Coco Belliveau, humoriste multidisciplinaire

Coco Belliveau est une habituée du Womansplaning show, un spectacle où des humoristes expliquent des concepts féministes à travers leurs blagues. Crédit image: Ariane Famelard

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

Coco Belliveau fait rire avec des sujets parfois sensibles : féminisme, grossophobie, pansexualité, autisme, agressions sexuelles, etc. De son propre aveu, l’humoriste fait les blagues qu’elle aurait eu besoin d’entendre. Et ça fonctionne. À quelques jours de la Fête nationale de l’Acadie, ONFR+ a rencontré cette artiste originaire de Grand-Sault, au Nouveau-Brunswick.

« Comment vous définissez-vous comme artiste?

Je dis humoriste disciplinaire, parce qu’artiste multidisciplinaire ratissait trop large. L’humour est la racine de tous mes éléments. Quand on me demande quel style d’humour, je dis politico-social. C’est intentionnellement vague.

Comment l’humour est-il arrivé dans votre vie?

Je n’étais pas particulièrement drôle quand j’étais jeune. Ma famille a été surprise de mon choix. J’étais drôle, mais pas de façon intentionnelle. C’est ce que je voulais aller chercher.

Je faisais de l’improvisation et du théâtre. J’étais obsédée par les gens drôles. Pour moi, c’est un signe d’intellect. J’ai essayé l’humour. Je n’étais pas bonne, mais ça ne m’a jamais dérangée. Si j’ai envie de le faire, je le fais, c’est tout.

Coco Belliveau était d’abord incrédule quand un juge d’un concours d’humour lui a parlé de l’École nationale de l’humour (ÉNH). Crédit image : Émilie Lapointe

Je ne voyais pas ça comme un métier, parce qu’il n’y a pas une grande industrie de l’humour au Nouveau-Brunswick. Après un concours, un juge m’a dit que je devrais aller à l’École nationale de l’humour (ÉNH), que j’avais du potentiel, mais que je manquais d’organisation.

Pour moi, c’était vraiment gros de quitter le Nouveau-Brunswick. Mais j’y ai été et, t’sais, comme des fois tu cliques sur le bonheur? Je ne suis pas matinale, mais je me réveillais avec la hâte d’aller rire avec ces gens. Je suis choyée, parce que c’est tellement difficile de trouver ce qu’on veut faire dans la vie, et ça a coulé naturellement pour moi.

Comment s’est passé le changement du Nouveau-Brunswick à Montréal?

C’était difficile. Je suis très sensorielle. Je suis sur le spectre de l’autisme. Je trouvais ça super bruyant. Et rencontrer de nouvelles personnes, c’est difficile pour moi. Mon père était malade en plus… Avec le temps, j’ai appris à aimer Montréal. Mes deux meilleurs amis y ont déménagé. J’ai trouvé des points de repère et une autre famille, choisie.

Avez-vous vécu de l’insécurité linguistique?

C’est sûr. Je me demandais si on s’habituait à ne pas entendre notre accent autour de nous. Au fil du temps, on s’en rend moins compte. J’étais contente car je viens d’un endroit bilingue et Montréal est très bilingue. Je fais aussi des choses en anglais. J’adore les deux, mais c’est important pour moi de vivre en français.

C’était important pour ma mère qu’on parle français. Et à l’Université de Moncton, il y avait beaucoup d’animosité entre anglophones et francophones. En vivant ces tensions-là, tu comprends que tu n’as pas le choix. On est tous à risque. J’ai deux sœurs qui vivent en anglais, alors que ma grande sœur et moi vivons en français. Évidemment, toute la famille est bilingue. Ce n’est pas toujours possible de travailler en français au Nouveau-Brunswick.

Coco Belliveau lors d’une édition spéciale extérieure de l’émission radiophonique La soirée est (encore) jeune, diffusée à Ici Radio-Canada Première. Crédit image : Marc-André Roy

Ça aide que le milieu de l’humour francophone soit aussi grand. Au Canada anglais, les humoristes vont plus vers Toronto ou les États-Unis. Montréal, ça me permet de ne pas être trop loin et de vivre dans ma langue.

Je sais que l’accent acadien a son charme, mais les gens s’en moquent aussi. Dans leur tête, je viens d’un village de pêcheurs et je suis un peu naïve. Peut-être que les stéréotypes jouent à mon avantage, car les gens sous-estiment mon intellect. Des fois, je me fais corriger et je réponds : c’est mon patois. Ce n’est pas parce que ce n’est pas grammaticalement correct que c’est une faute.

Je crois que ça joue contre moi en tant que comédienne, parce qu’il y a moins d’ouverture à donner des rôles à des gens qui n’ont pas un français normatif. Je considère quand même que nos vies sont extrêmement similaires. Les Québécois voient ça comme une autre culture, mais on a beaucoup d’éléments communs.

Qu’est-ce que des émissions comme Le prochain stand-up et Big Brother célébrités (BBC) ont changé dans votre carrière?

Le prochain stand-up, ça m’a permis de faire évoluer ma carrière pendant la pandémie et ça m’a aidée avec mon estime. J’avais un syndrome de l’imposteur. Il y a des personnes de l’industrie qui ne te respectent pas jusqu’à ce que tu te prouves. Mais ces émissions-là existent pour découvrir de nouveaux talents, et les gens ont vu de quoi j’étais capable.

BBC, pour moi, c’était plus un déploiement de capacités mentales qu’une carte de visite pour mon humour.

Comment avez-vous réagi en regardant BBC à votre sortie?

Il y a des semaines que j’ai plus aimées que d’autres. Il y a aussi des moments où ils nous font parler dans le confessionnal pour ajouter du suspense alors que le plan est prévisible. J’embarquais, je disais que ça serait le fun de trahir, mais je n’avais pas toujours l’intention de le faire.

J’ai aussi des moments où je suis juste moi-même. Ça fait bizarre de laisser son image entre les mains de quelqu’un d’autre. Je suis encore beaucoup dans ces réflexions. Ça fait quatre mois que je suis sortie, mais je n’ai pas pris le temps de décrocher. Je m’en remets encore.

Coco Belliveau s’est rendue jusqu’au top 3 de la plus récente édition de Big Brother Célébrités. Mona de Grenoble a gagné cette troisième saison. Gracieuseté Noovo

Évidemment, je suis heureuse d’avoir montré la diversité. Plein de gens sur le spectre de l’autisme m’ont contactée, parce que c’est à BBC que j’ai fait ma sortie publique. Ça me fait du bien de pouvoir en discuter. Certains me demandaient comment je faisais pour mettre de côté mes émotions. Mais je suis gérée par les règlements, et c’était écrit qu’on allait devoir mentir.

En 2021, vous aviez critiqué BBC au balado Couple ouvert. Comment vous êtes-vous retrouvée dans la troisième saison?

J’ai prévenu Bell Média. Ils ont écouté et ont dit que ce n’était rien. Ce que je disais, c’était vrai, mis à part quelques blagues. Ce qui m’a marquée, c’est que beaucoup de joueurs ne connaissaient pas vraiment le jeu. Plusieurs voulaient s’en aller, parce que c’est très dur comme expérience. Ce n’était pas à la hauteur de la version originale. C’est souvent le cas pour des premières saisons. Et au Québec c’est particulier, car on aime les vedettes gentilles.

Mais ça m’a charmée quand j’ai écouté la saison deux, avec Tranna Wintour. En la voyant rester authentique, s’exprimer comme personne trans et être drôle, ça m’a parlé. Je ne m’étais peut-être pas sentie représentée dans la première saison, même si j’aime beaucoup les femmes qui y étaient.

Sans que je le sache, Tranna m’a proposée pour la saison 3. J’ai contacté Groupe Entourage et ils m’ont dit qu’ils m’avaient déjà sur leur liste de candidats potentiels. Ensuite, ils essaient de trouver différents styles de joueurs : sportifs, stratèges, personnes drôles, émotives, etc. Il y a toujours un pendant féminin et masculin. Cette année, ils avaient identifié LeLouis Courchesne et moi comme les masterminds. Mais je n’en avais aucune idée.

Vous êtes aussi connue pour les rap battle. Qu’est-ce que vous aimez dans cette discipline?

Il n’y a pas de manières socialement acceptables d’exprimer la colère pour les femmes. Là, je pouvais crier sur des messieurs! J’aime la joute verbale. C’est un peu comme la lutte. Être vilain, c’est hot.

Ils disent des choses grotesques : t’es grosse, t’as l’air lesbienne. C’était une confrontation de valeurs. Eux m’insultent sur des choses qui ne sont pas des insultes pour moi, puis moi je les insulte sur leur manière de faire. Ça me permettait de me défouler de façon consensuelle. Ce ne sont pas mes ennemis dans la vie.

Même ma psy disait que c’était une bonne place pour exprimer ma colère. Et à un moment donné, je n’étais plus fâchée.

Avez-vous déjà été réellement insultée?

Il y a des gens tellement fins qui disent des choses dégueulasses. Je ne peux pas désapprouver car c’est le concept. Mais le problème, c’est que ça peut nourrir des gens qui pensent vraiment comme ça.

Coco Belliveau dans un WordUP! Battle contre VK, en 2020. Capture d’écran Youtube WordUP! Battles

Ce jeu, c’est d’essayer de trouver l’endroit où la personne est insécure. Et c’est aussi positif, tu te sens forte quand ça ne te dérange pas parce que c’est un complexe que tu as dépassé. J’ai trouvé plus difficile de faire des roast battles entre humoristes, parce que c’était des collègues.

Dans les rap battles, quand j’ai été insultée, c’était des choses qui allaient contre mes valeurs, liées aux agressions sexuelles, par exemple.

C’était dit par une autre femme…

C’est ce qui m’a dérangée, parce qu’elle comprenait. On a beau dire que c’était pour le spectacle, mais les réactions des gars derrière qui étaient d’accord avec ce qu’elle disait, ça a valorisé des gens dans leurs mauvais comportements.

Mais j’ai beaucoup de respect pour elle. L’eau a coulé sous les ponts depuis.

Quand vous avez lancé votre EP de rap, Succès souvenirs ‘91, aviez-vous peur de ne pas être prise au sérieux?

Non, car je ne me prenais pas au sérieux moi-même. C’était surtout pour avoir une carte de visite. Suite à ça, j’ai été faire un rap battle contre Patrice Bélanger au Fabuleux printemps de Maryline. Et cette semaine, j’ai fait mon rap Bi$ou$ bi$ou$ au spectacle ImmiX de Fierté Montréal.

Si j’écris quelque chose d’autre, j’aimerais le faire plus sérieusement. Là, je l’ai fait pour le fun, j’ai exploré.

Vous avez été diagnostiquée avec un trouble du spectre de l’autisme à l’âge adulte. Qu’est-ce que ça a changé pour vous?

Au début, je trouvais que ça n’avait rien changé. En tant qu’adulte, il n’y a pas beaucoup de ressources. J’étais exactement pareille, mais avec un diagnostic. Ça faisait très longtemps que l’idée d’aller voir un neuropsy était sur la table. Quand j’étais jeune, il y avait des soupçons, mais il n’y avait pas vraiment de spécialistes accessibles dans ma région. Et pour les filles, c’est moins clair. Elles vont souvent se faire diagnostiquer de l’anxiété, puis une dépression, avant de découvrir que c’était le spectre de l’autisme. C’est malheureux.

Coco Belliveau à l’ouverture de Fierté Montréal en août 2023. Crédit image : Mathieu Catafard

Enfant, on se moquait de moi en me traitant d’autiste. J’avais une connotation négative à ce mot à cause de ça. C’est après des années, plusieurs psys, d’autres diagnostics et des discussions avec une amie diagnostiquée dans la vingtaine, que j’ai finalement été faire le test.

Ce qui est fabuleux, c’est que tu dois monter un dossier avec tes symptômes. Moi, ça faisait des années que je compilais une liste de tout ce qui ne tourne pas rond. Je suis arrivée chez le docteur avec mon fichier. Juste à m’écouter parler de ce que j’avais fait pour me préparer à cette situation anxiogène, il m’a dit : « Je n’ai pas encore lu ton dossier, mais il y a de fortes de chances que tu sois à la bonne place. »

Je n’en ai pas trop parlé avant BBC, j’étais encore en train d’absorber la nouvelle. Souvent, les gens vont sembler plus bizarres après un diagnostic, parce qu’ils ne masqueront plus leurs symptômes. Éventuellement, il va y avoir un entre-deux. Je commence à être dans cet entre-deux.

Coco Belliveau rencontre l’animatrice Marie-Mai après son élimination de Big Brother Célébrités, en 2023. Crédit image : Vanessa Brossard

Avant, je me brûlais parfois à essayer de rentrer dans le moule. Le diagnostic me permet d’exprimer clairement mes besoins. Je n’ai pas l’air d’une diva parce que j’ai besoin d’être en silence.

Et le meilleur, c’est de repenser à plein de moments de ma vie où je me suis cognée sur la tête en me demandant pourquoi je n’étais pas capable de faire des choses que les autres étaient capables de faire. Là, je peux voir pourquoi et me pardonner.

En 2019, vous avez perdu 75 lb pour prouver un point, avant votre spectacle Laide. Qu’est-ce qui s’est passé?

Je parlais de grossophobie. Après des spectacles, des gars allaient parler avec d’autres humoristes femmes pour leur dire combien elles étaient bonnes, et ils m’ignoraient complètement. Je ne m’attends pas à ce qu’on me louange, mais me regarder dans les yeux serait la base.

J’en parlais avec une humoriste et elle n’était pas d’accord. Alors je suis allée lire sur les biais cognitifs. Je voulais comprendre pourquoi elle ne pouvait pas voir qu’on était traitées différemment.

Coco Belliveau était finaliste de la première saison du Prochain stand-up, sur les ondes de Noovo, en 2020. Crédit image : Eric Myre

C’est la même chose quand un gars est sexiste. Si une fille le lui dit, il se braque. Mais si un autre homme le lui dit, il écoute. Donc, je me suis dit qu’il y a des gens minces qui ont besoin de se le faire dire par quelqu’un de mince. Alors, je suis devenue très mince. C’était maladif. Mais j’en avais besoin.

Je pouvais prouver empiriquement, par mon expérience dans les deux corps, que ce que je disais était vrai. En plus, j’avais des études scientifiques pour le prouver et c’était drôle.

La fête nationale acadienne aura lieu le 15 août. Quel est votre rapport avec l’Acadie?

L’Acadie, c’est un état d’esprit. On n’a pas un territoire marqué. L’Acadie a été volée. C’est devenu le Nouveau-Brunswick, mais nous les Acadiens on a été déportés partout. Donc, ça ne dérange pas où tu es. C’est une manière d’être, une énergie.


LES DATES-CLÉS DE COCO BELLIVEAU :

1991 : Naissance à Perth-Andover, au Nouveau-Brunswick. Elle grandira à Grand-Sault.

2014 : Déménagement à Montréal pour étudier à l’École nationale de l’humour.

2019 : Présentation de son spectacle Laide, qui parle de grossophobie et pour lequel elle a perdu 75 lb

2020 : Finaliste au concours télévisé Le prochain stand-up

2023 : Participation marquante à la téléréalité Big Brother Célébrités

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.