La Cour suprême traduira certaines de ses anciennes décisions
OTTAWA — La Cour suprême a annoncé qu’elle retirait de son site web toutes ses anciennes décisions qui ne sont pas en anglais et en français, et qu’elle s’engageait à traduire certains de ces jugements, principalement en français, dès 2025.
Le plus haut tribunal au pays a annoncé que, parmi les quelque 6 000 décisions non disponibles aujourd’hui dans les deux langues officielles, « les plus importantes d’un point de vue historique ou jurisprudentiel » seraient traduites l’année prochaine « à l’occasion du 150e anniversaire de la Cour ».
« Elles seront alors accessibles en français et en anglais sur le site web de la Cour. Ces décisions n’auront toutefois pas un caractère officiel, étant donné qu’elles ne peuvent pas être approuvées par les juges qui les ont rendues, ceux-ci étant tous décédés », a annoncé le Bureau du registraire de la Cour suprême dans un communiqué vendredi en fin d’après-midi.
De 1877 jusqu’à l’adoption de la Loi sur les langues officielles en 1970, la Cour suprême n’était pas tenue de traduire ses décisions en anglais et en français. La majorité des jugements rendus sont donc uniquement en anglais tandis que certains le sont seulement en français. Ceux qui ne sont pas bilingues ne sont plus désormais disponibles sur le site web, et les gens souhaitant y avoir accès « peuvent consulter des bases de données en ligne accessibles à tous », précise le tribunal.
La Cour suprême devant les tribunaux
Cette annonce de la Cour suprême fait suite aux démarches judiciaires de l’organisme québécois Droits collectifs Québec (DCQ) qui a déposé une requête devant la Cour fédérale le 1er novembre envers le plus haut tribunal canadien. DCQ plaide que la Cour suprême a enfreint la Loi sur les langues officielles, elle qui refusait jusqu’à son récent communiqué de s’engager à traduire des décisions dans les deux langues officielles.
Le commissaire aux langues officielles avait d’ailleurs donné raison à DCQ dans un rapport d’enquête arguant que le plus haut tribunal au pays se devait de traduire ses anciennes décisions. En 2023, le Parlement a modernisé la Loi sur les langues officielles, obligeant du même coup l’ensemble des tribunaux canadiens à traduire leurs décisions dans les deux langues officielles.
Dans un communiqué lundi, l’organisme québécois accuse la Cour suprême de restreindre l’accès à la justice en retirant ses jugements antérieurs à 1970 non conformes au bilinguisme officiel. Selon DCQ, il y a lieu de « s’interroger par ailleurs sur la légalité de la manœuvre » et suggère « un possible effet de disparition de la preuve pour frustrer l’effectivité des pouvoirs judiciaires de la Cour fédérale à rendre justice sur une situation régulièrement intentée ».
« Cette situation est plutôt surprenante. En effet, la Cour suprême choisit délibérément de restreindre l’accès à la justice, à sa propre jurisprudence et à l’état du droit à la population canadienne plutôt que de déployer les efforts nécessaires afin de respecter les droits linguistiques des citoyens et des citoyennes, en particulier ceux des francophones », déplore DCQ.
L’organisme se targue toutefois que la Cour suprême lui donne raison en acceptant de traduire certaines décisions en français, mais l’accuse de se contredire. Car, durant l’enquête du commissaire aux langues officielles, la Cour suprême arguait que le fait de retirer des décisions antérieures à 1970 irait à l’encontre de son objectif d’améliorer l’accès à la justice pour la population.
« Droits collectifs Québec à la ferme intention de poursuivre ses démarches afin que les droits fondamentaux des francophones soient entièrement respectés par le tribunal de plus haut ressort de l’État canadien », soutient son directeur général Etienne-Alexis Boucher et le président de l’organisme et Daniel Turp.
L’organisation estime que plusieurs questions juridiques restent en suspens, notamment si cette décision de la Cour suprême respecte l’esprit de la Loi sur les langues officielles. DCQ soulève aussi comme problématique à ses yeux que la Cour suprême n’est pas encadrée « une contrainte juridique en matière d’échéancier ou d’identification des jugements qui devront être traduits ou pas ».
Le juge en chef Richard Wagner soutenait que la traduction des quelque 6 000 décisions nécessiterait un investissement de 10 à 20 millions, plus de 100 interprètes et près de dix ans de travail.