Arriver au 21e siècle
[CHRONIQUE]
En 1998 il n’y avait pas d’iPad, l’Internet était toujours à ses balbutiements, et on présentait encore comment utiliser un condom en le roulant sur une banane. Pas de cellulaires à la portée de main, et surtout pas de selfies, ni de Facebook, et le système de clavardage se limitait souvent à des discussions avec des étrangers loin des regards de ses amis. C’est aussi la dernière fois que le curriculum d’éducation sexuelle en Ontario a été réformé. Qu’on passe à d’autres choses, aujourd’hui, est quelque chose qu’on doit célébrer.
SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville
La société ontarienne a énormément évolué depuis la dernière mise à jour du curriculum. Les mariages de même sexe sont légalisés, la structure familiale traditionnelle a éclaté, et les nouvelles technologies ont multiplié les plateformes de socialisation. Nos amis, on les emporte avec nous, sur Facebook, par messagerie texte et par les nombreux autres supports. La notion de consentement a aussi énormément évolué. Heureusement, on parle aujourd’hui d’un consentement continu plutôt qu’ambigu. Il était temps d’arriver dans ce siècle.
Malgré tout, des groupes de parents à tendance conservatrice ou religieuse militent présentement contre ce changement de curriculum. Selon eux, l’État n’a aucune raison de s’infiltrer dans l’éducation sexuelle de leurs enfants. Il y avait même une affiche comique qu’un manifestant tenait à Queen’s Park affirmant que le gouvernement libéral tente d’inviter Satan dans l’éducation des enfants. C’est de l’obscurantisme tout court.
Des notions cruciales pour l’avenir
Notre loi sur l’éducation stipule qu’un enfant peut être retiré de l’école publique afin d’être éduqué par ses parents tant et aussi longtemps que cette éducation est du même niveau que celle offerte par les écoles publiques. C’est, entre autres, pourquoi on peut envoyer notre enfant dans une école privée.
Or, le but de l’école est double.
D’une part, c’est technique. Il faut transmettre des notions de mathématique, de lecture, de sciences, etc. D’autre part, il y a une mission culturelle rattachée à l’école. Celle-ci est de participer à la formation civique de l’élève. D’ailleurs, l’école transmet les valeurs sociétales de la tolérance, de la liberté individuelle, du respect de la diversité et des religions, etc. L’éducation sexuelle fait partie du curriculum depuis de longues décennies.
On peut aussi dire que l’école fait ce que les parents, pour plusieurs raisons, ne sont incapables de faire : donner une instruction généralisée à un enfant pour le former à devenir un adulte. D’ailleurs, un curriculum, en principe, existe afin que chaque enfant ait accès à la même base de connaissances, peu importe son lieu de résidence, son ethnicité, sa classe sociale ou sa religion. Sa fonction socialisante est fondamentale pour le bon fonctionnement de la société.
Par l’entremise des écoles publiques, l’enfant reçoit les bases qui lui permettent non seulement d’accéder au marché du travail et aux études supérieures, mais de devenir un citoyen modèle.
Il est très difficile de sympathiser avec des parents qui cherchent à priver leur enfant d’une connaissance de base de la sexualité à un bas âge, comme si la puberté était le seul moment propice à cette discussion. Certains enfants ont une vie sexuelle à un très jeune âge, et il n’est pas exceptionnel que l’enfant soit initié à la stimulation génitale – par accident ou par exploration – bien avant ce stade de développement.
Il est essentiel d’armer la nouvelle cohorte d’enfants avec les notions qui permettra de se défendre contre les abus potentiels que sont les situations de consentement ambiguës ou même l’intolérance quant à la composition familiale ou à l’orientation sexuelle. Loin d’inviter Satan dans la salle de cours, cette réforme risque plutôt d’inviter la logique.
Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.
Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.