Claudette Gleeson, militante en milieu ultra minoritaire

Claudette Gleeson cumule près de 35 ans d'implications auprès de la communauté francophone de Thunder Bay. Gracieuseté.

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

THUNDER BAY – Originaire de North Bay et installée dans la région de Thunder Bay depuis près de 35 ans, Claudette Gleeson a un parcours particulièrement riche. Fondatrice et présidente du Franco-Festival de Thunder Bay, présidente du conseil d’administration de l’Association des francophones du Nord-Ouest (AFNOO), vice-présidente du Conseil scolaire du district catholique des Aurores boréales, présidente de l’Accueil francophone de Thunder Bay, cette maman accumule les expériences et les nombreuses distinctions.

« Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance à North Bay?

Je suis née à North Bay dans une communauté francophone, mes deux parents sont francophones, mais on était vraiment minoritaire. Alors je ne parlais pas un mot d’anglais. J’ai appris l’anglais quand j’ai commencé à jouer avec les voisins. J’ai vraiment eu de la difficulté avec les anglophones, c’est drôle à dire, mais c’est vrai. Quand j’étais jeune, parler en français c’était mal vu.

Comme je ne parlais pas bien l’anglais, on m’a intimidée. Je pense que ça a été le moteur de pourquoi je fais ce que je fais aujourd’hui. C’est quelque chose que j’ai mieux vécu quand j’ai grandi. Même si j’étais blanche, pour moi, c’était du racisme. T’étais francophone, t’étais considéré comme inférieur aux anglophones. J’ai toujours voulu aider les personnes qui étaient moins bien considérées. C’est ce que je fais aujourd’hui avec les immigrants parce que je sais ce que c’est de commencer à zéro ailleurs.

Quel a été ce moteur, ce point de départ?

Je me rappelle de ce moment où j’étais membre consultatif francophone pour l’École de médecine du Nord de l’Ontario. Ce qu’il manquait dans le Nord-Ouest c’était un siège pour l’Université de Lakehead à Thunder Bay et un centre pour les francophones. Il y en avait trois pour les Premières Nations. Alors j’ai invité un aîné qui faisait partie du conseil d’administration de l’École de médecine et je lui ai demandé : « Qu’est-ce que vous faites pour vous assurer que vous ne nous oubliez pas, nous les francophones? Et là, il me dit, carrément : « Je ne savais pas qu’il y avait des francophones à Thunder Bay, vous êtes invisibles.’’

Je lui ai répondu que c’est faux et qu’il fallait trouver un moyen pour que les gens réalisent qu’on est là! Voilà quel a été le moteur. C’est ça qui a développé le Centre francophone et lancé le Franco-Festival en 2007. Je me rappelle que la première fois qu’on a eu le festival, une maman est venue en larme me disant qu’elle pensait jamais pouvoir célébrer en français, en public à Thunder Bay.

Claudette Gleeson (au centre) a reçu le Prix du Gouverneur général en 2016. Gracieuseté

Considérez-vous que la situation des francophones s’est améliorée depuis?

Pas complètement, les anglophones nous oublient tout le temps, mais politiquement ça a évolué. La communauté rayonne et n’a plus peur de parler en français, du moins une majorité. Parce qu’il ne faut pas oublier que, dans les années 80, avant que j’arrive à Thunder Bay, la ville avait voté, comme à Sault-Sainte-Marie, pour être unilingue, anglophone. Donc c’était dur pour les francophones de se battre. Ils ont pris l’habitude de se dire que les Anglais ne les aimaient pas. Mais on a pris une belle revanche depuis malgré tout!

Comment avez-vous réagi par rapport au recul du français annoncé par le dernier recensement particulièrement prononcé dans le Nord et à Thunder Bay?

Ça m’a fait réaliser à quel point on est minoritaire et qu’il faut qu’on se rassemble surtout qu’on est très isolé du reste de l’Ontario. On est moins de 5 % de la population. On ne peut pas avoir deux ou trois camps de francophones. À Sudbury, North Bay ou Sturgeon Falls, il y a toujours eu des querelles entre anglophones et francophones, mais dans le Nord-Ouest, les francophones étaient invisibles.

Je me dis « Qu’est-ce qu’on fait pour se remettre sur la carte? », retrouver les francophones qu’on a perdus? C’est important pour moi parce que c’est la communauté qui m’a le mieux accueillie à Thunder Bay, bien plus que les anglophones. On était un groupe de mamans qui venaient du Québec ou ailleurs que Thunder Bay, très soudées et c’est vraiment ce groupe de femmes fortes qui sont devenues des meneuses pour la communauté.

Quand avez-vous commencé le bénévolat?

À l’âge de 12 ans, à North Bay. J’ai commencé comme interprète à l’hôpital. Je traduisais de l’anglais vers le français pour les fournisseurs de service de santé et les patients et inversement pour ceux qui ne savaient pas parler en anglais. Après ça j’ai fait de l’accompagnement pour le ski à Waterloo, puis au département en français à l’Université à Toronto.

Vous avez quitté North Bay jeune. Pourquoi êtes-vous partie?

Après mes études au secondaire en français à Algonquin, j’ai voulu partir de North Bay pour l’université et j’ai choisi Waterloo. J’ai fait un bac en psychologie puis avec la formation en psycho. Ça ne m’a pas donné une job garantie, mais ça m’a préparée à penser « créativement », en dehors de la boîte.

Fondé en 2007 par Claudette Gleeson, le Franco-Festival reviendra pour une 10ème édition le 9 et 10 septembre prochain, après deux ans d’absence en raison de la pandémie. Gracieuseté.

Pourquoi vous êtes-vous tournée vers la finance après avoir étudié la psychologie?

Quand j’ai travaillé à Toronto, je n’étais pas bonne en administration. Quand tu commences, t’es réceptionniste, ou en communication. Je n’aimais pas ça. Mon mari m’a dit : « Claudette, tu devrais commencer ta propre entreprise ». Je me suis dit : « Que vais-je faire? », parce que je n’avais pas d’idée.

Au début je faisais du démarchage d’employés francophones pour des entreprises anglophones de Thunder Bay avec mes enfants avant qu’ils aillent à l’école. Quand ma plus jeune fille a eu l’âge d’aller à l’école, j’ai commencé à vraiment me vendre en finance. Parce que malgré tout ce qu’on peut penser, la finance c’est le cœur. Je suis bonne en chiffres, mais ma force c’était de connaître le cœur de la personne.

Puis vous avez choisi de vous installer à Thunder Bay et vous y êtes toujours. Qu’est-ce qui vous a poussé à cette décision?

Mon mari est de Thunder Bay. On s’est rencontré quand on était à l’Université de Toronto. Il était chiropraticien, comme son père, et voulait retourner là-bas pour commencer la pratique avec lui. J’ai dit oui, mais j’avais une seule condition : qu’il y ait une école française. Parce qu’on savait qu’on voulait des enfants et que s’il n’y avait pas d’école, il y avait des chances que nos enfants perdent la langue, ma langue.

Et puis je fais partie de cette génération qui a vu des francophones partir de North Bay avec leurs parents vers des villes comme Kitchener et revenir en ne pouvant plus parler un mot de français parce qu’il n’y avait pas d’école francophone. Donc j’ai dit à mon mari : « Pas le choix! » Depuis, on a plus quitté Thunder Bay et on ne pense pas le faire.

Claudette Gleeson, présidente du Conseil de la Coopération de l’Ontario, reçoit une reconnaissance du Sénat du Canada, 2018. Gracieuseté

Votre mari est anglophone. Comment s’est passée, à ce propos, la discussion quant à la langue parlée avec les enfants?

Avec la naissance de notre premier bébé, on a dû avoir une discussion. On s’est demandé ce qu’on devait faire. Je lui ai dit que ma culture et ma langue étaient très importantes. On s’est dit que ce serait un cadeau pour nos enfants. Au début, quand on est arrivé à Thunder Bay, il n’y avait pas de garderie en français. J’ai donc décidé de rester à la maison pour leur apprendre moi-même le français avant qu’ils aillent à l’école francophone, parce que ça aurait été trop traumatisant pour eux de rentrer dans une école francophone en parlant juste l’anglais. Puis je suis fière de dire que les trois sont francophones aujourd’hui.

Vous avez été présidente et impliquée au sein d’un très grand nombre de comités et organismes francophones de Thunder Bay. Quelle a été l’expérience la plus marquante jusqu’à présent?

C’est très difficile de choisir! Je dirais mon poste de conseillère scolaire, parce que c’est la politique. Je pensais jamais, mais alors jamais, être politicienne! J’avais peur, mais j’étais vraiment encouragée par la communauté. J’ai beaucoup appris. Parler en public, connaître le milieu de l’éducation, et le Conseil me passionne encore. Je suis venue à Thunder Bay parce qu’il y avait une école comme je l’ai dit. C’était important d’avoir un bon système éducatif pour recruter des familles francophones.

En 2011, Claudette a été élue vice-présidente du Conseil scolaire du district catholique des Aurores boréales. Gracieuseté.

Quel est le plus gros projet sur lequel vous travaillez à l’AFNOO?

On a eu l’approbation des gouvernements fédéral et provincial pour développer notre garage. On a un projet de construction qui devrait commencer dans les prochains mois pour rénover et ajouter des bureaux. On veut aussi ajouter des espaces polyvalents pour accueillir des immigrants. On attend juste un nouveau devis parce que l’inflation a vraiment fait gonfler les prix donc on veut s’assurer de pouvoir couvrir les frais.

Avez-vous évolué sans difficulté dans le milieu majoritairement masculin et anglophone de l’entrepreneuriat?

Je me souviens avoir été dans un forum national pour les femmes en finance et avoir dit en à l’auditoire en anglais »It is lonely in a room full of  men ». C’est ennuyant, c’est seul. Tout ce qu’ils faisaient, c’était pour attirer les hommes. Dans mon domaine, c’est souvent des joueurs de hockey professionnel, de football. On te parlait comme si t’étais un homme, et même les activités c’étaient des choses comme aller à la pêche. Moi, je voulais pas me retrouver avec cinq hommes sur un bateau.

Ça a changé un peu depuis mes débuts et aujourd’hui on a des jeunes femmes qui n’ont pas peur de se mesurer aux hommes. Je suis fière d’avoir vendu mon entreprise, il y a peu, à une jeune femme de 27 ans, francophone, dont j’étais la mentore. C’était très important pour moi de faire continuer cet héritage. Je lui ai dit que ce serait difficile et elle m’a dit : »Tu sais-tu quoi, Claudette : je suis correcte, je n’ai pas besoin d’être leur amie. »

Qu’aimez-vous faire en dehors de votre implication dans la francophonie?

Marcher avec ma chienne, Sophie. J’adore faire de l’exercice, voir mes enfants mes petits-enfants et mes parents qui sont encore en vie. Mais honnêtement je n’ai pas beaucoup de temps. Mon bénévolat, c’est ma passion. Puis je crois que c’est ça qui va me maintenir en forme et garder mon cerveau jeune. Ça peut paraître étonnant, mais mon bénévolat c’est mon passe-temps favori! »


LES DATES-CLÉS DE CLAUDETTE GLEESON :

1958 : Naissance à North Bay

1988 : Déménagement à Thunder Bay

2007 : Fondatrice et présidente du Franco-Festival de Thunder Bay.

2012 : Présidente de l’Association des francophones du Nord-Ouest.

2016 : Récipiendaire du Prix du Gouverneur Général du Canada.

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.