continue de pratiquer son français avec ses collègues et les membres de son équipe », explique son porte-parole Ryan Nearing.

De son côté, la ministre du Gouvernement numérique, Joyce Murray promet de s’y mettre « dans les prochaines semaines pour obtenir une aide linguistique spécifique à son nouveau dossier ».

La formation linguistique offerte par la Chambre des communes, c’est ce qui aurait permis au ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Jonathan Wilkinson, d’être aujourd’hui capable de faire des entrevues en français.

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Jonathan Wilkinson. Crédit image : Benjamin Vachet

« Il ne maîtrisait pas le français avant de devenir député, mais il a fait du chemin. Il a suivi des cours depuis sa première élection et peut maintenant accorder une entrevue en français », explique-t-on à ONFR+.

Difficile pour un ministre?

D’autres ministres refusent de prendre un tel engagement, faute de temps, expliquait notamment Bill Blair, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, en mêlée de presse, lundi.

« C’est toujours une déception quand des députés qui sont en poste depuis plusieurs années ne sont pas capables de répondre en français ni ne suivent des cours. Dans un monde idéal, tous les ministres seraient bilingues. Toutefois, les attentes ne sont pas les mêmes que pour un chef de parti qui est le visage et le porte-parole de sa formation. Mais le gouvernement devrait au moins s’assurer que le secrétaire parlementaire parle l’autre langue officielle quand un ministre ne le peut pas », juge M. Léger.

 

Les ministres qui peuvent ou disent pouvoir faire des entrevues en français et en anglais :

Carolyn Bennett, ministre des Relations Couronne-Autochtones

Marie-Claude Bibeau*, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire

François-Philippe Champagne*, ministre des Affaires étrangères

Jean-Yves Duclos*, président du Conseil du Trésor

Mona Fortier*, ministre de la Prospérité de la classe moyenne et ministre associée des Finances

Chrystia Freeland*, vice-première ministre et ministre des Affaires intergouvernementales

Marc Garneau*, ministre des Transports

Karina Gould, ministre du Développement international

Steven Guilbeault*, ministre du Patrimoine canadien

Mélanie Joly*, ministre du Développement économique et des Langues officielles

David Lametti*, ministre de la Justice et procureur général du Canada

Dominic LeBlanc*, président du Conseil privé de la Reine pour le Canada

Catherine McKenna*, ministre de l’Infrastructure et des Collectivités

Marc Miller, ministre des Services aux Autochtones

Marco Mendicino, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté

Bill Morneau*, ministre des Finances

Carla Qualtrough, ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’oeuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées

Pablo Rodriguez*, Leader du gouvernement à la Chambre des communes

Dan Vandal*, ministre des Affaires du Nord

Jonathan Wilkinson, ministre de l’Environnement et du Changement climatique

Justin Trudeau*, premier ministre

Les ministres qui ne peuvent faire des entrevues que dans l’une des deux langues officielles :

Bill Blair, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

Patricia Hajdu, ministre de la Santé

Ahmed Hussen, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social

Diane Lebouthillier, ministre du Revenu national

Lawrence MacAulay, ministre des Anciens Combattants et ministre associé de la Défense nationale

Maryam Monsef, ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et du Développement économique rural

Joyce Murray, ministre du Gouvernement numérique

Mary Ng, ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international

Seamus O’Reagan, ministre des Ressources naturelles

Harjit Singh Sajjan, ministre de la Défense nationale

Deb Schulte, ministre des Aînés

Filomena Tassi, ministre du Travail

Les ministres qui suivent ou disent vouloir suivre une formation linguistique :

Anita Anand, ministre des Services Publics et de l’Approvisionnement 

Navdeep Bains, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

Carolyn Bennett, ministre des Relations Couronne-Autochtones

Ahmed Hussen, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social

Diane Lebouthillier, ministre du Revenu national

Marco Mendicino, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté

Maryam Monsef, ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et du Développement économique rural

Harjit Singh Sajjan, ministre de la Défense nationale

Deb Schulte, ministre des Aînés

Filomena Tassi, ministre du Travail

Harjit Singh Sajjan, ministre de la Défense nationale

Deb Schulte, ministre des Aînés

Filomena Tassi, ministre du Travail

Les ministres qui n’ont pas répondu :

Bardish Chagger, ministre de la Diversité et de l’Inclusion et de la Jeunesse

Bernadette Jordan, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne

* ONFR+ n’a pas contacté les bureaux des ministres qui, dans leurs fonctions ou lors d’entrevues, nous ont démontré qu’ils pouvaient s’exprimer dans les deux langues officielles.