Dépôt de documents en français : une première étape vers un appareil juridique bilingue?
L’annonce du projet de loi du gouvernement Ford d’améliorer l’accès au système de justice pourrait déboucher vers une plus grande présence du français au sein de l’appareil juridique ontarien, selon des experts en droit. Cet « énorme gain » pour les Franco-Ontariens permettra, entre autres, de déposer des documents en français dans tous les palais de justice de la province.
Le dépôt de documents fait partie de diverses mesures annoncées hier par le gouvernement Ford. Avec ce projet de loi, la province veut aussi réduire les délais d’attente dans la nomination de magistrats et rendre de façon permanente la tenue de certains processus en mode virtuel. Le procureur général Doug Downey veut ainsi « réduire les obstacles qui se présentent aux citoyens ».
Pour le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, François Larocque, ces nouvelles mesures sont un bon coup dans l’amélioration des services juridiques en français en Ontario.
« Ces changements positifs ont pour effet de ramener les langues officielles sous un pied d’égalité dans les procédures judiciaires. On a le droit en ce moment d’intenter une poursuite en français et d’avoir droit à une instance en français, mais là on va avoir le droit de déposer les formulaires de la cour, la poursuite et les documents de la preuve. C’est énorme ça et ça va enlever un fardeau sur les deux parties. »
Pour la porte-parole libérale aux affaires francophones, Amanda Simard, cette annonce du gouvernement Ford ne règle pas le problème principal.
« Le vrai problème, c’est les juges bilingues. Si on dépose des documents en français, les juges doivent pouvoir comprendre les documents dans la langue dans laquelle ils ont été déposés. C’est ça le vrai problème et il n’y a pas d’excuse », estime la députée de Glengarry-Prescott-Russell.
« On pourrait dire que ça revient au fédéral, mais tous les juges de la cour provinciale sont nommés par la province et c’est dommage que l’Ontario n’en nomme pas plus. C’est quand la dernière fois que Mme Mulroney et M. Ford ont insisté pour nommer des juges bilingues? Jamais », lâche l’ancienne membre du gouvernement Ford.
Le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, Gilles Levasseur admet que le nombre de juges bilingues pose problème, mais selon lui, la province doit se doter d’« outils » comme il l’a fait avec cette annonce avant de régler ce problème. Il pense que le ministère de la Justice vient d’ouvrir « une porte d’entrée » à l’arrivée de nouvelles mesures telles que plus de juges et du personnel bilingues dans le futur.
« Il faut séparer trois choses : une la démarche administrative, le fonctionnement du tribunal et les décisions. Ici, ça porte sur le fonctionnement administratif, c’est une étape, mais, car cette étape est franchie, ça va permettre d’amener des gens qui vont demander des procès bilingues et des juges bilingues. On a ouvert la porte maintenant il faut se concentrer pour savoir comment on va y travailler », avance M. Levasseur.
Selon ce dernier, le dépôt de documents va forcer à avoir plus de personnel bilingue dans tout l’appareil judiciaire comme « le travailleur au bureau du greffe les gens qui font la classification et à la recherche de dossiers. »
« Ça va forcer la machine judiciaire à avoir du personnel judiciaire compétent dans les deux langues officielles. C’est toute la machine qui sera capable de se positionner dans un contexte bilingue… Ça va nous permettre d’aller au tribunal et d’avoir une section bilingue au tribunal. On va enfin pouvoir accès à des gens qui vont pouvoir fonctionner avec nous. »
Une accessibilité élargie pour tous les cas
Pour M. Larocque, la possibilité que les documents puissent être déposés dans la langue de Molière, mais aussi partout en province, est une victoire pour les Franco-Ontariens.
« Avant, on avait le droit de déposer seulement dans certaines régions désignées et là ils viennent d’éliminer ça, c’est énorme ça. Ça veut dire que les tribunaux partout en Ontario vont devoir avoir une certaine capacité de recevoir des documents en français et donc avoir du personnel formé dans les deux langues… C’est une avancée importante », croit le professeur universitaire.
Pour ce dernier, le citoyen francophone gagne une assurance qu’il sera servi dans sa langue, peu importe le litige.
« La possibilité d’accéder à la justice en français dépendait avant de quelles sortes de questions, que ce soit pénal ou familial? Par exemple, pour une chicane de clôtures entre voisins, ce n’était pas clair si on pouvait avoir accès à une instance bilingue. Cette annonce vient clarifier ça. Ça vient uniformiser toutes les instances dans lesquelles on peut accéder à la justice en français, donc un meilleur accès à plein de sujets dans diverses matières pour tous les Ontariens. »
Des juges bilingues demandent l’opposition
Pour l’opposition néo-démocrate, le gouvernement ne « remplit toujours pas son devoir de donner des services en français équitablement comme les anglophones ».
« Ça n’annule pas l’effet systémique en matière d’accès à la justice en français. Les Franco-Ontariens attendent toujours un accès à la justice en français partout dans la province. Les francophones restent vulnérables en raison du manque de juges, d’avocats, d’agents correctionnels et de traducteurs », affirme le député de Mushkegowuk-Baie James, Guy Bourgouin.
Pour Amanda Simard, le projet de loi est « bien accueilli », mais il s’agit, selon elle, de quelque chose qui existait déjà.
« C’est un petit pas facile, car on fait juste codifier dans la loi ce qu’on fait depuis un an en raison de la COVID-19. Avec les audiences à distance, c’est la norme. C’est un gain vers le virtuel que les Franco-Ontariens reconnaissent désormais », pense Mme Simard.