
Deux artistes autochtones en vedette au Musée des beaux-arts du Canada

OTTAWA – Le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) inaugure deux nouvelles expositions ce 29 mai, lors des soirées gratuites du jeudi. Vagues du désir, de Nadia Myre, et Bienvenue dans la maison des rêves, de Skawennati, seront ensuite ouvertes au public du 30 mai au 1er septembre 2025. Les deux propositions se font écho sans se ressembler. Elles racontent les enjeux autochtones en jouant avec les moyens d’expression artistique et en remodelant l’espace-temps.
Avoir son exposition solo au MBAC est un moment particulièrement touchant pour des artistes femmes autochtones, peu nombreuses à avoir déjà reçu cet honneur.
« Je suis tellement honorée et ravie », a lancé Nadia Myre lors de l’avant-première médiatique, mercredi. « Je me sens vue », a également exprimé Skawennati au micro d’ONFR.

Dans Vagues du désir, le temps est suspendu et des œuvres des 20 dernières années sont mises en relation entre elles. En entrevue, Nadia Myre se réjouit « d’avoir une exposition qui présente vraiment un design qui parle de mon travail. J’aime beaucoup qu’on voie toujours les œuvres en contexte avec les autres. On voit des œuvres qui se parlent à travers vingt ans de pratique. »
L’artiste se lève pour nous montrer un exemple, un angle parfait qui permet d’admirer dans un même point de vue le début et la fin de l’exposition. « Je ne sais pas que je fais ça. Mais maintenant, je peux le voir. Ça met les œuvres en perspective. »
Parmi les premières œuvres présentées, une reproduction perlée de la Loi sur les Indiens interpelle le visiteur. Plus loin, une installation immersive joue en boucle Anonymes et Dans le sillage des ombres, des œuvres vidéo datant respectivement de 2015 et 2024.

L’exposition remonte même à l’enfance de l’artiste établie à Montréal et membre de la Nation algonquine des Anishinabeg de Kitigan Zibi. Une peinture d’enfant, réalisée à l’âge de cinq ans, présente une maison sur jambes. Impossible de savoir ce que la jeune Nadia aurait pensé si elle avait su que son œuvre se retrouverait dans un grand musée, mais la Nadia adulte analyse volontiers l’image. « J’ai trouvé ça dans les archives de mon père. Ça explique un peu la réalité que j’avais à cinq ans, raconte-t-elle. J’étais entre deux parents, ma mère était à Vancouver et mon père était à Montréal. »
C’est plus tard dans la vie que l’artiste a commencé à se questionner sur ce que signifiait le fait d’être autochtone. Pour la commissaire de l’exposition, Rachelle Dickenson, les œuvres de Nadia Myre et les nombreux moyens d’expression utilisés « ne donnent pas de réponses, mais posent des questions essentielles » qui peuvent provoquer des réflexions puissantes.
Le futur est autochtone
L’exposition Bienvenue dans la maison des rêves présente des œuvres de Skawennati créées dans les 25 dernières années. L’artiste Kanien’kehá :ka (mohawk) conjugue son identité autochtone et sa passion pour le monde de la science-fiction et des jeux vidéo. En entrevue avec ONFR, elle dit se sentir bien dans ce monde virtuel qu’elle a créé, et où se promène entre autres son avatar, xox.
Les couleurs vives sont en effet au cœur de l’œuvre de Skawennati, qui a imaginé un univers futuriste où les personnes autochtones seraient des personnages principaux épanouis, tout en honorant les traditions et sans faire l’impasse sur les injustices historiques.
Si le contraste entre le visuel et le propos est frappant, l’artiste explique qu’elle ne crée pas avec cette idée en tête.
« Dans la littérature, nous représentons le passé. Nous représentons les personnes qui ne pouvaient pas comprendre la technologie, la race qui meurt et disparaît, se désole-t-elle. J’adore faire des images de personnes autochtones. J’adore faire des images de science-fiction. Mettons ces deux choses ensemble, personne d’autre ne le fait. »

Dans l’exposition, elle présente des machinimas, un mot-valise qui vient des mots machine et cinéma, sur lequel elle est tombée et qui sied bien à son œuvre. Ces courts-métrages sont créés à partir de Second Life, un logiciel qui permet de construire et personnaliser tout un monde virtuel, dans lequel on peut aller passer du temps, entre avatars.
Skawennati écrit ses scénarios et prévoit des chorégraphies pour faire bouger les avatars. Avec des collaborateurs, elle crée les personnages et le décor, puis toute l’équipe se connecte pour jouer la scène. Des acteurs enregistrent les voix et le tout est repassé au montage et bonifié d’effets sonores et visuels.
En plus des machinimas, l’exposition est composée d’œuvres créées à partir de différents matériaux. L’artiste explique s’être inspiré d’éléments de son enfance, comme les poupées, par exemple, pour parler de sujets qui lui importent en tant qu’adulte.

« Je ne cherche pas la sympathie. J’essaie simplement de présenter les faits sous la perspective d’une personne autochtone. Je ne crois pas que la société au sens large n’ait eu beaucoup d’occasions de voir ce point de vue. »
Skawennati explique ne pas vouloir se poser en victime. « Il y a beaucoup d’aspects négatifs d’avoir grandi sous la Loi sur les Indiens. Mais on fait avec. On rit, vous savez! »
Lorsqu’on lui demande ce qu’elle souhaite pour les autochtones du futur dans le monde réel, elle répond : « Je pense que le processus de revitalisation qui se passe en ce moment (…) est très inspirant. Je nous souhaite de ravoir nos langues et nos cérémonies, nos cultures et nos savoirs. Je souhaite à toutes les personnes autochtones de les connaître si bien qu’on ne craigne plus de les montrer aux allochtones. »
Elle pense que les savoirs traditionnels seraient encore bénéfiques pour l’environnement et la société. Elle aimerait également voir plus d’éléments culturels autochtones être représentés dans les grands musées.
« Je pense aussi que ce serait bien que le territoire nous revienne. Mais surtout, je veux simplement la justice et la paix pour tous. Je veux que toutes les sociétés puissent vivre en sécurité, que nos besoins de base soient comblés », conclut-elle.

Le public pourra rencontrer les deux artistes dans la salle des expositions temporaires le 31 mai en après-midi : de 13 h à 14 h pour Nadia Myre et de 14 h 30 à 15 h 30 pour Skawennati.