Des acteurs en santé veulent inciter la demande active de services en français
TORONTO – Demander spontanément à être servi en français quand on se présente dans un hôpital, un centre communautaire ou une maison de soins de longue durée? C’est le but d’une initiative lancée ce samedi par l’Entité 3, une agence de planification de services de santé en français, afin de faire prendre conscience aux fournisseurs de services qu’il existe un réel besoin.
En Ontario, les organismes désignés sous la Loi sur les services en santé sont tenus au principe d’offre active, c’est-à-dire proposer de servir leurs usagers dans la langue officielle de leur choix sans qu’il aient à le demander. Mais l’immense majorité des centres de soins, cliniques et autres cabinets médicaux ne sont pas désignés, une démarche volontaire parfois empreinte de scepticisme ou bien dissuasive financièrement puisqu’elle implique des ressources adaptées en personnel et en signalétique.
L’Entité 3 dans le Grand Toronto veut abattre ces barrières et accroître le nombre de prestataires de services capables de répondre en français aux attentes de la communauté. Comment? En adoptant une approche inverse mais complémentaire : inciter les patients de langue française à demander activement à être servis en français. Son objectif est ainsi de convaincre les fournisseurs qu’il y a un réel besoin parmi la population et lutter contre une réplique habituelle : « On a pas de clients francophones ici, pourquoi offrir des services en français? »
Avec cette initiative dévoilée ce samedi en conférence de presse au Centre communautaire Rexdale, à Etobicoke, Constant Ouapo, directeur général de l’Entité 3, veut « sortir d’un cercle vicieux dans lequel les fournisseurs n’offrent pas car les gens ne demandent pas et, inversement, les gens ne demandent pas car les services ne sont pas disponibles ni affichés ».
Son mot d’ordre : mobiliser la communauté sur l’importance d’initier activement la demande de services en français dès le premier contact avec les prestataires de soins. « Les francophones ne doivent pas être complexés à demander des services en français parce que c’est un droit et si on le l’exerce pas, on le perd. On veut que la communauté mette la pression, demande ces services, pour que nous, planificateur, on soit en mesure de dire aux anglophones qu’il y a un besoin. »
Soutenue dans sa démarche par le gouvernement via son agence Santé Ontario, l’Association des communautés francophones de l’Ontario-Toronto (ACFO-Toronto), la Fédération des aînés et des retraités francophones de l’Ontario (FARFO), le Collège Boréal et le Comité local en immigration francophone de Toronto, l’Entité 3 entend toucher autant les nouveaux arrivants, les étudiants, que les francophones établis ou les aînés.
« À travers ses organismes, on va cibler chaque tranche de la population, sonder quelle est l’expérience des gens en matière de santé, puis développer des modules pour les outiller en matière de droits linguistiques et culturels »,, précise M. Ouapo.
« Il est important que les fournisseurs de services soient conscients de la demande de soins de santé en français », appuie Peter Hominuk, directeur général de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) qui salue l’initiative torontoise.
Trouver un « équilibre » entre l’offre et la demande de services
« Ce projet contribuera à un équilibre entre l’offre et la demande de services de santé en français, en donnant aux francophones la confiance nécessaire pour participer activement à la réforme du système de santé local », est persuadé Pascal Lumbala, responsable des services de santé en français au Centre communautaire Rexdale.
Son centre collabore depuis huit ans avec l’Entité 3 pour maintenir et développer des services en français. On y trouve notamment du personnel bilingue dont un médecin en santé primaire, une infirmière, un promoteur de santé et une spécialiste en santé mentale. La création d’un département en français est aussi en cours de développement et le centre serait en bonne voie d’être désigné sous la Loi sur les services en français.
« C’est quelque chose qui vaut la peine d’être essayé mais lorsque tu es malade ou que tu as de la douleur, les soins tu les veux tout de suite, pas dans six heures ni dans huit heures », nuance France Gélinas, porte-parole de l’opposition en matière de santé. Dans la réalité, « les gens préfèrent demander en anglais plutôt que de demander des services qu’ils n’auront pas aussi vite que le reste de la population ».
La députée néo-démocrate estime que le gouvernement porte une grande responsabilité dans l’accès à la santé en français. « Pour nous les francophones, un service de qualité, ça veut dire un service en français et le gouvernement doit en prendre en compte dans ses investissements. Or, ça fait environ 10 ans que les centres de santé n’ont pas eu d’augmentation de leur budget de base. Même chose pour les soins de santé mentale. »
« Le gouvernement préfère donner des contrats de millions de dollars à des cliniques privées et de centaines de millions de dollars à maisons de soins de longue durée privées, mais quand vient le temps de donner accès aux francophones à des soins de base, ça devient difficile. »