Leçons sur le chemin du bilinguisme
[CHRONIQUE]
L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) cherche à faire de l’Ontario une province bilingue et à enchâsser les droits des Franco-Ontariens dans la Constitution du Canada. J’ai immédiatement souri en apprenant la nouvelle. La raison étant qu’il y a 28 ans, on croyait que 1986 allait marquer l’année que l’Ontario devienne finalement une province bilingue.
SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville
Le cliché veut que ceux qui ignorent l’histoire soient voués à la répéter. Ayant eu le privilège d’étudier la question durant ma maîtrise, j’ai cru bon de puiser dans mes recherches dans l’espoir qu’on apprenne des erreurs du passé.
Les décennies 1970 et 1980 sont une période charnière dans l’histoire franco-ontarienne. C’est le début des écoles publiques de langue française, le lancement d’une bataille pour les conseils scolaires homogènes – séparé/public – de langue française et l’avènement des procès en français dans la province.
L’optimisme est à son comble, et les observateurs estiment que l’étape du bilinguisme officiel arrivera bientôt.
Une première tentative
À l’Assemblée législative, l’année 1978 marque une première tentative en ce sens. Rappelons que les progressistes-conservateurs sont au pouvoir depuis 1943.
Le premier ministre Bill Davis mène son caucus avec une main de fer afin d’assurer le maintien au pouvoir de son gouvernement minoritaire. Le député libéral Albert Roy, voulant presser le pas du gouvernement en matière de services en français, présente le projet de loi privé 89 qui donnerait le droit aux citoyens d’obtenir des services en français du gouvernement provincial.
C’est que Roy est rusé : il sait que Davis se veut champion de l’unité nationale, et que les choses bouillonnent au Québec à la suite de la victoire péquiste de 1976. En effet, le premier ministre de l’Ontario s’est rendu à Montréal en 1977 pour vanter le bilinguisme de sa province aux Québécois. Toutefois, il demeure froid à l’idée d’une loi sur les services en français, citant la peur d’un ressac anglophone.
Or, les choses se gâtent, et Queen’s Park devient aussitôt le centre d’un véritable cirque. À la surprise générale, le projet de loi est adopté en deuxième lecture le 1er juin 1978, et ce, à l’unanimité! Le projet de loi est donc soumis au comité de la justice pour passer ensuite à la troisième lecture. Roy croit d’avoir déjoué le gouvernement avec son coup de théâtre.
Paniqués, Davis et son équipe, faisant preuve d’un amateurisme mal caché, dépêchent en toute vitesse un communiqué de presse indiquant que le gouvernement va torpiller le projet de loi et « ne prendr[a] pas non plus de mesure[s] pour déclarer le français une langue officielle en Ontario ». Il va de soi que les médias s’amusent à lancer des flèches au gouvernement. En effet, l’en-tête de L’Express de Toronto lira dans les semaines qui suivent « Nous nous souviendrons du 1er juin ».
Une première tentative est défaite.
Le rendez-vous manqué
Ce ne sera qu’avec la défaite des progressistes-conservateurs en raison de l’alliance des libéraux et des néo-démocrates en 1985 qu’arrive la prochaine avancée pour le français en Ontario. Le nouveau ministre des Affaires municipales et ministre délégué aux Affaires francophones, Bernard Grandmaître, fait du bilinguisme et de l’enchâssement des droits franco-ontariens dans la Constitution du Canada son projet politique.
De plus, tous les espoirs sont permis alors que David Peterson laisse entendre que le bilinguisme provincial fait partie des priorités de son gouvernement.
Toutefois, en janvier 1986, le ministre change son fusil d’épaule. Il indique que le bilinguisme officiel ne pourra pas être adopté cette année, et qu’il faut plutôt passer par l’étape des services en français. Du côté des médias écrits, Alain Dexter du quotidien LeDroit est le seul qui se questionne quant à la volonté politique du gouvernement de rendre la province bilingue.
Grandmaître fait volte-face. Au lieu du bilinguisme officiel, c’est une loi-cadre sur les services en français qu’il promeut. Durant l’été, le ministre dépose son projet de loi 8 qui limite l’accès aux services en français avec des mesures démographiques contraignantes. Loin de rendre l’appareil étatique bilingue, la loi favorise plutôt la livraison de services en français là où le nombre le justifie et seulement lorsqu’un citoyen en fait la demande.
Un plafond sur l’ambition?
Malgré les limites de la loi, les médias s’enivrent d’enthousiasme de ce geste concret et laissent tomber le morceau du bilinguisme pour le biscuit des services en français.
Grandmaître, ayant déjà prêché par l’étapisme quelques mois auparavant, refuse maintenant d’affirmer que le bilinguisme officiel est la prochaine étape pour la province. Bien qu’on ignore ce qui s’est passé, on peut s’imaginer qu’une révolte de caucus guettait le gouvernement Peterson si la province passait à l’étape suivante.
Ce qui étonne dans l’affaire est que les médias et les organismes franco-ontariens martelaient que leur but était d’obtenir le bilinguisme officiel, mais qu’ils se sont contentés du droit d’être servis en français… là où le nombre le justifie. Selon leur version des faits, la Loi 8 n’était qu’un tremplin vers l’inexorable bilinguisme de la province.
Peut-être ont-ils jugé qu’ils ne pouvaient pas demander mieux?
Il faut dire que, après des décennies d’inaction, la province avait enfin posé un geste concret en matière de services en français. Il n’en demeure pas moins qu’on peut tirer une leçon fort importante dans l’adoption de cette loi : rien n’est acquis.
Avis à l’AFO : après 28 ans, cette loi qui devait être le tremplin vers le bilinguisme officiel a plutôt été un plafond imposé sur l’ambition des Franco-Ontariens.
Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.
Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.