Comité francophone de Toronto : la mission impossible de Jennifer McKelvie
TORONTO – Maigre bilan des comités antérieurs, retard à l’allumage du nouveau et luttes d’influence pour en devenir membres… Le décor est planté. Réussir là où ses prédécesseurs ont échoué sera le grand défi de la conseillère municipale Jennifer McKelvie, la présidente du comité consultatif francophone.
Coup de théâtre dans les couloirs de l’hôtel de ville : la période de candidature au comité francophone – initialement close depuis le 7 mai dernier – a été prolongée jusqu’au 3 septembre, officiellement pour « donner leur chance à plus de candidats ». Pourtant, une trentaine d’intéressés sont déjà en lice.
Relancée le 27 mars dernier par le conseil municipal, le comité ne sera donc pas opérationnel avant le mois de novembre puisque, entre temps, un rapport doit être présenté au comité des nominations le 17 septembre. Ce dernier recommandera alors au conseil municipal une liste publique de noms, incluse dans l’ordre du jour. Ce n’est qu’une fois les huit membres nommés – quatre issus de la société civile et quatre issus d’organisations – que la présidente pourra convoquer la première réunion de travail. Les Franco-Torontois devront donc s’armer de patience, après un an et demi sans représentant.
Un report sur fond de controverse
Ce report intervient après les révélations d’ONFR+ sur une candidature « groupée » controversée, alors que le règlement stipule que toute candidature est individuelle et indépendante. A l’initiative de la démarche, le vice-président du Centre francophone de Toronto René C. Viau faisait valoir que jusqu’ici le comité n’avait fait avancer aucun dossier.
Il faut bien reconnaître que le bilan de ces dernières années est plutôt embarrassant pour la ville. Aucune amélioration notoire du sort de la communauté francophone ni même de la place de la langue française dans la ville n’a vraiment été réalisée. Les dossiers soulevés lors du dernier comité, en juillet dernier, ont été enterrés dans l’indifférence générale. Citons pèle-mêle les communications municipales bilingues, la contestation des contraventions en français, le soutien concret à la création de la Maison de la francophonie ou de l’Université de l’Ontario français…
Un impact quasi nul ces dernières années
Ancien membre du comité durant plus de deux ans, Guy Mignault en connaît bien les rouages. Il concède que les progrès – hormis quelques réglages marginaux tels que la traduction en français des calendriers distribués à la population – ont été maigres.
« Nous avions placé beaucoup d’espoir dans le président Norm Kelly, un conseiller municipal anglophone qui croyait au statut bilingue de Toronto. Nous étions aussi portés par le discours d’investiture en français du maire John Tory. Mais le manque de suivi des fonctionnaires entre chaque réunion faisait peser sur nous, bénévoles, la responsabilité de relancer à chaque fois les dossiers en cours. »
Le manque de réunions régulières a été très préjudiciable, ajoute-t-il, sans compter la caractère consultatif des recommandations.
McKelvie, le joker de Tory
Des réunions régulières? Dans un entretien accordé à ONFR+, Jennifer McKelvie s’y est engagée si les membres du comité le demandent. Nommée présidente du comité en juin, alors que longtemps le maire lui-même avait fait planer l’hypothèse de le prendre en main, la conseillère municipale de Scarborough-Parc de la Rouge s’est dite déterminée à faire avancer les dossiers franco-torontois.
« Dès la première réunion en novembre, je demanderai au comité combien de réunions il veut faire. Mais en faire trois par exercice me semble le plus efficace », affirme-t-elle. « Nous discuterons du mandat et des idées du nouveau comité. Je demanderai aux employés de faire une présentation des initiatives du dernier comité et un résumé des protocoles d’accord que nous avons avec les autres villes francophones. »
Si l’on excepte le maire John Tory, Mme McKelvie est la seule, au sein de l’hémicycle municipal à parler la langue de Molière.
« C’est sûr que je vais avoir besoin de parler à mes collègues pour les convaincre de l’importance du français pour l’économie, la culture, les arts, le tourisme… Si je peux changer les mentalités des conseillers, ce sera un pas en avant. »
Elle a confié ne pas connaître les raisons du report des nominations, une décision qui appartient, rappelle-t-elle, aux fonctionnaires de la ville.
Consciente du caractère consultatif du comité et de la faible place accordée à la langue française dans la ville, elle dit vouloir faire tout ce qui est en son pouvoir pour changer les choses.
« Je veux être une championne pour la communauté francophone. Ce n’est pas qu’une communauté, c’est aussi une langue officielle du Canada. On a le devoir de faire mieux. Il faut, par exemple, rejoindre les visiteurs en français grâce aux nouvelles technologies pour développer le tourisme. »
« Toronto a le potentiel pour être un leader »
« Pour moi, c’est un nouveau départ », a-t-elle insisté. « Je vais écouter les idées et les présenter. Je sais que beaucoup de dossiers ne sont pas une priorité pour la province, comme l’Université de l’Ontario français ou les transport scolaires. La ville a le potentiel pour être un leader. »
Mme McKelvie a notamment confirmé que Toronto avait une marge de manœuvre en terme d’immobilisation et que la ville avait intérêt à voir aboutir des projets comme la Maison de la francophonie et pérenniser des festivals comme La Nuit blanche.
La conseillère municipale, qui entame un mandat de présidente de deux ans renouvelable, espère instaurer une relation de confiance avec les futurs membres et, avec leur aide, veut repositionner la place du français à Toronto.
La tâche sera très compliquée dans une ville qui ne semble pas considérer, dans les faits, le français comme une langue officielle.
« C’est sûr qu’il y a des communautés bien plus importantes en nombre à Toronto, mais plusieurs études montrent que l’immigration francophone est en train de modifier le visage du Centre-Sud de la province », analyse M. Mignault. « Toronto devra en tenir compte et se doter de moyens concrets de promouvoir la langue française », juge-t-il. « La création d’un Bureau de la langue française, par exemple, démontrerait une réelle volonté politique en ce sens. »