Carte santé : les francophones seront identifiés

Image de la carte Santé ontarienne. Montage ONFR+

TORONTO – Identifier la préférence linguistique des patients grâce à la carte santé de l’Ontario. L’idée est avancée depuis plusieurs années. Le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford semble vouloir lui donner vie, un peu plus de 100 jours après son élection.  

Voulez-vous recevoir des services de santé en français ou en anglais? Ça ne devrait plus être nécessaire de vous manifester pour faire connaître vos besoins. Une motion, qui sera déposée ce jeudi à Queen’s Park par la députée Amanda Simard, doit inclure au sein de la carte santé vos préférences linguistiques. Tout porte à croire que le gouvernement Ford semble vouloir régler ce dossier qui traîne depuis un bon moment.

« C’est pas en plein milieu d’une crise cardiaque qu’on essaye de figurer la langue du patient », lance Mme Simard, qui est également adjointe parlementaire à la ministre déléguée aux Affaires francophones, Caroline Mulroney. « Ça me tient vraiment à cœur et je crois que c’est important pour tous les Ontariens », a-t-elle ajouté, en marge des travaux parlementaires.

Depuis plus d’une décennie, les acteurs francophones de la santé exigent une telle identification des patients francophones, qui bien souvent doivent eux-mêmes se manifester pour obtenir des services en français.

« Au moment de renouveler la carte santé, les francophones auront l’option d’indiquer le français comme langue de préférence. Ça sera intégré sur la carte même et ça va apparaître sur les ordinateurs des fournisseurs de services, comme les hôpitaux ou les cliniques, lorsque le patient prend un rendez-vous ou se présente au comptoir », explique Gilles Marchildon, directeur de l’organisme Reflet Salvéo, qui conseille le système de santé en matière de services en français.

L’identification physique de la préférence linguistique avec un autocollant, par exemple, n’est pas nécessaire, selon lui. « L’important est l’identification, peu importe le moyen. À terme, on pourra mieux planifier les besoins et l’offre de services en français », dit-il.

Lors de la présentation de la motion à Queen’s Park, les députés de l’opposition néo-démocrate ont tous salué la proposition.  « Ma mère a appelé le 911 et personne ne pouvait l’aider en français. Ça me fait plaisir de me lever comme francophone et critique aux Affaires francophones pour appuyer cette motion », a affirmé le néo-démocrate, Guy Bourgouin.

En chambre, la conservatrice Gila Martow a affirmé que le gouvernement « ne veut pas offrir des services en français où ce n’est pas nécessaire, mais on veut en donner là où ça l’est ». Est-ce dire que si les francophones fassent peu connaître leur préférence linguistique, les services en français pourraient être à risque?

« On a beaucoup plus à gagner qu’à perdre », répond Estelle Duchon, directrice de l’Entité de la santé 4. « Actuellement, on entend tellement souvent qu’il n’y a pas de données pour justifier les services en français. On ne pourra plus dire qu’on n’a pas les données », ajoute-t-elle. « Ça fait tellement longtemps qu’on travaille sur cette initiative, de voir un débat en chambre sur le sujet, ça montre le chemin parcouru, c’était agréable de voir que des deux côtés de la chambre, il y avait une unanimité sur la nécessité d’améliorer les choses », renchérit-elle.

Même si la proposition est faite sous forme de motion, la demi-douzaine d’intervenants francophones interrogés sur le sujet considère que le projet d’identification linguistique a dorénavant tout ce qu’il faut pour voir le jour. Elle a été adoptée en chambre et pourrait, par exemple, être intégrée à un projet de loi, disent certains. Un travail administratif a aussi déjà été fait au sein du gouvernement et tout porte à croire que les choses pourraient dorénavant bouger très rapidement, selon eux.

Carol Jolin, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, affirme qu’il ne s’agit pas d’une simple motion. « Ça a une valeur, pour moi : le gouvernement s’engage à aller de l’avant. Ça vient le confirmer et très bientôt on va pouvoir récolter des données sur l’identité linguistique des gens », dit-il. « Mais il va falloir que les gens s’identifient comme francophone, quand ça sera le temps de renouveler leur carte santé. Je suis confiant que les gens vont s’identifier », ajoute-t-il.

Une mesure pour le « respect des payeurs de taxes »

Un volet de l’annonce concerne les bénéfices en matière d’efficacités réalisées grâce à ce projet. La motion se lit ainsi : « Que le gouvernement de l’Ontario intègre des données liées à l’identité linguistique au sein de la carte santé pour les deux langues officielles du Canada; et que le gouvernement de l’Ontario respecte les payeurs de taxes en maximisant le potentiel des ressources humaines et financières investies, ainsi que la qualité des soins grâce à la qualité des données ».

France Gélinas, députée néo-démocrate et critique en matière de santé, est agacée par la seconde partie de la motion. « Je vais voter en faveur de la motion, mais on aurait pu arrêter après la première phrase. Ça vient ouvrir la porte à la privatisation des services de santé. Je suis ici depuis assez longtemps pour comprendre le code. C’est le genre de chose qu’on dit quand on veut privatiser », affirme-t-elle. « Est-ce une pilule empoissonnée? », se demande la députée.

Amanda Simard défend le texte de sa motion. « Le but est de mieux servir les francophones, mais on peut le faire juste si on a l’information. C’est pas une question de business, c’est d’être le plus efficace possible », insiste-t-elle.

Gilles Marchildon affirme que l’utilisation des données pourrait avoir plusieurs bénéfices. « Quand un francophone va prendre un rendez-vous, le bureau du médecin va s’arranger pour que le rendez-vous tombe à un moment donné où il y a un francophone ou encore, prévoir un service de télémédecine. Avant, il pouvait y avoir des rendez-vous manqués. Quand il y a une meilleure planification, il y a de l’efficacité. Et les francophones pourront mieux gérer leur santé, avoir un meilleur suivi et moins se retrouver à l’hôpital », insiste-t-il.

Les services en français seront-ils au rendez-vous?

Une question demeure : une fois identifiés, les francophones pourront-ils réellement obtenir des services en français lorsqu’ils se présentent à la clinique ou à l’hôpital? Plusieurs cas semblent prouver le contraire depuis plusieurs années dans la province.

« C’est clair, qu’il y a une pénurie de services en français et de professionnels qui s’expriment en français. Il faut continuer à travailler là-dessus. Cette étape n’est pas une panacée. Il faut continuer de veiller au grain et faire du travail au niveau des ressources humaines », insiste Gilles Marchildon.