Cause toujours
[CHRONIQUE]
Ça cause beaucoup de ces temps-ci. La cause Caron est la dernière cause à laquelle la francophonie canadienne a greffé son avenir. Notre francophonie, telle qu’on la conçoit, est souvent basée sur la montagne de causes gagnées ou perdues à tous les paliers décisionnels. Il est clair que nous sommes capables de monter un dossier juridique complexe pour une cause, presqu’aussi vite que nous pouvons fonder un nouvel organisme et en tenir la première assemblée générale annuelle.
CÉLESTE GODIN
Chroniqueuse invitée
@haligeenne
C’est cette « poursuitivite » qui a permis à l’Alberta et à la Saskatchewan de joindre leur avenir collectif à la cause de M. Caron, qui contestait une contravention routière au motif qu’elle aurait dû être bilingue, selon une proclamation royale de 1869. Il faut d’abord se demander si c’était le cas sur lequel il fallait accrocher notre attention. Celui-ci semblait facile à tourner en une mauvaise caricature comme l’histoire d’un francophone qui « joue la carte francophone » pour servir sa propre cause, même si ce n’est pas le cas et que la fameuse contravention a été réglée pour éviter cette perception. C’est toutefois directement nourrir le risque de causeries et de commentaires médisants de la part de certains médias anglophones. Ce n’est pas suffisant de simplement choisir un cas qui est relié aux droits des francophones, il faut en choisir un qui attire la sympathie externe. Ça prend un cas qui va survivre la décennie qu’il passera dans les médias, s’il se rend jusqu’à la Cour suprême du Canada.
Nous devons également nous questionner sur la relation entre la cause et l’impact de l’effort humain et matériel consenti sur ces cas juridiques pour faire un changement social. L’avocat de M. Caron, Me Lepage, disait qu’en gagnant cette « fran-cause », il y aurait « un changement politique, psychologique chez les francophones ». Il espérait « créer un espace où les francophones seront des citoyens à part entière ».
Ce n’est pas sur les bancs de la Cour suprême du Canada que nous allons nous créer des espaces francophones, ni régler nos « psy-causes ». C’est dans les rues, dans nos propres familles, dans nos écoles, dans nos oreilles qu’il faut épouser nos causes.
Pardonnez mon scepticisme, mais je dois remettre en cause l’idée qu’un gain de cause dans l’affaire Caron-Boutet aurait entraîné un changement psychologique et social nécessaire pour lutter contre le taux d’assimilation de l’ouest. S’il y a doute à porter sur l’impact de la nouvelle loi au Manitoba, il faut aussi vraiment questionner ce que des causes comme celle-ci ont comme impact. Il faut être réaliste et se dire que des causes juridiques sont souvent philosophiquement importantes, mais ont peu ou pas d’effets sur la vie du francophone moyen.
Nous avons, en Nouvelle-Écosse, une Loi sur les services en français. Cette loi nous donne le droit de recevoir tous nos services provinciaux dans notre langue. Cette loi n’a pas été le fruit d’une cause juridique, mais d’un projet de loi multi-partisan. Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse fait et continue de faire des efforts admirables pour déployer les effectifs nécessaires afin de logistiquement offrir toute sa gamme de services en français, dans une province où le 3% de francophones est très géographiquement dispersé. La province, en partenariat avec la communauté, a même fait une campagne publique pour encourager la population à oser demander ses services, et pour les rassurer qu’ils n’avaient pas à standardiser leur français pour le faire.
Dix ans plus tard, les jeunes se parlent encore en anglais à l’école. Moi-même, je peine parfois à demander mon service en français, parce que je ne suis pas toujours prête à faire tous les sauts qu’il faut faire pour y arriver, compte tenu de la minable satisfaction d’avoir dépensé tout ces efforts et emmerdé plusieurs personnes pour qu’on me parle en français pour 10 minutes. Pour moi, ce n’est pas vraiment ça vivre en français.
La cause Caron aurait donné le devoir de légiférer en français aux gouvernements de l’Alberta et de la Saskatchewan. Mais pourquoi ne pas mettre nos énergies sur les choses auxquelles nous avons déjà droit? Nous avons le droit de miser sur le quotidien des citoyens francophones. Nous avons le droit de prioriser les actions qui visent directement les causes de nos problèmes. Nous avons le droit d’investir dans l’éducation massive des parents unilingues anglophones afin qu’ils aient les outils nécessaires pour encadrer leurs enfants à la maison et contribuer à nos communautés. Nous avons le droit de travailler sur des stratégies innovantes de marketing pour rejoindre la proportion – probablement majoritaire – de francophones et de « franco-intéressés » qui vivent à l’extérieur de nos structures communautaires. Nous avons le droit de créer des espaces purement sociaux où le français peut se vivre sans ordres du jour, ni plans stratégiques. Nous avons le droit de nous tourner vers les citoyens de façon massive pour les engager et nous assurer que les fondations de nos fédérations reposent encore et toujours sur les citoyens et que nous travaillons pour répondre à leurs vrais besoins. Nous avons le droit de descendre dans les rues pour plaider nos causes et exiger du changement tout de suite, au lieu de patiemment et dispendieusement naviguer entre tous les paliers juridiques du pays.
Si certains diront qu’il faut voir plus grand et voir le rôle du juridique dans notre avenir communautaire, je dirais qu’il faut plutôt voir encore plus grand et admettre que les francophones ont davantage besoin de sécurité linguistique et d’espaces sociaux tangibles pour pleinement vivre leur langue.
Causons plutôt de ça.
Céleste Godin est une écrivaine et militante acadienne de la Nouvelle-Écosse.
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