Doug Ford et la clause dérogatoire : une perte de confiance à l’horizon
TORONTO – Doug Ford a-t-il eu tort? Est-il allé trop loin? Alors que le gouvernement Ford a recouru à la clause dérogatoire dans son projet de loi 28, il s’apprête à la retirer lors de la prochaine législature. Son « seul outil » s’apparente soudainement à une manœuvre politique arrogante ou peut-être paresseuse, témoignent les experts. L’opinion publique, elle, ne le suit plus.
« Certaines personnes vont voir ici que Doug Ford n’a pas les reins solides », explique Peter Graefe, politologue de l’Université McMaster. « La semaine passée, cela lui a pris trois jours pour pousser cette Loi, comme si c’était urgent. Seulement, voilà, 72h plus tard, il décide de se retirer. »
« Est-ce qu’il considère que c’était une erreur? En tout cas, cela pourrait montrer dans ce cas-ci qu’il n’a pas le courage de ses convictions. »
« De l’autre côté, pour une partie de la population, cela va sans doute renforcer l’idée que Ford est quelqu’un qui n’a pas peur de faire des choses difficiles pour régler des crises – même si ce sont des crises dont il est coupable – il n’a pas peur d’admettre ses erreurs et de trouver un terrain d’entente. »
Doug Ford en perte de popularité
Pour David Coletto, le président-directeur général (PDG) de la firme de sondage Abacus Data, « beaucoup de gens dans la province trouvent que le gouvernement est allé trop loin ».
La firme a réalisé un sondage auprès de la population ontarienne entre le 4 novembre et le 5 novembre. Les réponses montrent que 50 % des sondés considéraient que l’usage de la clause dérogatoire était une mauvaise idée, contre 36 % qui estimaient que c’était une bonne idée.
L’image de Doug Ford a tout de même chuté dans les sondages. La population a une impression plutôt négative du premier ministre. Depuis la fin des élections en juin dernier, sa popularité diminue.
Pour Geneviève Tellier, politologue à l’Université d’Ottawa, ce n’est pas étonnant, car « la façon dont il a géré tout ça, va à l’encontre de la tradition ontarienne. L’Ontario en 1982 – quand la constitution était négociée – s’opposait farouchement à cette clause dérogatoire ».
Ce que soutient Gilles LeVasseur, professeur à l’Université d’Ottawa et expert en droit constitutionnel. « La société ontarienne n’est pas habituée à voir ça. On a toujours essayé de trouver des accommodements dans la province. »
C’est pourquoi la population va être attentive au moindre mouvement du gouvernement, pense David Coletto. « Cette clause, c’est l’option nucléaire, donc je ne sais pas si le gouvernement va s’amuser à l’utiliser encore. »
« Une fois que tu brises la confiance des gens », reprend le PDG, « ils sont plus vigilants ».
Gilles LeVasseur signale, d’ailleurs, que le manque de confiance risque de s’élargir aux autres secteurs, là où le gouvernement provincial à une gestion.
« Si on utilise la clause dérogatoire dans le domaine de l’éducation, qui dit qu’ils ne vont pas l’utiliser dans le domaine de la santé, dans le domaine des fonctionnaires provinciaux, dans le régime de retraite, partout où la province gère des activités. »
« Il peut aller partout », souligne-t-il. « Ça s’arrête où? »
Arrogance ou paresse?
Pour Geneviève Tellier, on assiste à l’arrogance du pouvoir. En étant majoritaire à Queen’s Park, en ayant si peu d’opposition, « M. Ford n’est pas obligé d’être à l’écoute de la population ».
« Par contre, si M. Ford avait été moins certain, peut-être qu’il n’aurait pas pris cette décision-là », nuance-t-elle.
« Je pense que ce qui l’a fait reculer, c’est l’annonce de la manifestation monstre et multisectorielle du 14 novembre, qui aurait probablement perturbé l’économie », croit la politologue.
« Arrogance ou paresse, il n’a pas bien géré ce dossier », estime Peter Graefe.
« Pour M. Ford, c’était une manœuvre politique qu’il est prêt à utiliser et en plus, il l’a utilisé la dernière fois et le ciel n’est pas tombé. »
Selon le professeur de l’Université McMaster, on se pose des questions sur le degré de sérieux de la planification. « Il y a quelque chose d’un peu improvisé là-dedans. »
Gilles LeVasseur estime que cette clause est un désastre politique : « Il est certain qu’on ne veut pas que l’image de marque du parti renvoie à un gouvernement qui prive les droits fondamentaux. Doug Ford ne veut pas être dans une situation où il n’est plus respecté par la population ontarienne ».
Pour l’instant, et d’après le sondage, Abacus Data, si une élection devait être tenue aujourd’hui, le Parti progressiste conservateur serait largement gagnant. « Sur le court terme, on ne dirait pas que ce qui s’est passé affecte la marque Ford ou le parti », estime David Coletto, « mais le fait qu’il se retire si tôt suggère qu’il y avait un risque politique sur le long terme ».
« Les données démontrent que si le gouvernement avait continué d’agir dans ce sens, les conséquences politiques se seraient accentuées. »