Des solutions pour aider les journaux francophones en situation minoritaire
OTTAWA – Le Groupe indépendant d’experts sur le journalisme et la presse écrite a remis, ce jeudi, son rapport final au ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme, Pablo Rodriguez. Il y ajoute plusieurs propositions pour enrayer la crise des médias, dont certaines concernent les journaux francophones de l’extérieur du Québec.
« C’est réjouissant de voir cette sensibilité du groupe pour les petites publications des communautés de langue officielle en situation minoritaire et qu’il y ait dans le rapport des recommandations formulées au-delà de son mandat », juge le président de l’Association de la presse francophone (APF) et éditeur-directeur général de L’Acadie Nouvelle, Francis Sonier.
Car le mandat du groupe, composé de représentants des médias à travers le Canada, était surtout d’établir les critères pour mettre en œuvre les mesures fiscales annoncées dans le dernier budget fédéral pour appuyer la presse écrite.
Des mesures qui comprenaient des crédits d’impôt remboursables pour les organismes journalistiques admissibles, un crédit d’impôt non remboursable pour les abonnements aux médias numériques canadiens et le statut d’organisme de bienfaisance pour les organismes de presse sans but lucratif.
Mais, comme le rappelle Pierre-Paul Noreau, président-éditeur du journal Le Droit qui représentait l’APF et ses 23 journaux membres au sein du groupe d’experts, cela ne répond pas à l’ensemble des besoins de l’industrie.
« Ce programme fédéral s’adresse principalement aux moyens et aux gros médias, les petites publications ont été oubliées. »
5 % de la publicité fédérale pour les médias minoritaires
Pour contrer le problème, le Groupe recommande au gouvernement fédéral de consacrer immédiatement au moins 5 % de son budget publicitaire aux publications qui desservent les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
« 5 % de la population vit en milieu minoritaire, nous pensons que ça doit se refléter dans les dépenses », approuve M. Sonier.
Selon le dernier Rapport annuel sur les activités de publicité du gouvernement fédéral du Canada, Ottawa a consacré 39,2 millions de dollars en dépenses publicitaires en 2017-2018.
Le rapport recommande également d’étendre les critères d’admissibilité aux mesures fédérales annoncées dans le dernier budget pour y ajouter les publications qui servent un public établi depuis plus de dix ans et de mettre en place un nouveau programme pour répondre aux besoins des petites publications imprimées et numériques, et plus particulièrement des publications ethniques et autochtones.
Quinze recommandations
La situation est urgente pour le Groupe d’experts qui rappelle que plus de 250 organes de presse canadiens ont fermé leurs portes dans la dernière décennie, selon le « Local News Research Project », et qu’un tiers des emplois en journalisme a disparu au Canada sur une période de six ans, selon le rapport Le Miroir éclaté du Forum des politiques publiques.
Au total, le groupe formule 15 recommandations pour faire face à cette crise, dont certaines ont déjà été évoquées par le passé, comme la taxation des géants de l’internet et autres médias sociaux, tels que Facebook ou Google, mais aussi la révision du régime fiscal des fournisseurs de services Internet. Ces mesures « structurantes » permettraient de rétablir une certaine équité dans la répartition de l’argent généré par la production de contenu médiatique, juge Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications.
« On changerait singulièrement la donne si on appliquait l’ensemble de nos recommandations et ça aurait des retombées concrètes sur tous les médias, y compris les médias francophones en situation minoritaire. Eux aussi se font voler du contenu par les géants de l’internet sans ne rien recevoir en échange. De la même manière, si on modifie la Loi sur le droit d’auteur, ce sera également profitable à tous », abonde M. Noreau.
La perspective des élections
Avec la perspective très prochaine des élections, difficile pourtant de savoir si toutes ces recommandations verront le jour.
« Ce que nous souhaitons, c’est que ce programme (de crédits d’impôt) soit pleinement effectif et ne connaisse pas de retard, car sinon l’impact serait désastreux pour la survie de plusieurs de nos médias », explique Mme St-Onge.
Joint par ONFR+, le bureau du ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme, Pablo Rodriguez, assure maintenir le cap.
« On remercie le panel pour ses recommandations. On passe maintenant aux prochaines étapes pour appuyer le journalisme à travers le pays. Depuis le début, on dit qu’on va protéger l’indépendance des journalistes en laissant l’industrie préciser les définitions et les critères. C’est pour ça qu’on a créé ce panel. On va prendre toutes les mesures nécessaires pour continuer de respecter cette indépendance. »
Joly ouverte aux revendications de l’APF
Du côté des médias francophones en contexte minoritaire, le programme fédéral annoncé dans le dernier budget est loin d’être la seule avenue considérée par l’APF.
Des mesures spécifiques ont aussi été annoncées l’automne dernier. Une enveloppe de 14,5 millions de dollars sur cinq ans du Plan d’action pour les langues officielles prévoit un programme de stages et un Fonds d’appui stratégique aux médias communautaires.
Leur mise en œuvre a toutefois suscité des critiques qui, selon M. Sonier, ont été entendues par la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly.
« Nous l’avons rencontrée la semaine dernière et elle a semblé ouverte à des assouplissements pour le recrutement des stagiaires et pour que soit rapidement débloqué l’argent du Fonds d’appui. J’ai la sensation que ça bougera avant les élections. »