Société

Collèges francophones ontariens : un financement à bout de souffle?

Le Collège La Cité, à Ottawa, demeure prudent face aux incertitudes budgétaires et à la baisse des étudiants internationaux. Gracieuseté

Stagnation des subventions provinciales, baisse des revenus, diminution des permis d’études pour les étudiants internationaux… La situation budgétaire des deux collèges francophones de l’Ontario, La Cité à Ottawa et Boréal, qui compte huit campus dans le Nord et le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario, est tendue. Dans ce contexte, les établissements redoublent d’efforts pour assurer leur mission éducative et leur rôle dans la vitalité des communautés francophones.

« Comme tous les collèges ontariens, nous sommes touchés par les décisions du gouvernement provincial », explique Daniel Giroux, président du Collège Boréal.

Il rappelle que la réduction de 10 % des frais de scolarité imposée en 2019 s’est traduite par une perte réelle de 13 %, en raison du gel des hausses annuelles.

« Combinée à l’inflation, cette mesure équivaut à une perte d’environ 40 % de revenus depuis 2019 », résume-t-il. À cela s’ajoute la stagnation des subventions provinciales.

« L’Ontario demeure l’une des provinces les moins financées par étudiant. C’est un défi majeur, surtout pour les collèges francophones », souligne M. Giroux.

Et pour cause, les programmes techniques et de santé sont particulièrement coûteux à offrir, en raison des laboratoires, du matériel spécialisé et des exigences de sécurité.

« Dans un atelier de soudage ou un laboratoire de soins infirmiers, on ne peut pas accueillir 300 étudiants. La limite est souvent de 25. Ces réalités rendent la formation beaucoup plus coûteuse que dans des programmes théoriques », précise-t-il.

Des programmes sous pression

Contrairement à La Cité, qui avait annoncé la suspension de neuf programmes, le Collège Boréal n’a pas interrompu d’offres de formation. Toutefois, le président admet que plusieurs programmes demeurent déficitaires.

« C’est la réalité d’un petit collège francophone avec des cohortes réduites », reconnaît la direction de l’établissement, qui accueille quelque 23 400 clients et étudiants par année.

Boréal, qui dispose de 34 sites (dont 8 campus) situés dans 27 collectivités ontariennes, fait également face à un défi d’entretien et de modernisation de ses installations.

« Certains laboratoires et bâtiments datent de 30 ans. Les toitures, les équipements, les infrastructures sportives : tout nécessite une mise à jour. Faute de moyens, ces projets sont souvent reportés, au risque de devenir un jour une crise », admet M. Giroux.

Pour compenser, le collège développe des formations sur mesure et une division de développement des affaires afin de diversifier ses revenus.

« Nous cherchons d’autres sources de financement pour maintenir nos programmes, même lorsqu’ils ne sont pas rentables, car ils sont essentiels pour nos communautés », affirme-t-il.

Un complexe sportif multidisciplinaire est aussi à l’étude pour soutenir la viabilité de l’établissement et le recrutement d’étudiants canadiens.

Le recrutement international, une équation difficile

Autre sujet d’inquiétude : la baisse du taux d’approbation des permis d’études pour étudiants internationaux, passé de 30 % avant 2023 à 13,5 % actuellement.

« C’est deux fois moins que dans plusieurs collèges anglophones. Nous devons donc soumettre beaucoup plus de demandes pour espérer atteindre nos cibles », explique M. Giroux.

Mais les collèges francophones ne sont pas au bout de leur peine avec la récente décision fédérale de baisser le nombre de permis d’étude, une nouvelle source d’incertitude.

Le président salue néanmoins le programme pilote d’immigration francophone lancé par Ottawa, qui permet à certains diplômés d’obtenir la résidence permanente.

« C’est une initiative incroyable! Nous souhaitons qu’elle devienne permanente, car c’est un outil essentiel pour soutenir l’immigration francophone », souligne-t-il, rappelant qu’il s’agit également d’une demande de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC).

Du côté de La Cité on note une hausse de 31 % des inscriptions en première année chez les Canadiens francophones. Cette hausse compense partiellement la baisse d’étudiants internationaux causée par les nouvelles règles d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), affirme La Cité.

« À la rentrée de 2025, nous avons accueilli près de 7200 étudiants, une hausse de plus de 500 inscriptions par rapport à 2023 », indique l’équipe des communications.

Mais derrière ces chiffres encourageants, l’incertitude demeure.

« Elle nous a amenés à ralentir certains investissements à long terme et à adopter une posture plus prudente », souligne la direction, rappelant les propos de la PDG Lynn Casimiro.

« Le cadre financier actuel, influencé par divers facteurs externes, nous impose une gestion rigoureuse », ajoute la même source.

Le collège vise néanmoins un budget équilibré pour 2025-2026, et potentiellement pour 2026-2027.

« La Cité ne prévoit pas d’autres fermetures de programmes que celles annoncées au printemps dernier, et compte ajouter deux nouvelles formations à sa carte », précise l’établissement.

Collaboration et avenir du réseau francophone

Face aux contraintes financières, les deux collèges misent sur la mutualisation des ressources et la collaboration interinstitutionnelle.

Le Collège Boréal collabore déjà avec La Cité au développement de passerelles entre les programmes de préposé aux services de soutien personnel, de soins infirmiers auxiliaires et d’infirmières autorisées.

Les deux établissements, à l’instar des 24 collèges de l’Ontario, travaillent conjointement à concevoir ces parcours de formation, à élaborer la pédagogie et le matériel didactique.

Selon M. Giroux, le potentiel de collaboration entre les collèges francophones demeure considérable.

« Nous travaillons déjà avec l’Université de Hearst et plusieurs conseils scolaires pour partager des espaces et développer des passerelles entre programmes », ajoute-t-il. Ces synergies permettent d’optimiser les ressources et de maintenir une offre francophone diversifiée à travers la province.

Par ailleurs, les deux établissements appuient la demande de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) pour un financement de base adéquat et durable.

Dans ce contexte, la résolution récente de l’AFO réclamant un meilleur appui aux collèges francophones et aux programmes à petites cohortes trouve un écho immédiat.

« De telles mesures sont essentielles à la vitalité des communautés francophones et à la croissance de notre économie », affirme La Cité.

Car au-delà des chiffres, c’est la pérennité du réseau collégial francophone ontarien, pilier de la formation, de l’emploi et de l’immigration, qui est en jeu.