Ces francophones qui font campagne pour la première fois
[TÉMOIGNAGES]
À travers le Canada, ils sont plusieurs francophones à avoir décidé, pour la première fois, de tenter leur chance en politique fédérale. ONFR+ a parlé avec trois d’entre eux*.
Estelle Hjertaas, Prince Albert, Saskatchewan
Fransaskoise de Regina, Estelle Hjertaas aurait pu poursuivre sa carrière hors de sa Saskatchewan natale. Mais après avoir gradué à l’Université McGill, puis à l’Université d’Ottawa, cette avocate a décidé de s’établir et travailler à Prince Albert.
Aujourd’hui, elle y est la candidate du Parti libéral du Canada, dans une circonscription conservatrice où le député Randy Hobacke, en place depuis 2008, sera difficile à déloger. Mais qu’importe, Mme Hjertaas est satisfaite d’avoir fait le saut en première ligne après avoir été impliquée pendant plusieurs années au sein du PLC.
« Dans mon travail pour l’aide juridique, j’ai l’impression de toujours voir les mêmes choses, les mêmes histoires… Beaucoup de mes clients sont des autochtones. Ils ont vécu de grands traumatismes. La dernière école résidentielle a fermé en 1996, ici. Il y a des gens qui ont mon âge et qui en ont été victimes. Aujourd’hui, ils se retrouvent dans des communautés isolées et avec un système qui les maintient dans la pauvreté. Il faut leur donner les outils pour les aider. »
Prince Albert est connu pour avoir l’un des taux de criminalité les plus élevés au Canada. Cette année, les crimes contre la propriété y ont augmenté de 12,75 % par rapport à l’année dernière, avec 1 875 cas.
« Les gens sont inquiets, mais on peut changer ça! », assure Mme Hjertaas.
La question des conditions de vie des autochtones était une priorité du gouvernement libéral en 2015. Quatre ans plus tard, il reste encore beaucoup à faire, selon de nombreux intervenants.
« Nous avons changé la façon de négocier avec les Premières nations. Désormais, nous travaillons ensemble. Aucun gouvernement n’avait jamais fait autant », défend la candidate libérale. « Mais la réalité, c’est que ça prend du temps. »
Redonner le contrôle aux communautés autochtones en matière de santé ou d’éducation est une priorité pour la Fransaskoise qui juge que son statut de minorité linguistique l’aide à mieux comprendre la réalité vécue par les Premières Nations.
Pour la communauté francophone de sa région, celle qui siège au conseil d’administration de la Société canadienne-française de Prince Albert insiste sur les besoins en éducation et se félicite de la présence de nombreux immigrants francophones.
« Ils gardent la communauté en vie et sont très impliqués », dit-elle.
Daniel Thériault, Acadie-Bathurst, Nouveau-Brunswick
Longtemps intéressé par la politique, Daniel Thériault a décidé de faire le grand saut cette année. L’ancien directeur général de la Fédération culturelle acadienne de la Nouvelle-Écosse représentera le Nouveau Parti démocratique (NPD) dans Acadie-Bathurst.
« Je suis la politique de près et le NPD a toujours été proche de mes valeurs. J’aime le beau mélange de développement économique durable, de justice sociale et d’environnement. Mais comme je travaillais sur beaucoup de dossiers en lien avec la défense des droits linguistiques, et donc avec différents gouvernements, j’ai toujours voulu rester non partisan. Là, j’ai saisi l’opportunité, car je pense qu’il faut une voix forte du NPD pour ici. »
Au cours de sa carrière, M. Thériault s’est impliqué dans plusieurs organismes de la francophonie canadienne, dont la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, l’organisme porte-parole des Acadiens de la province, et au sein de la Fédération culturelle canadienne-française.
« Les gens sont sensibles à la question linguistique, ici, car nous avons une forte majorité francophone. En voyant ce qui se passe au niveau provincial [le gouvernement progressiste-conservateur de Blaine Higgs, minoritaire, dirige le Nouveau-Brunswick avec l’aide du parti antibilinguisme, l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick], la communauté est méfiante vis-à-vis des conservateurs. Des choses qu’on pensait acquises sont remises en cause et on doit se battre pour maintenir nos acquis au lieu de viser le progrès! », dénonce-t-il.
À l’annonce de sa nomination, le 23 septembre, il était accompagné du chef du parti Jagmeet Singh, mais aussi de l’ancien député néo-démocrate de la circonscription, Yvon Godin, élu de 1997 à 2011 et grande figure des langues officielles au parlement fédéral.
« Yvon Godin est un atout considérable dans ma campagne. Les gens ont de beaux souvenirs de lui comme d’un grand défenseur de la francophonie et des gens ordinaires. »
Pour le candidat néo-démocrate, c’est d’ailleurs le principal reproche qu’il adresse au député libéral sortant, Serge Cormier : celui de ne pas avoir livré la marchandise pour les gens d’Acadie-Bathurst, notamment pour les travailleurs saisonniers.
« Pour nous, il y a un double enjeu : quand une personne quitte la région, car elle ne trouve pas de travail, c’est aussi un francophone que nous perdons dans notre communauté. Cela prend une intervention massive du gouvernement fédéral! »
Partisan d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, M. Thériault souhaite régler une bonne fois pour toutes une aberration en réclamant que les services fédéraux soient bilingues partout dans la seule province bilingue du Canada.
Suzanne de Montigny, New Westminster-Burnaby, Colombie-Britannique
Francophone née à Vancouver, la candidate du Parti vert du Canada dans New Westminster-Burnaby, en Colombie-Britannique, Suzanne de Montigny a bien failli perdre totalement son français.
« Je l’ai perdu à sept ans. Mes parents étaient tous les deux francophones et parlaient le français à la maison, mais à l’époque, il n’y avait pas d’école de langue française ou d’immersion. C’était donc naturel de parler anglais, même si je comprenais encore bien le français. C’est quand je suis allée au Nouveau-Brunswick avec mon mari que j’ai réalisé le problème et décidé de faire quelque chose. J’étais dans la trentaine. »
Aujourd’hui, elle juge que le français l’aide à communiquer avec les électeurs pendant sa campagne électorale.
L’achat par le gouvernement fédéral du pipeline Trans Mountain a été le déclencheur de sa vocation politique.
« On a toujours été libéraux dans ma famille, mais cette décision m’a convaincue de me présenter. Je suis inquiète pour mes enfants et je ne trouve personne qui parle sérieusement des changements climatiques autres que le Parti vert. »
Environnementaliste, auteure, musicienne et ancienne enseignante depuis 20 ans à la Commission scolaire de Vancouver, Mme de Montigny veut que le Canada respecte l’Accord de Paris sur les gaz à effet de serre. Et pour sa circonscription, elle rejette tout pipeline, prônant plutôt d’utiliser l’argent économisé pour développer le réseau électrique national et les énergies vertes.
« L’Alberta est très bien située pour accueillir des éoliennes et des panneaux solaires. Je pense que ça pourrait permettre aux travailleurs de l’industrie pétrolière de faire la transition », dit-elle, tout en insistant également sur l’importance de développer des logements abordables.
Malgré la confiance des électeurs de New Westminster-Burnaby en Peter Julian, du NPD, depuis 2004, elle croit en ses chances.
« Le retour aux portes est très bon », dit-elle, avant d’aller poursuivre sa tournée.
*ONFR+ a tenté de parler avec des candidats francophones à l’extérieur du Québec de tous les principaux partis fédéraux. La candidate conservatrice du Parti conservateur du Canada dans Saint Boniface-Saint Vital, Réjeanne Caron, a décliné notre demande, préférant se concentrer sur son porte-à-porte, nous a répondu son directeur de campagne.