Des chauffeurs de camion dangereux sur les routes de l’Ontario
TORONTO – C’est l’avis de l’association Truckers for Safer Highways, un groupement de conducteurs de poids lourds chevronnés qui militent pour plus de sécurité sur les autoroutes de l’Ontario, qui voient de plus en plus de collisions dues à des erreurs de conduite chez les transporteurs. En cause, des formations expédiées et non homologuées, un manque de contrôle des forces de l’ordre et des entreprises de transport aux habitudes frauduleuses qui mettent leurs employés et les usagers de la route à risque. Plusieurs députés de l’Ontario se sont ralliés à leur cause et appellent le gouvernement à prendre des mesures.
« Tous les jours, on ferme nos autoroutes pour des collisions et quelqu’un perd la vie au moins une fois par semaine », déclare Lise Vaugeois, députée néo-démocrate de Thunder Bay-Supérieur-Nord. « Des agents de la Police provinciale de l’Ontario (OPP) m’ont écrit au sujet de ces décès et m’ont demandé comment nous pouvons empêcher les conducteurs inexpérimentés de conduire dans notre province. »
Dans une récente conférence de presse à Queen’s Park, la députée évoquait le sinistre bilan d’un week-end « typique » pour le Nord de l’Ontario : une collision majeure entre deux camions, faisant un mort et un blessé grave, une sortie de route d’un poids lourd détruisant deux maisons, un autre camion à une intersection atterrissant dans le jardin d’une maison à Thunder Bay, ainsi qu’un conducteur de déneigeuse perdant la vie à cause d’une collision avec un transporteur.
Travis McDougall, le co-fondateur de Truckers for Safer Highways, qui était à ses côtés à l’Assemblée législative de l’Ontario, représentait l’association créée à l’instigation de deux conducteurs de camion expérimentés, Jeffrey Orr et lui-même, née du constat de l’aggravation des collisions dues à des erreurs de conduite. Ses membres comprennent des transporteurs, un examinateur de tests de conduite et un communicant dans l’industrie du transport.
Xavier St-Gelais, un chauffeur franco-ontarien, s’est joint à Truckers for Safer Highways, dont il partage les valeurs. Celui-ci préfère désormais assurer des trajets Canada-États-Unis : « Les routes y sont plus sûres et il y a beaucoup plus de contrôles des camions. Le réseau routier est beaucoup mieux planifié. » Il explique que les camionneurs franco-ontariens partagent leurs inquiétudes sur le groupe Facebook au nom évocateur « La route 11/17 tue ».
Avec une longueur de 1964 km, la route 17 est la plus longue route provinciale de l’Ontario allant de Arnprior jusqu’à la frontière du Manitoba. La route 11 est quant à elle la seconde plus longue, 1780 km reliant Barrie à Rainy River, en passant par Orillia, North Bay, Kapuskasing Thunder Bay et Fort Frances.
Le député de Mushkegowuk-Baie James Guy Bourgouin avait tenté plus tôt dans l’hiver de faire adopter les routes 11 et 17 en classement prioritaire et s’était insurgé du refus du gouvernement : « Qu’avez-vous à dire aux gens de la route 11 et 17 qui ne cessent de vivre des accidents et des fermetures de la route? »
Des postes d’inspection vacants
Selon un communiqué de presse de 2022 de l’OPP, les chiffres semblent en effet indiquer « une augmentation de 40 % des accidents impliquant des camions de transport par rapport à la même période l’an dernier ».
Le dernier rapport annuel du ministère des Transports enregistrait une hausse du pourcentage de collisions mortelles impliquant des poids lourds dont la cause est la mauvaise conduite du conducteur du camion, entre 2015 et 2019.
« Nous avons besoin des forces de l’ordre. Je peux conduire de Barrie jusqu’à Winnipeg aller et retour sans voir un seul poste d’inspection ouvert en Ontario » – Travis McDougall
La proposition d’amélioration de la sécurité des transporteurs de Truckers for Safer Highways, soumise à Queen’s Park, décrit que le « nombre d’agents de contrôle des véhicules commerciaux a considérablement diminué de 38 % en Ontario depuis 2012 », tandis que le nombre de camions sur les routes n’a cessé d’augmenter chaque année.
« En tant que transporteurs, c’est vraiment préoccupant que nous soyons capables de savoir à quelle fréquence les stations d’inspection sont ouvertes. Pour de nombreux chauffeurs, il est courant de prévoir de les éviter et il est facile de le faire dans tout le pays », témoigne Travis McDougall,
Et de renchérir : « Nous avons besoin des forces de l’ordre. Je peux conduire de Barrie jusqu’à Winnipeg aller et retour sans voir un seul poste d’inspection ouvert en Ontario. Personne n’aime recevoir de contraventions, mais, en tant que chauffeurs responsables, nous voulons ces mauvais numéros hors de nos routes. »
Des curriculums non homologués et non audités
Le vérificateur général de l’Ontario en 2019 a analysé que « les conducteurs qui ont passé leur test avec des transporteurs avaient un taux de réussite de 95 % contre seulement 69 % dans les centres de test de conduite ».
« Nous avons constaté que 25 % des 106 transporteurs qui testent leurs propres chauffeurs dans le cadre du programme se classent parmi les pires transporteurs en termes de performances en cas de collision. »
M. McDougall dit que la société de transports pour laquelle il travaille embauche de nouveaux détenteurs de permis qui devraient pouvoir répondre à des questions de base sur la manipulation de l’engin et en sont incapables.
« Il y a un grand manque de formation en Ontario » – Xavier St-Gelais
Selon lui, de nombreuses écoles non auditées apprennent à réussir uniquement l’examen en donnant les codes nécessaires pour répondre aux questions par cœur sans savoir ce que ça veut dire : « J’ai vu des curriculums qui disent quelle formulation précise utiliser si interrogé sur tel point. Certains de ces nouveaux chauffeurs ne savent même pas qu’il leur manque des connaissances. »
« Le ministère des Collèges et Universités est supposé surveiller et réglementer les écoles qui ne sont pas autorisées à enseigner. Il en existe beaucoup et très peu de contrôleurs qui peuvent physiquement s’y rendre pour les inspecter », ajoute-t-il.
Selon l’association, les pressions mises sur les examinateurs et sur les écoles pour former rapidement des chauffeurs nécessitent davantage de soutien et de moyens déployés pour les tests de conduite en Ontario.
« Il y a un grand manque de formation en Ontario. J’ai plusieurs amis aux États-Unis qui ont reçu un excellent système de formation : six semaines à l’école et un stage long avec une entreprise de transport. Dans mon cas, juste une formation et après ça, lâché dans la nature », déclare Xavier St-Gelais, qui déplore le manque de pratique.
Il explique également que la majorité des chauffeurs viennent du Sud de l’Ontario et qu’ils ne sont pas préparés aux conditions difficiles des routes du nord, d’où la nécessité d’avoir une formation complète de qualité.
Les comportements frauduleux de certains transporteurs
Chaque transporteur a une Immatriculation d’utilisateur de véhicule utilitaire (IUVU), Commercial vehicle operator’s registration (CVOR) en anglais, un système qui suit sa cote de sécurité.
« Lorsqu’un conducteur comme moi reçoit une contravention, les points vont aussi au transporteur, qui peuvent être regardés par le ministère des Transports, les compagnies d’assurance et même les clients », raconte le co-fondateur de Truckers for Safer Highways.
« Ils ouvrent une entreprise sous un autre nom avec les mêmes camions. Ces entreprises contournent un système qui leur permet de le faire » – Travis McDougall
« Mais quand certains transporteurs obtiennent une trop mauvaise note, ils ferment l’entreprise et le lendemain, ils en ouvrent une autre sous un autre nom avec les mêmes camions, sauf qu’ils ont à nouveau une note de sécurité neutre. Ces entreprises contournent un système qui leur permet de le faire. »
À titre de comparaison, M. McDougall raconte que le Manitoba a annoncé que ses organismes d’application de la Loi sur les véhicules commerciaux s’en prendront aux transporteurs ayant recours à ces pratiques et mettront en place des moyens efficaces pour que le système les en empêche.
C’est un changement systémique que l’association réclame : une meilleure formation des conducteurs commerciaux, la dotation en personnel des postes d’inspection sept jours sur sept, afin que les règles de sécurité puissent être appliquées, et la formation des policiers à la lecture des journaux de bord électroniques afin que les conducteurs ne conduisent pas au-delà du nombre d’heures autorisé.
« Nous espérons que notre message sera entendu, la sécurité sur les routes de l’Ontario en dépend. Nous écrivons régulièrement au ministère des Transports et sommes en lien avec les députés qui soutiennent notre cause », conclut Travis McDougall.
Dans un échange de courriels, le ministère des Transports nous a pourtant assuré que seules les personnes qualifiées conduisent des véhicules commerciaux et que celles qui ne respectent pas la loi s’exposent à des sanctions sévères.
« Notre gouvernement prend très au sérieux la sécurité et la formation des camionneurs, avait répondu en chambre Caroline Mulroney à la députée néo-démocrate Lise Vaugeois. « L’Ontario possède le système de licences commerciales le plus robuste au Canada », affirmait-elle. « Mais cela ne veut pas dire que c’est suffisant. »
Cet article modifié le lundi 1er mai 2023 à 14h20.