Les grandes perdantes
[CHRONIQUE]
La plus longue campagne électorale dans l’histoire moderne du Canada tire péniblement à sa fin. On peut se permettre de croire qu’une plus longue campagne pourrait, en théorie, permettre des réflexions plus poussées sur de nombreux enjeux électoraux. Or, des enjeux humanitaires comme la crise des réfugiés syriens ont été balayés du revers de la main aussitôt qu’ils se manifestaient.
SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville
L’environnement en prend pour son rhume, n’ayant peu ou pas de mentions auprès des politiciens des grandes formations politiques et reste un sujet muet de la part du gouvernement sortant. Le débat actuel semble toujours rôder autour du pitoyable et inintéressant sujet du port du niqab lors des cérémonies d’assermentation. C’est le seul enjeu « féminin » de la campagne électorale.
C’est justement les femmes qui ont le plus perdu de cette campagne.
La politique canadienne avait, lors des dernières années, souvent martelé l’importance d’enquêter sur l’assassinat des femmes autochtones. Sauf pour quelques mentions du côté des libéraux, cet enjeu, n’ayant vraisemblablement pas une clientèle électorale assez large pour le justifier, a surtout été ignoré lors des débats et durant la campagne.
Pourtant, des milliers de femmes ont perdu la vie, sont victimes d’agressions physiques et sexuelles. Les femmes autochtones constituent la population la plus vulnérable du Canada. De plus, ces communautés sont d’ailleurs les plus jeunes. Le taux de croissance des familles des Premières nations est exubérant. Alors qu’on prédisait leur disparition, il y a plus d’un siècle, les peuples autochtones démontrent fermement qu’ils sont ici pour rester.
Il est nécessaire, tant moralement qu’au niveau humanitaire, de les prendre enfin au sérieux. Pourtant, malgré leur importance démographique, le gouvernement présent et les partis politiques le savent : les autochtones votent en moyenne 20% de moins que les autres Canadiens. Le clientélisme est le grand victorieux de cette campagne.
Le pouls du progrès
Il y a pourtant énormément de questions sur les femmes qui affectent l’ensemble de la société. La condition féminine est en quelque sorte le pouls du progrès d’une société moderne. Si elles ne s’engagent pas autant en politique et sont écartées du pouvoir dans les grandes entreprises, ce n’est certainement pas par manque de compétences, mais bien à cause d’un système de discrimination bien voilé – une burqa du patriarcat si on nous permet cette grossièreté – qui persiste et signe dans la vie quotidienne.
Il existe deux poids et deux mesures dans la société occidentale que nous pouvons observer chaque jour au Canada. On maintient qu’il y a un genre à chaque travail, et que la politique est surtout l’apanage des hommes. La conséquence est qu’on ne cesse de parler de sujets vagues comme l’économie et qu’on rejette du revers de la main de nombreuses politiques sociales qui pourraient fortement améliorer notre condition humaine dans ce pays.
Le fait que le niqab demeure l’enjeu « féminin » dominant de la campagne démontre à quel point le boys club est puissant sur la scène politique. Au lieu de tenter de donner toutes les opportunités possibles à ces femmes pour s’éduquer et s’intégrer, on propose surtout de les opprimer davantage en leur imposant des conditions en ce qui a trait aux vêtements. En quoi est-ce améliorer la condition féminine lorsqu’un homme décide pour une femme le port de son vêtement? En quoi est-ce différent lorsque l’État lui impose la même?
On peut être en désaccord avec le port de vêtements religieux qui, pour plusieurs, expriment la soumission féminine. Va. Mais légiférer sur cette question, et en faire le seul enjeu « féminin » d’une campagne électorale qui s’éternise, c’est complètement dérisoire.
Les grandes perdantes de cette campagne électorale sont les femmes. En ricochet, ce sont les hommes et l’ensemble de la population qui en souffrent. Les enjeux féministes, les enjeux des femmes, ne sont pas uniques à la vie du sexe féminin. C’est un rapport entier à l’existence. Les refuser, c’est vouloir reproduire l’oppression de la personne. Ce n’est pas un niqab qui va changer la donne.
Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.
Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.