Dans l’Est ontarien, les journées chargées du docteur Paul Roumeliotis
L’ancien pédiatre, Paul Roumeliotis, se serait bien passé de cette notoriété naissante. Depuis deux mois, jour après jour, le médecin hygiéniste en chef de l’Est ontarien est plongé au cœur de l’épidémie de COVID-19. Sa mission : analyser les données, informer, mais aussi rassurer les 225 000 résidents de ce territoire englobant Glengarry-Prescott-Russell et Stormont-Dundas-South Glengarry. Rencontre.
8 mai dernier. Depuis sa résidence d’Orléans, Paul Roumeliotis donne sa conférence de presse quotidienne via Zoom. L’heure est grave. Quatre morts de plus sont comptabilisés dans le foyer de soins de longue durée Pinecrest, à Plantagenet.
« Cela m’a vraiment dérangé et affecté. Cette situation est tragique », lance alors le médecin, manifestement ému.
Quelques jours plus tard pour ONFR+ : « Oui, ce genre de situations me frappe au cœur, même si ce n’est pas la première fois que je vois des tragédies. Avec les décès que l’on a au niveau global, on s’interroge toujours sur ce qu’on pourrait faire pour en éviter des nouveaux. C’est mon but. »
Depuis le 15 mars, date du premier cas officiel de coronavirus à Alexandria, les journées s’enchaînent sur un rythme infernal pour le responsable du Bureau de santé de l’est de l’Ontario (BSEO). Avec parfois des signes d’accalmie, d’autres fois la mort au rendez-vous.
7h du matin. « C’est le moment où ma journée commence », précise Paul Roumeliotis. Devant son écran d’ordinateur, le médecin lit, et analyse les dernières actualités sur la COVID-19. Le temps de préparer la réunion de 11h. À ce moment, l’équipe de « gestion des incidents », avec Paul Roumeliotis en commandant, se met en marche.
Autour de la « table virtuelle », on retrouve entre autres les gestionnaires du BSEO : les responsables des opérations, le gestionnaire de liaison pour les maladies infectieuses, des communications, ou encore une personne dédiée à la liaison avec la communauté mohawk d’Akwesasne, près de Cornwall. Un territoire à risque puisque cette communauté est directement au contact des Comtés de Saint Lawrence et de Franklin, deux comtés qui font partie de l’État de New York aux États-Unis.
« Tous les directeurs et les gestionnaires ont des tâches précises. Chacun sait les tâches qu’il a alors à faire. »
Son rôle à lui : répondre aux municipalités, aux commerces, aux hôpitaux, et à tout cet éventail de « partenaires communautaires » avides d’informations.
« Ce sont souvent des nouvelles avec les règlements et l’État d’urgence déclaré dans la province. Les gens veulent savoir s’ils peuvent utiliser l’air climatisé à tel endroit, mettre les bateaux dans l’eau… »
Des pouvoirs pour l’hygiéniste en chef
Mais ses tâches ne se limitent pas à exécuter les ordres de Santé publique Ontario.
« Je peux ordonner la fermeture, le changement ou les modifications d’une structure physique pour enlever une menace. Je peux aussi donner des amendes. Le médecin hygiéniste a des pouvoirs pour demander des demandes d’inspection. Si on trouve des choses pas hygiéniques, pas sanitaires, on pourrait ordonner. »
15h, c’est le moment de se pencher sur la conférence prévue 1h15 plus tard, via Zoom.
« Je reçois les questions vers 15h-15h30. Ce sont des questions sur les détails ou les chiffres à clarifier. Outre les questions à répondre, j’ai aussi en tête d’annoncer qu’est-ce qui est nouveau, qu’est-ce qu’on peut annoncer, comme l’ouverture des marinas, ou parfois malheureusement les nouveaux cas. »
La conférence de presse quotidienne du BSEO est un cas rare, en Ontario. Face à la COVID-19, la plupart des agences se contentent de communiqués. Dans le meilleur des cas, comme à Ottawa, des conférences ont lieu sur une base non régulière.
« En fait, je suis l’ancien directeur des communications de l’Université McGill, et j’ai été l’un des premiers médecins à avoir mon site web en ligne, en 1995. Je crois en la transparence et la communication. C’est pourquoi je veux faire des mises à jour quotidiennes. »
Des différences nettes avec la crise de la grippe A
Entré en fonction en 2007, Paul Roumeliotis a donc connu l’épidémie de grippe A (H1N1) de 2009, avant de combattre la COVID-19, 13 ans plus tard. Et le constat est sans appel : « C’est sans comparaison. »
« En 2009, on avait le vaccin, et le traitement médicamenteux. Ça a frappé les maisons de soins de longue durée, mais les personnes étaient quasi protégées du fait qu’on pouvait donner le traitement à tout le monde. »
Les chiffres de l’Est ontarien sont pourtant bons, si l’on se fie à la moyenne provinciale. Les 142 cas observés depuis le début de la crise pèsent peu dans la balance ontarienne.
Car si un peu plus de 1,5 % des Ontariens résident dans cette région, cette dernière ne comprend que 0,6 % des cas de coronavirus, et environ 0,5 % des décès.
« Plusieurs facteurs n’allaient pas dans le sens de la réussite. Beaucoup de gens bougent dans notre région, notamment à Ottawa, et nous avons une population plus âgée qu’ailleurs », prévient M. Roumeliotis.
« À Limoges et Rockland, il y a beaucoup de gens qui travaillent à Ottawa. Nous avons aussi une proportion plus forte de personnes âgées et de personnes qui ont des maladies chroniques. »
Pourquoi alors une réussite? « Nos gens ont respecté les mesures de santé publique. Finalement, peu de personnes ont voyagé ailleurs et on a constaté le plafonnement de la courbe communautaire. »
En dehors des dix morts à la Résidence Pinecrest, il n’y a toujours aucun décès provenant d’une transmission communautaire.