Bonnie Crombie affronte ses premières élections provinciales à la tête du Parti libéral de l'Ontario. Photo : La Presse canadienne /Spencer Colby

Économie, santé, pouvoir d’achat, postsecondaire, itinérance, opioïdes … La cheffe libérale Bonnie Crombie répond aux questions d’ONFR sur plusieurs enjeux clés qui émergent, dominent ou se font plus discrets durant la campagne électorale. Si elle est élue à la tête d’un gouvernement, elle s’engage à mettre sur pied une stratégie de santé franco-ontarienne.

Quelle est votre priorité?

Certainement la santé. Nous investirons 3 milliards de dollars pour garantir des médecins de famille et faire en sorte que chaque Ontarien ait accès aux soins de santé dont il a besoin, que ce soit d’un médecin ou d’un hôpital. Nous ne voulons plus jamais voir une situation comme celle de Walkerton, où vous aviez des personnes âgées avec des déambulateurs et de jeunes mères avec des poussettes attendant pendant six heures pour s’enregistrer auprès d’un médecin de famille.

Boucler les fins de mois est un casse-tête pour de nombreux Ontariens. Si vous deveniez première ministre le 27 février prochain, quelles seraient très concrètement vos premières mesures pour les aider?

La première chose que nous ferions serait de réduire l’impôt sur le revenu de la classe moyenne et de supprimer la taxe de vente provinciale sur les factures de chauffage et d’électricité. Cela rendrait la vie beaucoup plus abordable pour les gens qui économiseraient presque 100 $ par mois. Nous allons faire en sorte que les personnes qui gagnent 75 000 $ ou moins payent 20 % de moins dans leurs impôts sur le revenu. On va aussi couper de moitié les taxes sur les petites entreprises de 3,2 % à 1,6 %. Ces sont des mesures tangibles.

Baisser impôts et taxes, n’est-ce pas prendre le risque de se priver de revenus et de creuser le déficit dans un contexte économique incertain?

L’argent est là, mais Doug Ford le gaspille. Presque 2 milliards de dollars ont été utilisés pour étendre les ventes de bière dans les dépanneurs et 2 autres milliards pour les compagnies (du projet torontois de réaménagement) de la Place de l’Ontario. Près de 7 milliards de dollars auraient pu être mieux utilisés et servir à développer la communauté francophone, la santé, l’éducation ou encore rendre la vie plus abordable.

Quel est votre plan pour les francophones?

On veut protéger la langue française. Ça commence par rétablir le commissariat (indépendant) aux services en français. C’est très important pour moi. Ça veut dire aussi travailler de façon rapprochée avec les conseils scolaires pour ajouter des fonds qui leur permettront de renforcer leurs programmes et de recruter des enseignants. On doit ouvrir l’apprentissage du français à tous les élèves ontariens et développer un plan d’action qui augmente le nombre de places en garderie de langue française.

Vous faites de la santé votre priorité, mais prévoyez-vous un volet francophone dans votre plan?

Oui, on a besoin de renforcer le système de santé en français. On va développer une stratégie de santé franco-ontarienne pour recruter plus de docteurs, d’infirmiers et de professionnels de la santé, tout comme augmenter le nombre d’étudiants internationaux dans les filières de la santé et les services sociaux.

Quelle est votre position sur l’Université de Sudbury et plus largement le postsecondaire en français dans le Nord?

En consultation avec la communauté, on élargira l’accès à l’éducation postsecondaire en français, particulièrement dans le Nord, en nous appuyant sur l’Université Laurentienne et l’Université de Sudbury, pour que nous puissions élargir les programmes de formation des enseignants et ainsi remédier à la pénurie d’enseignants.

Un premier ministre doit-il être capable de s’exprimer en français en Ontario, la province qui concentre le plus grand nombre de francophones hors Québec?

Idéalement, je souhaiterais que mon français soit meilleur. J’ai appris cette langue, mais vivant dans le Sud de l’Ontario, je ne l’ai pas pratiqué autant que je l’aurais voulu. Je le lis pas trop mal, je le comprends bien, mais je le parle très peu.

Citez une chose que Doug Ford a bien faite comme premier ministre?

Doug Ford est un showman qui a du charisme. C’est agréable mais c’est aussi une distraction envers le fait qu’il ne fait pas son travail, qu’il n’est pas où il doit être, ici en Ontario pour comprendre comment protéger nos industries, nos boulots. Le seul travail que Ford protège est le sien. Il n’y a pas un seul premier ministre au Canada qui choisirait ce moment d’instabilité et d’insécurité pour lancer des élections.

Que vous inspirent les chèques de 200 $ envoyés par le gouvernement?

Ça démontre que Doug Ford n’est pas concentré sur les fondamentaux. Il a dit qu’il réduirait les impôts des classes moyennes, il ne l’a pas fait. Il a dit qu’il mettrait fin à la médecine de couloir, il ne l’a pas fait. Il a dit qu’il construirait 1,5 million de logements, il ne l’a pas fait…

Ces élections sont-elles nécessaires pour contrer le risque de tarifs américains, comme l’affirme le premier ministre sortant?

Ce sont des élections inutiles et onéreuses, alors même que Doug Ford avait un gouvernement majoritaire et pouvait agir. On avait besoin de stabilité, de certitude, pas de chaos. Il se bat pour garder son boulot, pas pour garder nos emplois. Au lieu de tenir fermement le volant, il préfère fuir à Washington, alors que ce doit être la réponse (aux tarifs américains) est une réponse fédérale. (…) Il justifie qu’il a besoin d’un mandat fort, mais il l’a déjà.

Malgré leur suspension, les tarifs américains pourraient toutefois lourdement affecter la province. Comment protégeriez-vous la province si vous étiez en charge?

On a besoin d’être prêt. Le problème est que Doug Ford n’a pas diversifié notre économie. Il n’a pas créé d’emplois, car le secteur manufacturier a perdu 21 000 emplois, le secteur de la construction 36 000. Il n’a pas investi dans d’autres secteurs que ceux de batteries électriques, il n’a pas soutenu le secteur automobile, il n’a pas établi de relations avec les gouverneurs des 17 États qui sont nos plus gros ou seconds plus gros partenaires commerciaux. Nous avons besoin d’une réponse forte et nous devons le faire ensemble au niveau du Canada.

La crise des opioïdes frappe de plein fouet la province. Comment vous y prendriez-vous pour la contrer?

Quand j’étais mairesse de Mississauga, des mères sont venues me voir et m’ont dit : « Mon enfant serait encore en vie aujourd’hui s’il y avait eu un centre de consommation supervisée accessible pour ma fille ou mon fils ». Alors, nous nous sommes battus pour que ce soit le cas dans la région de Peel.

Nous devons investir dans la guérison, dans les traitements et dans les mesures préventives. J’ai visité ces centres : ils conseillent les toxicomanes sur la non-utilisation de ces substances, sur les toxines qu’elles contiennent, ils les coachent, ils essaient de les faire sortir de cette vie. C’est dans ce genre de programme que nous devons investir pour sauver des vies.

Pourtant, vous êtes favorable à la fermeture de certains centres de consommation supervisée à Toronto : ceux près des écoles

Il y a des preuves évidentes que ces sites sauvent des vies et donc nous devrions les garder, mais je suis d’accord qu’il ne faut pas les situer à côté des écoles, des garderies. Il faut les placer dans des voisinages dans lesquels ils sont accessibles aux personnes qui en ont besoin, mais pas à proximité des enfants.

Le sans-abrisme atteint des niveaux alarmants en Ontario. Quelle solution envisagez-vous dans votre programme?

Les villes sont laissées à l’abandon sans aucun fond ni aucune stratégie provinciale pour combattre l’itinérance. C’est bien beau de dire qu’on va construire des centres de support, mais avec quels fonds? Les maires ont fait un important travail en dénonçant ce problème, mais cela ne devrait pas être pris sur leur budget des payeurs d’impôt foncier. C’est une forme de désengagement.

Nous devons investir dans le soutien au logement et nous inspirer des meilleures pratiques. Qu’il s’agisse de mini-logements ou de maisons modulaires, il y a beaucoup de solutions expérimentées au niveau municipal mais nos maires ont besoin d’un financement adéquat.

Vous vous présentez dans la circonscription de Mississauga East-Cooksville. Regrettez-vous de ne pas avoir saisi plus tôt une occasion de gagner un siège à Queen’s Park, au moment d’une élection partielle, pour avoir plus de visibilité?

Il n’y avait aucun siège de disponible qui avait un sens. Les deux élections n’avaient pas d’intérêt pour la mairesse de Mississauga. Si les élections avaient eu lieu en 2026, j’aurais cherché un siège, mais elles arrivent plus vite. Très bientôt, j’aurais un siège et très bientôt je serai première ministre, je prendrai les décisions et je rendrai la vie des Ontariens plus facile. Je pourrai faire plus pour vous.