Des tables au Salon du livre de Toronto, en 2023. Crédit image: Rudy Chabannes

Le 23 avril est la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Au Canada, des associations d’éditeurs demandent depuis longtemps de revoir la Loi sur le droit d’auteur. Le point qui dérange : une exception ajoutée lors de la refonte de la loi en 2012, qui exempte les établissements d’enseignement dans le cadre d’une reproduction à des fins pédagogiques.

« Ce qu’on demande au gouvernement fédéral depuis des années, c’est de mettre fin à cette brèche pour usage équitable à des fins d’éducation, parce qu’on observe une perte de revenus que l’Association of Canadian Publishers (ACP) évalue à 200 millions de dollars depuis dix ans », explique Stéphane Cormier, président du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC).

Ces pertes seraient dues au désengagement des établissements d’enseignement, selon différents organismes, dont le REFC et l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), ainsi que les sociétés de gestion Copibec et Access Copyright, qui font front commun dans leurs communications envers le gouvernement.

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Même si le milieu du livre parle d’une même voix dans cette affaire, l’impact de l’usage équitable à des fins d’éducation varie en fonction de la langue et de la province de chaque maison d’édition.

La société de gestion Copibec, qui opère au Québec, a profité d’une plus grande solidarité des établissements d’enseignement que son homologue pour le reste du Canada, Access Copyright.

Stéphane Cormier recontextualise : « Quand le gouvernement conservateur a modifié la Loi sur les droits d’auteurs, en 2012, les institutions du Québec ont, en très grande majorité, décidé de continuer avec Copibec. Et au Québec, on a observé beaucoup moins de pertes pour le milieu. Tandis que dans toutes les autres provinces canadiennes, les redevances qui ont été perçues et redistribuées par Access Copyright ont énormément fondu, parce que les universités se sont dotées, pour la plupart, de leur propre mécanisme de perception. »

Quelques livres franco-ontariens. Crédit image : Rachel Crustin

Cette solidarité de plusieurs institutions québécoise a permis d’atténuer les impacts pour les maisons d’édition franco-canadiennes, car une partie de leurs ventes s’effectuent au Québec. Stéphane Cormier constate facilement la différence puisqu’il est également codirecteur de Prise de parole. La maison d’édition franco-ontarienne effectue près de la moitié de ses ventes dans la belle province.

Mais les conséquences ont été dramatiques pour d’autres, comme les éditions du Blé. La maison franco-manitobaine a cessé de produire des manuels scolaires suite à une perte de revenus drastique dans la première année suivant la révision de la loi de 2012.

« Quand on crée nos propres contenus, on sait de quoi on parle, on sait comment présenter les œuvres, la culture, la connaissance. L’exception de la loi menace notre capacité à produire du contenu chez nous », se désole Stéphane Cormier.

Même au Québec, une diminution de 23 % des redevances provenant du milieu de l’éducation a été observée entre 2012 et 2017, et Copibec aurait de la difficulté à renouveler certaines licences.

Aussi des recommandations politiques

En 2019, un rapport du comité permanent de l’industrie et de la technologie, de pair avec le comité permanent du patrimoine canadien, proposait déjà de réviser la loi.

En novembre 2023, l’idée a de nouveau été écrite dans un rapport, cette fois du comité permanent de la science et de la recherche. La recommandation 10 du rapport, intitulé Soutien à la commercialisation de la propriété intellectuelle, demande « que le gouvernement du Canada révise la Loi sur le droit d’auteur afin d’étudier une rémunération appropriée aux créateurs de contenu canadien, surtout en ce qui se rapporte aux documents de formation ».

Ce sont les livres utilisés à des fins d’enseignement qui sont visés par la « brèche » dénoncée par les éditeurs. Archives ONFR

La réponse du gouvernement à ce rapport de novembre ne faisait aucune promesse : « Le gouvernement veille à s’assurer que la Loi protège tous les créateurs et les titulaires de droits d’auteur. Cela suppose notamment une industrie de l’édition durable, y compris une rémunération juste pour les créateurs et les titulaires de droits d’auteur, ainsi qu’un marché moderne novateur qui peut servir efficacement les créateurs et les utilisateurs de droits d’auteur. »

La même réponse fait aussi référence au rapport de 2019 : « Sur la question de la rémunération relative au matériel pédagogique, le premier examen parlementaire du droit d’auteur a donné lieu à des recommandations divergentes », selon le gouvernement.

Ce que fait le gouvernement

Lors de la campagne électorale de 2021, les libéraux de Justin Trudeau avaient promis d’augmenter de 50 % le budget du Fonds du livre du Canada (FLC). Le budget fédéral déposé le 16 avril dernier prévoit plutôt une augmentation temporaire de 10 millions de dollars sur trois ans, ce qui est insuffisant, selon le REFC.

Le kiosque du REFC au Salon du livre de l’Outaouais en 2023. Crédit image : Rachel Crustin

Le ministère de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada semble plus préoccupé par les questions de propriété intellectuelle en lien avec la montée de l’intelligence artificielle (IA) générative. Il a d’ailleurs lancé une consultation publique sur le sujet, qui a pris fin le 15 janvier 2024.

L’ANEL a déposé un mémoire dans le cadre de cette consultation, demandant entre autres d’exiger que les systèmes d’IA mentionnent explicitement les contenus protégés par droit d’auteur qui sont utilisés dans leurs algorithmes.

« Le Canada ne doit surtout pas introduire à la Loi sur le droit d’auteur d’exception ou d’exonération permettant de reproduire ou de s’approprier autrement, sans autorisation, les œuvres protégées afin de faciliter l’IA générative, que ce soit sa création, son exploitation ou les produits et services qui en découlent. Au contraire, le Canada doit encourager le marché naissant d’octrois de licence pour activités de fouille de textes et données (FTD) en exigeant des développeurs de systèmes d’IA de tenir des registres et de divulguer les contenus protégés par le droit d’auteur utilisés pour la formation de leurs systèmes. »

Le mémoire rappelle aussi la revendication du milieu du livre de modifier la Loi sur le droit d’auteur et l’exception pour usage équitable à des fins d’éducation. « Les ayants droit du livre canadien ont urgemment besoin d’un cadre réglementaire protégeant plus adéquatement leur création, leur innovation, leur investissement et leur travail. Le Canada doit s’empresser d’améliorer la Loi sur le droit d’auteur pour cesser de les priver injustement de revenus légitimes à l’occasion de l’utilisation d’œuvres dans certains établissements d’enseignement. » 

Des livres au kiosque du REFC, au Salon du livre de l’Outaouais 2024. Crédit image : Rachel Crustin

Si l’enjeu souligné par le milieu du livre touche particulièrement les manuels pédagogiques, la question des droits d’auteurs se pose dans toutes formes de littérature. Pour la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français (AAOF) a mandaté Gabriel Osson pour rédiger l’annuel « mot franco-ontarien ». L’auteur des Voix du chemin et d’Hubert, le restavèk, conclut son texte de cette façon :

« Cette journée est une occasion privilégiée pour célébrer la vitalité de la littérature francophone en Ontario, renforcer le dialogue entre les acteurs de l’industrie du livre et promouvoir la culture francophone tout en assurant une répartition équitable des revenus générés par nos œuvres littéraires. »

Il est prévu que la Loi sur le droit d’auteur soit examinée tous les cinq ans par un comité du Sénat du Canada, de la Chambre des communes ou des deux chambres, conjointement.