L'ancien ministre Dominic Cardy. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

FREDERICTON – En octobre 2022, Dominic Cardy secoue la scène politique au Nouveau-Brunswick. Il quitte son poste de ministre de l’Éducation en écorchant le premier ministre Blaine Higgs dans une lettre publique critiquant son intention de changer le programme d’immersion française et l’accusant de détériorer la relation avec les Acadiens. Celui qui se définit aujourd’hui comme un orphelin politique ne regrette rien et espère le départ de Blaine Higgs. ONFR+ l’a rencontré dans son comté à Fredericton au Nouveau-Brunswick.

« Vous avez été mis à la porte de votre caucus il y a maintenant près de six mois, après avoir publiquement critiqué votre chef. Regrettez-vous votre geste aujourd’hui?

Pas du tout. La journée suivante, ma conjointe m’a dit que j’avais l’air dix ans plus jeune! C’était difficile d’être autour de la table du cabinet avec les décisions qui ont été prises entre mars et septembre de l’année passée. Je n’ai aucun regret.

Convenez-vous qu’il n’y a pas beaucoup de politiciens, au sein des trois paliers, qui s’insurgent contre leur propre gouvernement ni qui démissionnent ainsi d’un poste de ministre?

Et c’est un problème! Pas parce que c’est quelque chose de spécial ou de positif avec moi. Mais on a besoin de gens qui pensent que l’opposition est plus importante que leur propre futur et leurs propres intérêts et placent celui de la province et du pays devant. C’est vraiment difficile quand on crée un système qui est censé gérer notre province et notre pays, mais qui n’est pas prêt à prendre des décisions basées sur ses intérêts. La politique devrait être un service.

Vous souhaitez le départ de Blaine Higgs. Êtes-vous confiant que cela se réalise?

C’est difficile avec lui, car il n’est pas un politicien traditionnel. Il n’est pas vraiment intéressé par la question démocratique. Il voit les partis politiques comme des obstacles à la gestion efficace des services publics et ça, c’est un problème. S’il voit qu’il va perdre l’élection, pour lui, il peut juste démissionner quelques semaines avant les élections. Il n’est pas tellement intéressé par ce qui se passera après son départ.

Blaine Higgs en compagnie de Dominic Cardy alors qu’il était ministre de l’Éducation. Source : page Facebook de Dominic Cardy

Seriez-vous intéressé à la course à la chefferie des progressistes-conservateurs si M. Higgs partait?

J’ai de bonnes relations avec tous les membres du parti sauf peut-être deux trois personnes dont le premier ministre. J’ai reçu le soutien de plusieurs de mes collègues dans le parti. Beaucoup d’entre eux me demandaient de me présenter pour la chefferie. Je savais qu’en quittant ainsi avec une lettre, je perdrais beaucoup de crédit politique, alors ça serait en particulier difficile de me présenter pour la chefferie… Mais on ne dit jamais « jamais ».

Comptez-vous rester actif au niveau provincial ou pourriez-vous lancer sur la scène fédérale?

Je vais attendre de voir la position du premier ministre envers son futur. S’il reste, c’est clair qu’il ne va pas signer les papiers de nomination. Ça serait mon point final en politique provinciale. J’adhère aux valeurs du Parti progressiste-conservateur, un parti qui appuie le bilinguisme, le multiculturalisme… des choses qui ne sont pas nécessairement bien reflétées dans l’attitude du premier ministre actuel… Au niveau fédéral, aucun parti n’est proche de mes valeurs.

Mais s’il ne part pas, vous dites ne pas voir de possibilité au niveau fédéral. Êtes-vous en quelque sorte un orphelin politique aujourd’hui?

Oui. Je suis dans la même position qu’un énorme pourcentage de Canadiens qui voient cette tendance des deux partis fédéraux qui sont en train d’aller vers les extrêmes.

Dominic Cardy s’implique ces jours-ci auprès de l’organisme Centre Ice Canadians, une organisation qui se veut en quelque sorte une voix pour les Canadiens positionnés au centre qui ne se retrouve plus chez un parti fédéral, explique-t-il. Crédit image : Pascal Vachon

Le dossier de l’immersion a énormément fait jaser jusqu’à ce que le gouvernement recule sur son abolition. Comment avez-vous vécu cette situation en tant qu’ancien ministre de l’Éducation?

Le système actuel n’est pas juste. On a 40 % des écoles anglophones qui n’ont pas accès au système d’immersion, alors il fallait traiter le problème. Mais le premier ministre, son but était d’abolir le système cette année. Je suis un finissant du programme d’immersion et, dans mon temps, on parlait en français toute la journée. Mais, aujourd’hui, les jeunes parlent en anglais dans les couloirs et dans les salles de classe. Mais le programme de Blaine Higgs, qui a forcé le passage avec le ministre Hogan, arrivé après moi, était de dire qu’on allait avoir 50 % en anglais et 50 % en français. C’était fou! Je savais dès la journée de l’annonce que ça n’arriverait pas.

Vous dites vous-même qu’il faut modifier ce système d’immersion. Est-ce réalisable dans un horizon de cinq à dix ans qu’un changement survienne afin d’avoir plus de Néo-Brunswickois bilingues?

Ça va être presque impossible d’avoir une autre réforme pour un bout de temps. Alors j’imagine qu’on va avoir une période de stagnation avec les libéraux qui ont déjà dit qu’ils ne changeront rien du tout. C’est triste, mais c’est mieux de rester dans la même position que le système qu’aurait mis en place le premier ministre. Ça aurait détruit le système d’éducation. Peut-être qu’on va revoir une réforme dans quelques années, je l’espère, mais c’est difficile à dire.

Le recrutement de deux députés du People Party Alliance et la nomination de Kris Austin ont créé des remous au sein de la population, y compris les francophones. Quelle influence ont eu ces arrivées sur votre départ comme ministre?

C’était un assez grand impact. Les alliancistes sont arrivés sans aucune consultation du parti ni du caucus. C’était une décision unilatérale. Les partis ont besoin de prendre des gens qui se sont convertis. Moi-même, j’étais un ancien chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), mais il y a une manière de démontrer cette transition et ça doit être une décision démocratique de la population et non une décision autocratique du premier ministre. Après leur arrivée, on a vu Blaine Higgs renier à ses racines en reparlant des questions linguistiques et de suppression du programme d’immersion française. Après quelques mois, c’était devenu insoutenable pour moi.

Que pensez-vous de l’attitude et des propos de Blaine Higgs dans le dossier des droits linguistiques?

Ce sont des niaiseries (les commentaires de Blaine Higgs). On a ces discussions autour de la formation dans la seconde langue alors que dans les autres pays, c’est habituel d’avoir des jeunes formés dans deux, trois ou quatre langues. C’est normal, mais ici on est tellement obsédé par la question linguistique et le français que ça nous empêche d’offrir une formation de haute qualité en français pour les anglophones et pour les autres langues, notamment autochtones.

En Ontario, on a beaucoup entendu parler de la colère des Acadiens envers le gouvernement Higgs. En tant qu’ancien membre du parti, comment avez-vous perçu ce qui s’est passé entre les francophones et le gouvernement dans les derniers mois?

Je suis pleinement en accord avec eux. Ils avaient une bonne raison d’être fâchés. Quand le premier ministre dit qu’il est là pour protéger les unilingues anglophones, c’est insensé. Il doit être là pour la province en grand, incluant les nouveaux arrivants, les autochtones, les francophones et les anglophones. Pour les francophones, le niveau de colère était pleinement raisonnable. »


LES DATES-CLÉS DE DOMINIC CARD :

1970 : Naissance à Oxford au Royaume-Uni

2011 : Devient le chef du NPD du Nouveau-Brunswick

2017 : Quitte son poste de chef du NPD

2018 : Élu député au sein du Parti progressiste-conservateur du Nouveau-Brunswick

2022 : Démissionne de son poste de ministre de l’Éducation

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.