Des Haïtiens de l’Ontario dénoncent un « gouvernement illégitime » dans leur pays
OTTAWA – En Haïti, l’assermentation d’un nouveau gouvernement dirigé par le premier ministre Ariel Henri, quelques jours à peine après l’assassinat du président Jovenel Moïse, se serait faite de façon trop précipitée, selon plusieurs observateurs haïtiens. Certains vont jusqu’à dénoncer une ingérence extérieure.
Walner Osna est étudiant au doctorat en sociologie à l’Université d’Ottawa. Il est aussi membre du Collectif de recherche sur les migrations et les racismes (COMIR). Selon lui, l’assermentation d’un gouvernement de transition chargé d’organiser des élections s’est faite à la hâte afin de protéger des intérêts particuliers.
« Pour moi la situation est un peu inquiétante puisqu’on constate que le Core Group, qui s’est institué comme nouvelle forme d’organisation coloniale en Haïti, impose au pays un gouvernement illégitime, illégal, et arbitrairement », s’indigne M. Osna.
Le Core Group auquel M. Osna fait référence est composé « des Ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis d’Amérique, de France, de l’Union européenne, du Représentant spécial de l’Organisation des États Américains et de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies », selon ce que l’on peut lire sur les communiqués en provenance du Bureau intégré des Nations unies en Haïti.
Parmi les reproches que Walner Osna formule à l’endroit du Core Group, il y a celui de manipuler l’échiquier politique tout en favorisant un acteur politique.
« Le Core Group, notamment les États-Unis, veulent renouveler le PHTK (sigle créole du parti du président assassiné) au pouvoir », poursuit-il. « Donc il impose au pays un nouveau gouvernement ‘‘PHTquiste’’ pour organiser des élections, pour redonner le pouvoir aux mafias. Et c’est ce que le peuple haïtien dénonce. On n’accepte pas, on ne reconnait pas ce gouvernement illégitime, qui va faire des élections truquées, des élections frauduleuses, des élections fabriquées, pour le PHTK et pour les États-Unis », affirme M. Osna.
Le vidéographe et producteur, Jehu Jacob Mahautiere, de la région d’Ottawa, croit lui aussi que l’assermentation du nouveau gouvernement s’est faite trop vite.
« Premièrement, j’ai trouvé ça très rapide, prématuré je dirais même… je pense que c’est très précipité. Parce que lorsque l’on voit la façon dont le gouvernement a été démantelé dans les dernières quatre années », souligne M. Mahautiere qui considère que le gouvernement d’Ariel Henri est illégitime, car la candidature de ce dernier à ce poste n’a pas reçu l’aval du Sénat et de la Chambre des députés. « Alors, c’est comme si on ne respecte plus la Constitution haïtienne », déplore-t-il.
À l’heure actuelle en Haïti, tous les postes de sénateurs sont vacants, et aux dires de M. Mahautiere, la Chambre des députés « n’est pas fonctionnelle ». Il faut selon lui pourvoir les postes vacants sans tarder.
Et à travers l’enchevêtrement de règles constitutionnelles, il semble qu’il y ait une lueur d’espoir. Il s’agit de l’administration publique en Haïti qui, selon les dires de M. Mahautiere, demeure opérationnelle.
« On est dans une situation qui n’a pas de précédent, alors il faut faire les choses d’une différente façon, afin que ce ne soit pas toujours les mêmes qui soient toujours dans les mêmes postes », laisse-t-il tomber, faisant ainsi écho aux propos de Walner Osna.
« Je n’ai pas beaucoup de confiance dans la politique haïtienne présentement, mais j’espère vraiment qu’on va me prouver le contraire. J’espère que Ariel Henri sera capable de faire des élections afin qu’on puisse nommer un président et qu’on puisse nommer une administration qui va être capable de gérer le pays d’une différente façon pour les prochaines quatre ou cinq années », confie Jehu Jacob Mahautiere.
Promesses d’élections
De son côté Walner Osna souhaite également qu’il y ait très bientôt un pouvoir légitime et reconnu par le peuple haïtien.
« Nous voulons avoir des élections dans de bonnes conditions, et de façon souveraine, et dans ce cas-là, c’est au peuple haïtien de décider qui (est) capable de diriger le pays de façon légitime et populaire », insiste M. Osna.
« La gouvernance d’Haïti dépend des Haïtiens et des Haïtiennes. Donc, en ce sens, ce sont les acteurs locaux, les acteurs politiques, les acteurs de la société civile qui doivent s’organiser à trouver une entente, un consensus afin de doter le pays d’un gouvernement légitime qui puisse aborder les grandes questions nationales… et aborder les questions sociales fondamentales dont la question de la misère, la famine, je dirais même, puisque la situation économique du pays est extrêmement grave », suggère M. Osna.
Il estime qu’« aucun gouvernement imposé par l’impérialisme américain et le Core Group en général, ne saurait répondre à de telles préoccupations, ne saurait répondre aux revendications populaires. Alors les revendications populaires c’est quoi? », s’interroge-t-il. « C’est de vivre mieux, de vivre dans la dignité, de vivre comme des êtres humains, de réduire les inégalités sociales, d’avoir un minimum de répartition de richesse dans la société haïtienne… », explique Walner Osna.