Laure Ghenkam est camerounaise. Elle arrive au Canada en 2001 après quelques années passées en Italie. Photo : Gracieuseté de Laure Ghenkam

TORONTO – Du Cameroun à l’Italie, Laure Ghenkam déménage avec son époux au Canada en 2001, pour les opportunités professionnelles. Confrontée aux difficultés de la fameuse « expérience canadienne » nécessaire au marché du travail, l’épine dans le pied de beaucoup d’immigrants, c’est pourtant là que se révèlent sa vocation d’enseignante et ses talents d’entrepreneure. Les différences culturelles la confrontent également au niveau de l’éducation parentale et la poussent à se dépasser.

Après des études en droit privé au Cameroun, elle part vivre en Italie, où elle rencontre « l’homme de sa vie », qui deviendra son mari. Après six ans à Milan, ils s’intéressent au Canada pour les opportunités économiques dont le pays recèle.

Ils s’installent directement en Ontario, mais venant d’un pays francophone, la maitrise de l’anglais est un défi pour Laure au tout début.

Autres défis majeurs, la non-reconnaissance des qualifications et diplômes étrangers ainsi que la nécessité d’une première expérience canadienne pour entrer sur le marché du travail, de laquelle découle la difficulté à trouver un logement.

Elle obtient finalement son premier emploi dans un centre d’enseignement du français.

« Ça a réveillé l’éducatrice en moi. Fille d’enseignants, croyez-le ou non, c’est la seule profession que je ne voulais pas faire! »

Rattrapée par sa vocation, Laure retourne alors à l’université pour obtenir son baccalauréat en éducation. Elle est aujourd’hui enseignante à l’élémentaire immersion française depuis 2003 à Markham, dans la Région du grand Toronto.

« J’adore enseigner. Aujourd’hui je ne me vois pas faire autre chose. Je l’avais en moi et il aura fallu que j’arrive au Canada pour le découvrir », philosophe-t-elle.

Elle choisit l’élémentaire, car les adolescents du secondaire lui semblent peu respectueux de l’autorité parentale et professorale. Elle explique en effet qu’au Cameroun, les professeurs sont quasi vénérés. Au Canada, elle se confronte à une réalité bien différente.

Contrastes culturels dans l’éducation parentale

Laure Ghenkam, au centre, entourée de sa famille. Photo : Gracieuseté de Laure Ghenkam

Laure est mère de trois enfants, aujourd’hui respectivement âgés de 24 ans, 18 ans et 16 ans.

« Je viens d’une culture où le parent est respecté. Mes parents n’ont jamais eu à me répéter deux fois d’aller ranger ma chambre ou de participer aux tâches de la maison, par exemple. En bref, les enfants ont un respect incroyable pour leurs parents et enseignants. »

« Ma fille Christine est née à Milan, mais mes deux autres sont nés au Canada. »

Confrontés à une culture nord-américaine qui valorise une grande confiance en soi et l’individualité dès le plus jeune âge, pour cette maman, les vrais défis commencent à l’adolescence.

« À cet âge, ils ont parfois du mal à faire la part des choses, sont influencés par des amis de différents horizons. À cela s’ajoutent les réseaux sociaux, les émissions de téléréalité à n’en plus finir. Se crée alors un vrai écart pour moi, Camerounaise, qui ne m’attend pas à avoir à répéter mille fois la même chose. »

Celle-ci explique qu’à cet égard, élever sa fille aînée au Canada fut très difficile. « On peut parfois en arriver à la cassure si on ne met pas de l’eau dans notre vin ».

Ayant vécu le décrochage universitaire de sa fille, malgré ses facilités académiques, elle la laisse réaliser par elle-même le chemin à prendre. Après deux ans de pause, elle songe sérieusement à reprendre ses études.

« En tant que parent, c’est un équilibre à trouver. On souhaite qu’ils soient en sécurité et qu’ils réussissent et, tout à la fois, il faut être à leur écoute, reconnait-elle. J’ai appris à leur parler plus pour leur faire comprendre les choses. La communication est primordiale. »

Elle raconte que quand elle voyage avec ses enfants au Cameroun, ceux-ci sont facilement considérés « impolis » vis-à-vis des figures parentales, les codes étant si différents. Ils ont d’ailleurs découvert avec étonnement que certains membres de leur famille vivaient avec leurs poules dans leur maison.

Une adaptation réussie

Guidée par sa fibre pédagogique, en parallèle de son emploi – 20 ans passés auprès du conseil scolaire de York – Laure se lance en tant qu’entrepreneure.

Elle crée sa propre compagnie il y a trois ans, Sephora French Centre, qui offre des services de tutorat en français, aux enfants comme aux adultes, en groupe notamment, que les motivations soient personnelles ou pour les affaires. Son équipe se constitue à l’heure actuelle de cinq tuteurs.

« En commençant dans la profession, je me suis rendue compte que le besoin était grand quant à trouver des enseignants qualifiés qui ont le français comme langue maternelle. C’est de ce besoin que m’est venue l’idée. »

Laure est formelle, elle n’a aucun regret. Venir au Canada avec sa famille a été la meilleure décision qu’elle ait pu prendre. Elle ajoute en revanche que chacun gagnerait à grandir et à vivre dans son propre pays si seulement ceux-ci leur permettaient des perspectives d’avenir.

« Il est regrettable que certains pays, comme le Cameroun, ne développent pas leur propre potentiel pour leurs milliers d’étudiants qui finissent par partir, une fois leur diplôme en poche. C’est dommage et j’espère que ce sera différent à l’avenir. »

« J’adore le Canada, mis à part le froid, conclut-elle en éclatant de rire. Il m’aura tout de même fallu 20 ans pour m’habituer à la météo. »

Chaque jour de la Semaine nationale de l’immigration francophone, ONFR vous fait découvrir un portrait d’immigrant francophone en Ontario, son parcours, ses défis, ses succès.