Ces Français en Ontario, si loin et si proches du pays d’origine
[TÉMOIGNAGES]
La France est championne du monde de soccer depuis dimanche. Des milliers de Français présents en Ontario étaient devant leur écran pour le match face à la Croatie. Dans l’allégresse de la victoire, nous avons rencontré quatre d’entre eux, installés dans la province depuis de nombreuses années. Leaders communautaires ou anonymes, ils nous partagent leur processus d’intégration et leur adaptation à la vie… franco-ontarienne.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
Francette Maquito (Toronto)
Les matchs de l’équipe de France à la Coupe du monde, Francette Maquito les a vus pour la plupart. « J’ai pris des journées personnelles pour les regarder. Cette équipe est très symbolique, avec la présence de joueurs de couleurs. Elle montre qu’en tant que français, nous devons être fiers de la diversité. »
Employée au collège Glendon, Francette Maquito a pourtant passé seulement les quatre premières années de sa vie en France, les 20 autres à Toronto. « Je suis Française d’abord, mais Franco-Ontarienne d’adoption », affirme-t-elle.
Originaire de la Chapelle-sur-Erdre, un petit village non loin de Nantes, elle se souvient encore de l’arrivée de sa famille au Canada. Un processus d’intégration truffé d’obstacles. « Mon père est Philippin. Il était parti un an avant ma mère et moi pour s’installer à Toronto. Ma mère a eu du mal à s’adapter du fait de la barrière de la langue. De mon côté, j’ai appris l’anglais en regardant les dessins animés. »
Malgré la distance et les années, le lien avec la France reste fort. Chaque été depuis son enfance, Francette Maquito passe deux mois dans son pays d’origine. « Je n’ai vraiment pas passé mes étés au Canada. Aujourd’hui, avec le travail, je dois rester davantage à Toronto. Mais jusqu’à il y a encore trois ou quatre ans, avant de prendre ce poste à Glendon, je me voyais m’installer en France. »
Regrette-t-elle à ce point les fameux vins et fromages français? « Il y a tellement plus d’opportunités ici, au Canada. En plus, je suis totalement bilingue, ce qui m’ouvre des portes. Mais il y a en France un style de vie. Les gens sont beaucoup plus lents, prennent le temps de vivre. Ça me manque. »
Éric Mathieu (Ottawa)
Le destin d’Éric Mathieu au Canada a mis bien longtemps à se dessiner. Et reste avant tout le fruit du hasard. Après avoir quitté sa Lorraine natale à 19 ans, il passe quasiment autant d’années en Angleterre où il décroche un doctorat en linguistique. « Pour travailler dans mon domaine, j’étais ouvert à toutes les possibilités dans le monde. J’ai finalement eu un emploi rêvé à l’Université d’Ottawa en 2004. C’est ainsi que je suis arrivé. »
14 ans plus tard, Éric Mathieu mesure le chemin parcouru. Ces dernières années, le professeur a fait parler sa plume, avec deux romans aux éditions La Mèche salués par la critique : Les Suicidés d’Eau-Claire (2016) et Le goupil (2018).
« Il n’y a pas de société parfaite, mais je trouve la société canadienne, en général, très inclusive. En fait, je me sens bien partout, même si je sais que je ne suis pas à 100 % dans le moule. Je pense être attaché à une certaine définition culturelle de l’Europe, avec la littérature, les magazines, le cinéma, cette façon de penser où l’on est à l’aise avec le débat politique, plus qu’au Canada. C’est toute une éducation! »
Éric Mathieu n’a jamais coupé les liens avec son pays d’origine. « J’ai le projet d’y retourner pour quelques semaines. » Mais pas question de faire marche-arrière. « Avant d’immigrer au Canada, je suis retourné en France quelques mois. Je n’avais plus de numéro de sécurité sociale, j’ai vécu de petits boulots. J’étais pourtant Français. Je me suis mis à la place des immigrants en France, j’ai mieux compris leurs difficultés. »
Dimanche dernier, le professeur et écrivain a délaissé ses livres pour le match de l’équipe de France. « C’était stressant! Mais après la vague d’attentats terroristes, cette victoire est bonne pour le moral! »
Audrey Debruyne (Thunder Bay)
Très active sur les médias sociaux, Audrey Debruyne n’a jamais sa langue dans sa poche quand il faut défendre les Franco-Ontariens. On a presque du mal à croire que cette leader francophone de la région de Thunder Bay n’est installée au Canada que depuis 2012.
« Je vivais dans la région parisienne, mais j’étais au chômage. J’ai eu mon Programme Vacances Travail (PVT) et j’ai commencé à travailler à Rimouski. Je voulais éviter les Français et les grande villes. Mais au Québec, je me sentais en trop. Les Québécois avaient peur que je le prenne leur travail. En Ontario, les gens étaient ravis de m’accueillir. Autant aller dans une province anglophone pour défendre le français! »
Les emplois et responsabilités s’enchaînent alors pour Audrey Debruyne. D’abord à l’Association des Francophones du Nord-Ouest de l’Ontario (AFNOO), puis maintenant au Conseil scolaire du district catholique des Aurores boréales à titre d’agente de liaison. Au passage, elle devient présidente du Club Canadien Français de Thunder Bay.
Fière franco-ontarienne donc? La question provoque l’hésitation. « Ça ne plaît pas à tout le monde de dire que les immigrants sont Franco-Ontariens. On nous associe à cette définition quand ça arrange. Quand il s’agit de faire grossir les statistiques, alors oui, on est effectivement Franco-Ontarien pour certains. »
Résidente permanente au Canada depuis 2015, elle ne prévoit pas repartir en France. Du moins pas dans le court terme. « Il y a tout de même beaucoup de référents culturels entre les gens en France. C’est quelque chose qui me manque ici. »
Autre petite difficulté manifeste rencontrée dimanche dernier : trouver les vidéos des buts de l’équipe de France. « Nous avons dû beaucoup fouiller pour visionner les meilleurs moments. Depuis le Canada, les vidéos de TF1 [principale chaîne de télévision française] ne sont pas accessibles en ligne. »
Emmanuel * (Ottawa)
Sent-il qu’il en a trop dit sur son parcours d’immigrant à #ONfr? Au bout du téléphone, la voix se crispe un peu. « Mon histoire est tout de même personnelle », soutient Emmanuel, employé à l’Université d’Ottawa depuis 2005. Son nom ne sera donc pas diffusé. Dans la capitale, ce trentenaire originaire du département français d’outre-mer de La Réunion a pourtant trouvé la stabilité professionnelle. Mieux, il a rapidement fondé une famille avec deux enfants.
Reste que tout n’a pas été simple entre son départ depuis Saint-Denis de La Réunion, en 2000, jusqu’à son arrivée à Ottawa. « J’ai passé plus de quatre ans à Montréal, mais je n’ai pas aimé. C’était une très grosse ville, et je n’ai pas trouvé les gens aussi ouverts qu’ils le prétendaient. J’étais fatigué des discussions sur le hockey, les bars de danseuses, la bière et le Québec libre. »
Heureux en Ontario et francophone, Emmanuel n’en rejette pas moins son appartenance à la culture franco-ontarienne. « J’ai du mal à voir les points communs. Je ne pense pas comme eux. Le terme de Canadien naturalisé me conviendrait plus, si je dois définir mon identité. »
Hormis sa grand-mère, Emmanuel n’a aujourd’hui plus beaucoup de contacts avec son île natale. Mais 18 ans après son départ, le choc culturel opère toujours. « L’hiver continue de m’agacer. On parle quand même d’une différence de 80 degrés en six mois. La mer et le soleil me manquent. Par contre, j’apprécie le Canada pour sa sécurité. Ici, tu peux marcher sans baisser la tête. »
De la victoire française contre la Croatie, il n’en a vu que les articles et les images tournant en boucle sur les médias sociaux. « Je n’ai pas la télévision chez moi. Sinon, j’aurais regardé. Et si j’avais été à La Réunion, je serais allé faire la fête. »
* Sur demande de la personne en entrevue, le nom de famille n’a pas été publié