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Crise à Fauquier-Strickland : des résidents veulent se séparer de leur municipalité

Paul Lavoie et Pascal Albert font partie des résidents qui souhaitent la séparation municipale. Photo: Gracieuseté de Paul Lavoie

FAUQUIER-STRICKLAND – Certains résidents de Fauquier-Strickland, dans le Nord de l’Ontario, explorent la possibilité de se séparer de leur municipalité. Ils dénoncent des hausses de taxes jugées trop élevées et un manque de transparence dans la gestion des services municipaux.

Propriétaire de deux entreprises locales, Paul Lavoie fait partie d’un groupe estimé de 60 à 70 personnes qui envisagent cette possibilité. Il affirme que les récentes hausses de taxes, survenues alors que la municipalité de 467 habitants fait face à un déficit record de 2,5 millions de dollars, ont été le déclencheur du mouvement.

« Nous n’acceptons pas l’augmentation de 20 % à Grégoire Mills et Strickland. Nous allons tenter de nous séparer de la municipalité de Fauquier. Nous en sommes aux premières étapes de cette discussion, mais jusqu’à présent, 100 % des personnes que nous avons interrogées sont favorables à la séparation. »

Pascal Albert, résident de Grégoire Mills, dont la taxe foncière a fortement augmenté ces dernières années, fait partie de ces personnes qui souhaitent divorcer avec la ville. 

« L’année dernière, il y a eu 20 % d’augmentation de taxes sur ma propriété. L’année précédente, c’était 25 %. Pour notre petite communauté, c’est devenu trop lourd », explique-t-il.

Paul Lavoie et Yolande Fantham, tous deux propriétaires de terrains de camping et qui subissent une hause des taxes de 7000 $ et 8000 $, ont fait publiquement savoir qu’ils ne paieront pas.. Photo : Gracieuseté de Paul Lavoie

La gestion de l’eau pointée du doigt

L’eau et les égouts représentent un point de tension majeur. Dans les secteurs ruraux comme Grégoire Mills, les résidents ont leur propre puits et fosse septique, mais seraient contraints de contribuer financièrement aux systèmes municipaux qu’ils n’utilisent pas.

Paul Lavoie souligne : « Nous payons pour un système d’eau que nous n’utilisons pas. Les petites propriétés en ville sont couvertes, mais nous, propriétaires ruraux, finançons une partie du système tout en gérant nos propres installations. »

Pascal Albert précise : « Pour ma maison, je paie près de 1 100 $ par an pour le surplus du système municipal. Mon puits et ma fosse septique coûtent chacun 15 000 $ à l’achat et à l’entretien. Nous finançons le système municipal tout en supportant nos propres infrastructures. »

Selon lui, les seules prestations réellement disponibles sont la collecte des poubelles et le service incendie. « On paye des taxes élevées pour presque rien en retour », déplore-t-il.

Même son de cloche chez Pauline Richard qui dit ne pas comprendre pourquoi les résidents paient pour le réseau d’aqueduc de la municipalité sans y avoir accès. « Dans nos taxes, on paie pour la maintenance du réseau d’eau de Fauquier, mais ici on n’a pas d’eau municipale. On n’a pas d’affaire à payer pour un service qu’on n’a pas. »

Face à ce sentiment d’abandon, la résidente du secteur de Strickland soutient la volonté de séparation. « On serait mieux séparés de Fauquier. On est prêts à aller porter nos ordures nous-mêmes et on est convaincus qu’on pourrait gérer nos services mieux nous-mêmes. »

Une manifestation s’est tenue la semaine passée pour protester contre la hausse des taxes. Photo : Gracieuseté de Paul Lavoie

Calculs de taxes et moins de pompiers

Celle qui travaille dans le secteur de la construction déplore également une iniquité dans le calcul des taxes municipales. « Les évaluations ne sont pas justes. Il y a des maisons en ville qui paient moins de taxes qu’un terrain vide ici à Strickland. »

Selon Paul Lavoie, « 92 % des résidents paient une augmentation modérée, mais 8 % du monde paye 34 % des taxes (de toute la municipalité) », et certaines petites entreprises et propriétés résidentielles ou saisonnières, comme les chalets et campings, sont taxées au taux résidentiel complet, ce qui fait exploser leur facture.

M. Lavoie souligne que cette situation est accentuée par le système d’évaluation municipale (MPAC) et les « facteurs » appliqués par la province pour calculer les taxes, qui font que certaines petites maisons payent peu, tandis que d’autres paient beaucoup.

« Ils nous ont enlevé notre camion et caserne de pompiers sans même nous avertir, pour des raisons de coût de chauffage. Mais l’été, il n’y avait pas de chauffage, ça ne coûtait rien. On nous dit qu’on est protégés par Fauquier, mais le temps que les pompiers se rendent là-bas et reviennent ici, c’est trop tard. »

« On veut être un canton désorganisé, parce que là, notre municipalité n’est pas organisée »
— Paul Lavoie

Elle rappelle que lors de l’annexion de l’ancien canton de Strickland à la municipalité de Fauquier-Strickland en 2001, un camion de pompiers devait être maintenu sur place afin d’assurer la protection des résidents. « Il y a bien des assurances qui augmentent si on est à plus de 5 km du camion de pompiers », précise-t-elle.

La situation inquiète également Pascal Albert, devenu chef volontaire de la brigade, qui précise que si un feu important survient, il doit faire appel à ses homologues des villes voisines de Moonbeam et Smooth Rock Falls.

« Depuis la retraite de notre chef en juin, plusieurs membres expérimentés ont quitté la brigade. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que quelques pompiers, alors que nous étions une quinzaine auparavant », rapporte-t-il.

La municipalité de Fauquier-Strickland est majoritairement francophone et s’étend sur 101 325 hectares. Source : Ville de Fauquier-Strickland

Une démarche légale en cours

Le groupe de résidents a désormais trouvé un avocat spécialisé en droit municipal pour les accompagner dans leur projet.

« On est en contact avec un avocat qui s’occupe de ce genre de dossier. Il nous aide à compiler toutes les informations et à préparer notre demande », explique Pascal Albert. Les partisans de la séparation souhaitent créer un territoire non organisé, sans conseil municipal, autonome pour ses services et son budget, administré par la province avec une fiscalité réduite.

« On veut être un canton désorganisé, parce que là notre municipalité n’est pas organisée, prendre soin de nous ensemble et ne pas payer des taxes plus élevées que les autres municipalités », résume Paul Lavoie. Selon les premières consultations, environ 60 à 70 personnes seraient intéressées par cette démarche.

Beaucoup de membres expérimentés ont quitté la brigade depuis la crise selon Pascal Albert. Photo : Gracieuseté de Pascal Albert

Pauline Richard compare la situation à celle de communautés voisines : « Comme à Departure Lake, ils ne sont pas organisés, et c’est le MTO (Ministère des Transports de l’Ontario) qui s’occupe d’ouvrir les routes. Chez nous, nos routes sont moins bien entretenues que là-bas. »

« On commence avec un groupe restreint pour ne pas créer de confusion et mieux organiser nos actions », précise Pascal Albert. Le couple Lavoie et les autres résidents prévoient poursuivre les rencontres et échanges avant de discuter officiellement avec la municipalité.

Les démarches visent également à obtenir davantage de transparence sur les dépenses municipales. « La municipalité ne facilite pas l’accès à l’information. Même les conseillers reçoivent souvent les données en même temps que le public », ajoute M. Albert.

La mairesse de Fauquier-Strickland, Madeleine Tremblay, n’a pas répondu à la demande de réaction d’ONFR.

Une démarche très complexe

Le professeur Gilles Levasseur, spécialiste en gestion et droit à l’Université d’Ottawa, explique que la démarche entreprise par les résidents de Grégoire Mills et Strickland est loin d’être simple.

« Essayer de séparer un territoire d’une municipalité est très exigeant au niveau juridique. Ce n’est pas une décision individuelle : il faut le consentement du conseil municipal et de la majorité des citoyens. Même dans ce cas, le territoire séparé doit rester rattaché à une autre entité municipale, comme un canton uni. Devenir totalement autonome n’existe pas en Ontario. »

Selon lui, la demande des résidents pourrait être considérée par la Commission municipale de l’Ontario, notamment pour ajuster les taxes si un service municipal n’est pas fourni localement.

Gilles Levasseur est professeur de gestion et de droit à l’Université d’Ottawa. Photo : Archives ONFR

« Si vous ne recevez pas un service comme l’eau municipale, vous pouvez demander à réduire votre taxe foncière. Mais demander la séparation complète de la municipalité pour gérer vos propres infrastructures est beaucoup plus complexe et prend des années. »

Le professeur insiste sur la logique derrière les fusions et le maintien des municipalités actuelles : « La province a consolidé les municipalités pour augmenter les revenus, permettre le financement des infrastructures essentielles et garantir que tous les citoyens puissent bénéficier de services équitables. Si chacun commençait à se séparer, on créerait des îles isolées qui ne pourraient plus supporter les coûts des services de base. »