Clause dérogatoire : aucune crainte pour les Franco-Ontariens, mais…

La Cour suprême du Canada. Archives ONFR+

TORONTO – L’utilisation de la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés par le gouvernement provincial ne peut pas directement affecter les droits linguistiques des Franco-Ontariens, selon les spécialistes. Toutefois, pour un gouvernement qui souhaite réduire ses dépenses, la Colombie-Britannique a récemment ouvert une brèche qui pourrait inquiéter l’Ontario français.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Le gouvernement provincial pourrait-il réduire les droits des Franco-Ontariens en invoquant l’article 33 – dite clause dérogatoire – de la Charte canadienne des droits et libertés, comme il vient de le faire pour réduire la taille du conseil municipal de Toronto? « Non! », rétorque l’avocate chez Juristes Power, Audrey Mayrand.

« Il n’y a aucune crainte à avoir pour les Franco-Ontariens et c’est une bonne nouvelle, car l’utilisation de cette clause est limitée à certains articles de la Charte et ne concerne pas les droits linguistiques. »

L’article 33 permet au gouvernement fédéral ou aux provinces et territoires d’éviter l’application de certains droits prévus dans la Charte. Mais des balises ont été prévues, rappelle le professeur à la section de droit civil de l’Université d’Ottawa, David Robitaille.

« Cet article avait été ajouté à l’origine sous la pression de plusieurs provinces pour respecter un équilibre entre la souveraineté du parlement et le pouvoir judiciaire. Mais les droits linguistiques étant jugés comme une valeur fondamentale du Canada, ils ont été placés à l’abri de l’article 33. »

En revanche, les libertés d’expression, de religion, de conscience, d’association pacifique, notamment, font partie des droits visés par la clause.

« On pourrait donc imaginer que les Franco-Ontariens pourraient être touchés indirectement par l’utilisation de cette clause dans un autre dossier, mais c’est un scénario très difficile à imaginer », dit Mme Mayrand.

 

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M. Robitaille, comme Mme Mayrand, se montre toutefois inquiet quant à l’utilisation de la clause dérogatoire par le gouvernement progressiste-conservateur, d’autant que le premier ministre Doug Ford s’est dit prêt à la réutiliser.


« Utilisée comme ça, en début de mandat, donne l’impression que le gouvernement utilise cette clause à la légère » – David Robitaille, professeur de droit


« Comme il s’agit d’une suspension des droits [pendant cinq ans], il faut être très prudent quand on y fait appel », explique le professeur de droit.

Et Mme Mayrand d’ajouter : « D’habitude, cette clause est utilisée pour régler des défis de société et des questions fondamentales. Dans ce cas-ci, cela semble disproportionné et prématuré, même si on comprend que le gouvernement Ford voulait agir vite du fait de la proximité des élections municipales. Mais ça risque d’en banaliser l’utilisation. »

En Ontario, il s’agit d’ailleurs d’une première dans l’histoire de la province. Et même à l’échelle canadienne, l’utilisation de cette clause s’est toujours faite avec parcimonie.

« Le Québec l’a systématiquement incluse dans ses lois, durant une période, pour montrer son opposition à la Charte, puis s’en est servi pour défendre sa volonté d’obliger l’affichage commercial en français, expliquant vouloir ainsi protéger la langue française, suite à une décision de la Cour suprême du Canada. »

La politologue du Collège militaire royal du Canada, à Kingston, Stéphanie Chouinard, souligne que « normalement, c’est une clause utilisée en dernier recours, quand tout a été tenté ».

Elle pense toutefois que compte tenu des réactions à Queen’s Park et à Toronto, les troupes de M. Ford pourraient hésiter à s’en servir de nouveau.

 

L’exemple de la Colombie-Britannique

Si l’article 33 ne menace donc pas directement les francophones, son utilisation par le gouvernement provincial montre que ce dernier est prêt à utiliser tout l’arsenal juridique à sa disposition pour mettre en place son programme.

« Et dans la charte, il y a l’article 1 qui permet de restreindre les droits et libertés », rappelle Mme Chouinard.

L’avocat Mark Power explique que cette restriction ne peut s’appliquer que dans des limites raisonnables et qu’elle doit être justifiée.

L’article a récemment été invoqué en Colombie-Britannique. Dans sa décision de septembre 2016, la juge Loryl Russell avait jugé que l’article 1 pouvait être invoqué pour justifier que la province ne finance pas adéquatement les écoles francophones, celles-ci coûtant davantage et l’assimilation étant inéluctable.

« C’est une façon de rationaliser qui est très inquiétante et qui pourrait avoir un impact ailleurs, si on juge que l’article 1 peut justifier de porter atteinte aux droits à l’éducation dans la langue de la minorité », estime M. Power.

L’Ontario pourrait-il tenter de s’appuyer sur cette décision pour faire des économies?

« C’est un risque très théorique, d’autant que la réduction des services aux francophones n’a jamais fait partie des promesses électorales de M. Ford. Toutefois, celle de réduire le conseil municipal de Toronto non plus… », souligne Mme Chouinard.

 


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