Daniel Stevens, les valeurs autochtones au cœur de l’enseignement
[LA RENCONTRE D’ONFR]
NIPISSING OUEST – Daniel Stevens est un ex-enseignant passionné qui a à cœur le bien-être et le développement personnel de ses élèves. Anishnabe, francophone et anglophone, il est depuis plus d’un an, le directeur d’éducation de l’école secondaire de la Première Nation de Nipissing, laquelle met la culture autochtone au cœur de ses enseignements.
« Comment définiriez-vous vos racines?
J’ai grandi à Sturgeon Falls, j’ai toujours vécu dans la région jusqu’à ce que j’aie l’âge d’aller à l’université, quand je suis parti à London. Mon père est citoyen de Nipissing First Nation et ma mère est francophone de Sturgeon Falls. Mon père travaillait pour les chemins de fer, ma maman travaillait à North Bay comme hygiéniste dentaire. Comme le travail de mon père le forçait à partir hors de la ville souvent, j’ai grandi dans un environnement principalement francophone. J’ai fait l’école francophone catholique jusqu’à la 8e année et au secondaire, j’ai fait l’école anglaise de Northern.
Parlez-vous la langue ojibwée?
Non, mais je l’apprends. Dans la réserve, je communique principalement en anglais avec les membres de la communauté. C’est vraiment un rêve que nous avons, d’avoir la langue autochtone comme première langue. On est très chanceux d’avoir de plus en plus de familles qui apprennent le langage traditionnel à leurs enfants. Dans notre Constitution, on a avoué que notre langage est la première langue même si on ne s’en sert pas tout le temps.
On a seulement 10 aînés, sur 6 000 membres dans notre Première Nation, qui ont le langage comme langue maternelle. Alors, aujourd’hui, on fait beaucoup d’efforts pour revitaliser et propager notre langue. Même sur nos autobus on peut voir des affichages en langage traditionnel. Plus tu le vois dans la langue dans la vie quotidienne, plus tu vas l’utiliser.
Quand avez-vous décidé d’entreprendre une carrière dans l’éducation?
C’est à l’université que je regardais mes options. J’ai fait des demandes d’admission en médecine et en droit, mais les circonstances particulières dans ma vie privée ont fait que j’étais fatigué d’aller à l’école. Mais je tenais à faire quelque chose de différent qui aurait un impact et j’ai réfléchi à mon parcours académique en réalisant que j’ai fait beaucoup d’accompagnement et aidé d’autres élèves donc j’ai décidé de tenter l’enseignement. Je ne regrette pas du tout ce choix aujourd’hui, bien au contraire.
Vous êtes le directeur de l’éducation d’une école autochtone que vous présentez comme étant unique. Qu’est-ce qui distingue votre apprentissage de celui des autres écoles?
C’est ça, dans notre école, on essaie d’enseigner les aspects culturels qui sont propres à nous les anishnabes de Nipissing. On veut que nos étudiants se voient dans le curriculum. Quand tu vas dans le curriculum de la province, on est un ajout, il n’est pas écrit pour nous. Mais quand on va dans notre école, on prend ce même curriculum et on l’adapte à nous. Et ça se voit chez nos élèves chez qui ça développe une confiance en soi, un sens de la fierté. On a plus cette assimilation qui s’opère, mais c’est vraiment l’idée que le matériel pédagogique est pour nous. Les professeurs chez nous travaillent très fort pour que le contenu et la méthodologie pour enseigner, reflètent notre culture de Nipissing.
Quels aspects en particulier de cette culture?
Par exemple, on essaie de montrer que la culture n’est pas stagnante mais évolutive. On peut vivre au 21e siècle et reconnaître que le monde a changé. Nous, on s’adapte avec nos valeurs et nos traditions.
Est-ce quelque chose que vous tentiez de faire lorsque vous étiez enseignant à l’école Northern?
Dans mes salles de classe, quand j’étais dans le système public, j’enseignais toujours dans le sens communautaire. Si tu connais la réponse, c’est ton devoir d’aider quelqu’un qui ne la connaissait pas. J’enseignais les mathématiques alors, pour moi, la bonne réponse ce n’était pas toujours le moyen d’avoir le plus de points. Pendant la COVID-19, avec l’enseignement à distance, je faisais en sorte de bâtir une communauté au sein même de ma salle de classe où les étudiants se sentaient en sécurité. Ça ne faisait aucune différence à quelle culture ou quelle ethnie mes élèves appartenaient.
Considérez-vous avoir le financement et les ressources nécessaires pour le bon fonctionnement de l’école que vous dirigez actuellement?
La relation avec le Canada est complexe. Le Canada ne nous donne pas l’argent nécessaire pour fonctionner, c’est toujours des investissements minimes. Ça nous nuit dans le sens que, si tu vas au provincial, eux ont des ressources et une programmation à laquelle nous n’avons même pas accès, nous, en tant que Premières Nations. Et ça c’est un enjeu qui est lié au fait que la programmation est de juridiction provinciale et notre école qui est de juridiction fédérale.
On est très créatifs et on fait comme on peut, mais, à la fin, on a plusieurs défis à relever pour que nos élèves obtiennent des diplômes de la province, avec beaucoup moins de programmation et de moyens financiers. Il y a des enjeux financiers très importants dans notre région aussi au niveau des salaires des enseignants et des transferts des élèves qui veulent aller dans le système provincial.
Auriez-vous aimé, si vous aviez pu, étudier dans une école comme la vôtre?
Oui c’est certain, si j’avais eu cette chance. Dans mon temps, c’était une programmation d’adultes. On a évolué d’une manière un peu différente de la norme, à tel point qu’on a une école secondaire aujourd’hui.
Transmettre les valeurs inhérentes à votre culture autochtone, est-ce une chose importante pour vous?
Oui, comme n’importe quel parent j’essaie de leur communiquer nos valeurs et nos traditions et, comme chaque enfant, ils résistent. Mais mon aînée commence à se rapprocher de son identité et est de plus en plus curieuse. Évidemment, ce n’est pas quelque chose que l’on peut forcer, ils vont faire ce qu’ils vont faire et en tant que parent on ne peut que les soutenir dans leurs choix.
Quels sont les défis qui demeurent dans votre territoire en particulier?
On a de la chance ici car on a de bonnes relations avec les villes qui nous entourent. On a des problèmes évidemment, au niveau des ressources, mais le fait d’être à proximité de grands pôles urbains aide beaucoup, contrairement à d’autres nations plus isolées.
Vous parlez un français impeccable, est-ce facile de jongler avec vos différentes identités?
Des fois oui, des fois et non. Je dis toujours que je m’assois sur le coin de trois cultures : mon père est autochtone oui, mais il est anglophone, et ma mère est purement francophone. Il y a des conflits, mais j’essaie de prendre le meilleur de chaque identité.
Nous sommes en plein dans la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, alors si vous deviez choisir une vérité que vous souhaiteriez que les gens connaissent par-dessus les autres, ce serait laquelle?
C’est une question délicate. Je pense qu’il faut vraiment vivre le concept de respect. On ne va pas se comprendre l’un l’autre, car on est des peuples totalement différents. Alors oui on parle tous de respect, mais, quand on regarde ce qui se passe, on réalise que les actions ne se font pas dans le respect. Nous, on veut juste être respectés pour qui nous sommes.
On veut que quand quelqu’un vienne à un Pow wow, qu’il ne voit pas que des costumes, mais un rassemblement de communautés, le tambour comme une musique spirituelle. C’est notre façon de voir le monde et les gens n’ont pas besoin de comprendre pour nous respecter. Je n’ai jamais été dans une mosquée ou une synagogue, mais ça ne veut pas dire que je n’ai pas besoin de les respecter, qu’ils n’ont pas le droit de propager leur culture, leur vision globale. C’est ma responsabilité en tant qu’humain de les respecter.
Trouvez-vous qu’il y ait un véritable effort de réconciliation aujourd’hui, en 2023?
Beaucoup de monde appelle certaines choses une réconciliation, mais c’est juste politique. Parfois, on dit ‘’on va faire ça pour les autochtones’’, c’est bien beau, mais, en disant ça, vous nous séparez du groupe, vous nous isolez encore une fois. Pareil, ici encore on a besoin de respect. On veut être consultés pour des décisions, on veut que quand vous vous trouvez chez nous, vous nous laissiez parler et faire notre propre cheminement. Parfois, on a besoin de l’espace, parfois de l’intervention, mais ça, c’est à nous de décider. »
LES DATES-CLÉS DE DANIEL STEVENS
- 1979 : Naissance à Sturgeon Falls
- 1998 : Entame des études à l’Université Western de London
- 2005 : Commence sa carrière d’enseignant à l’école Northern
- 2021 : Devient le premier citoyen de Sturgeon Falls à être élu au sein du conseil de la Première Nation de Nipissing
- 2022 : Est nommé directeur d’éducation à l’école secondaire de la Première Nation de Nipissing
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.