Les oubliés de l’assurance-maladie
[CHRONIQUE]
Ronnie Morris, doctorant en histoire à l’Université York et fils d’immigré écossais est présentement partiellement paralysé. Sa vision est floue et il a de la difficulté à parler. Sa réhabilitation est, d’ailleurs, fort compliquée. Il devra passer des mois, voire des années, avant de pouvoir retrouver une partie de sa forme physique et mentale qu’il avait avant son accident.
SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville
Si la route n’était pas déjà assez difficile, le doctorant de Brampton est inéligible pour une couverture provinciale pour cette réhabilitation. Ses parents et amis doivent donc payer de leur propre poche pour s’assurer que ce bassiste pour des groupes de rock indépendant et cet historien de l’époque moderne de la Grande-Bretagne puisse mener à terme ses études et ses projets qui lui ont été volés par la précarité qui nous entoure.
La réhabilitation payée par les fonds publics établit un critère d’âge pour gérer l’admissibilité des patients. Bien que Ronnie soit jeune, ne fume pas, et menait une carrière académique qui lui donnait des outils et des qualifications qui le rendaient fort attrayant pour le marché du travail, son AVC a fait en sorte que sa vie est en suspens pour un avenir indéterminé.
Malheureusement pour lui, le Régime d’assurance maladie de l’Ontario (RAMO) – mieux connu sous son appellation anglophone, OHIP – ne le considère pas comme étant éligible pour couvrir les coûts de sa réhabilitation, car il est trop jeune. Ayant souffert une paralysie partielle, Ronnie a une longue route devant lui. De plus, il devra engager des dépenses extrêmes. Étant assistant de cours à l’Université York et ayant fait la grève, il n’a qu’un emploi précaire et il ne pourrait pas à lui seul payer ces dépenses. Sa famille doit faire appel à la charité pour l’aider.
Des critères dépassés
Pour être admissible pour des paiements en réhabilitation du RAMO, il faut avoir moins de 20 ans ou plus de 64 ans pour être éligible. Comment expliquer un règlement aussi absurde? Essentiellement, les dispositions dans la loi ont tenu pour acquis que les individus âgés de 20 et 63 ans font partie de la population active et ont accès à des programmes d’assurance maladie privée payée par leur employeur.
L’idée était simple : les personnes dans cette tranche d’âge ont des emplois bien rémunérés avec un programme d’assurance qui assumerait les coûts. S’ils sont aux études, ce serait le programme d’assurance maladie des parents qui veillerait au bien-être des enfants. Plusieurs régimes, en effet, couvrent les dépendants jusqu’à l’âge de 25 ans, le temps d’un baccalauréat, et même d’une maîtrise.
Ces dispositions, toutefois, sont ancrées dans un passé distant. Elles sont une relique d’un temps où, en Ontario, les citoyens pouvaient aspirer dès leur sortie du secondaire sécuriser un emploi et y travailler toute leur vie. Souvent, ces emplois étaient syndiqués, et le traitement de l’emploi permettait l’obtention de bénéfices au niveau des soins de santé.
Or, comme le rappelle le Toronto Star dans une série sur le travail précaire en Ontario, plus de 50% des emplois sont occupés à temps partiel, en précarité (contrats court terme, permis de travail), ou par des travailleurs autonomes. Bref, plus de la moitié de la population active de la province n’ont vraisemblablement aucun régime de soins de santé que la loi provinciale du RAMO estime leur est déjà accessible.
Pour Ronnie, bien qu’il occupe en emploi précaire avec certains bénéfices en raison d’une forte convention collective, cela veut dire qu’il doit néanmoins payer de sa poche afin de regagner une autonomie et, de fait, contribuer à la richesse de la province. Ces cas ne sont pas isolés et font partie de la tranche des citoyens oubliés de l’OHIP. La province abandonne, et le mot est juste, ses citoyens. C’est trahir l’esprit des soins de santé universels.
La province doit cesser de discriminer contre les travailleurs précaires et donner des soins à ceux qui en ont besoin. Entre temps, Ronnie doit se rabattre sur la générosité de ses paires. Ses amis ont d’ailleurs créé un site web dédié à sa récupération.
Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.
Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.