Droits linguistiques: l'aéroport Pearson est sévèrement blâmé par la Cour fédérale dans un jugement rendu mardi. Archives ONFR+

Dans une décision rendue mardi, la Cour fédérale a sévèrement rabroué l’Aéroport International Pearson pour plusieurs violations de la Loi sur les langues officielles et son « approche étroite » des droits linguistiques. L’aéroport torontois suggérait notamment qu’il lui faudrait un an pour changer un panneau en français sur un guichet automatique, « stupéfiant » le juge dans le dossier.

Le plaignant dans ce dossier est Michel Thibodeau, un Franco-Ontarien d’Ottawa. Il a remporté une bataille de plusieurs années contre l’Autorité aéroportuaire du Grand Toronto (GTAA), qui gère l’Aéroport International Pearson et est assujettie à la Loi sur les langues officielles en tant qu’institution fédérale. Cette dernière devra lui verser près de 6500 $ en dommages-intérêts et en dépens.

Michel Thibodeau avait remporté deux autres batailles judiciaires en 2022 contre des administrations aéroportuaires de Saint-Jean (Terre-Neuve-et-Labrador) et d’Edmonton (Alberta), qui avait été obligées de lui payer près de 20 000 $.

Entre 2016 et 2021, l’homme a déposé 410 plaintes contre des autorités aéroportuaires et 158 contre d’autres instances fédérales. Devant les tribunaux, l’Aéroport Pearson avait qualifié ses démarches « de grandes croisades contre les institutions fédérales, où il recherche activement d’éventuelles violations linguistiques pour son propre gain financier ». Un argument que n’a pas accepté le juge de la Cour fédérale, Peter Pamel, dans sa décision.

« Si tel est effectivement le cas, ma réaction immédiate serait : ‘tant mieux pour lui!’ si cela aboutit à attirer l’attention du public sur cette question et à garantir que les institutions fédérales soient fidèles aux valeurs canadiennes et fassent preuve d’un plus grand respect des droits linguistiques inscrits dans la Charte », écrit-il dans la décision en anglais, dont la version française n’était pas disponible au moment d’écrire l’article.

L’aéroport Pearson « n’a pas caché son mépris à l’égard des tactiques employées par M. Thibodeau pour faire valoir ses droits », souligne d’ailleurs le juge. L’aéroport reprochait à M. Thibodeau de régler ses dossiers devant les tribunaux, plaidant que si le véritable enjeu est de régler ce qui lui tient à cœur, cela pourrait se faire sans avoir à s’adresser à la Cour fédérale.

« Il me semble que la préservation et le développement des minorités de langue officielle au Canada ne pourront être réalisés que lorsque nous ferons la lumière sur les violations des droits linguistiques et que l’attention du public et les déclarations judiciaires sur les violations changeront les mœurs sociales canadiennes », soutient le juge Peter Pamel.

Ce dernier a par ailleurs encensé les actions du citoyen franco-ontarien, faisant valoir qu’il « cherche, à tort ou à raison, à dénoncer ces lacunes dans la façon dont les institutions fédérales donnent effet à ses droits linguistiques ».

« J’espère qu’un jour, nous n’aurons plus besoin de gens comme Michel Thibodeau dans ce monde, mais d’ici là, les défenseurs passionnés des droits linguistiques ont leur place dans notre société », ajoute-t-il.

Un an pour changer un panneau

La cause remonte à des plaintes qu’avait déposées Michel Thibodeau au Commissariat aux langues officielles en 2017, concernant des violations linguistiques. Le chien de garde fédéral lui avait alors donné raison.

La Cour fédérale a d’abord reconnu des violations linguistiques par l’Aéroport Pearson, concernant l’absence de certains communiqués de presse en français sur son site web, entre 2017 et 2020. Ensuite, elle a tranché que des violations ont été commises aux droits de M. Thibodeau dû à l’absence de français dans la signalisation sur un guichet automatique. Ce dernier était situé dans un commerce de la Banque CIBC, à l’intérieur de l’aéroport.

La GTAA argumentait devant la Cour que l’ajout d’une équivalence en français pourrait prendre plus d’un an à régler, car la CIBC était à l’époque en processus de refonte de son logo. Le magistrat s’est dit « stupéfait » de voir que « le respect des droits linguistiques garantis par la Constitution pourrait être mis en veilleuse jusqu’à un moment plus opportun ».

Il y a aussi eu une troisième violation concernant un affichage seulement en anglais d’un panneau d’assurance voyage au sein du même commerce. Les signalisations de la CIBC ont finalement été mises à jour et ont maintenant des panneaux bilingues, avec la même taille de caractères pour chaque version, avait avisé la GTAA devant la Cour.

« Je suis d’avis qu’un montant considérablement plus élevé que celui demandé par M. Thibodeau (1500 $ pour chaque plainte) relativement à ces deux violations des droits linguistiques aurait été justifié dans les circonstances. Cependant, je me limite aux montants demandés par M. Thibodeau à cet égard », admet même le juge dans son verdict.

La Cour a aussi reconnu un non-respect des droits de M. Thibodeau concernant un panneau unilingue en anglais situé à l’entrée de l’aire de jeu d’un commerce Booster Juice au sein de l’aéroport. Selon le GTAA, une signalisation en français n’était pas nécessaire, puisqu’il ne s’agissait pas d’une « une étape ou d’un élément essentiel et indispensable dans l’achat d’un smoothie ». Le juge Pamel a répondu : « Je ne peux pas être d’accord avec une approche aussi étroite pour déterminer les droits linguistiques dans ce pays. »

Un porte-parole de l’Aéroport Pearson a indiqué à ONFR que l’organisation aéroportuaire était en train « d’étudier le jugement et de faire les vérifications nécessaires », sans préciser si elle comptait porter la décision en appel.

Le commissaire aux langues officielles, qui agissait à titre d’intervenant dans le dossier, s’est réjoui que le tribunal « ait adopté une interprétation large et libérale de la Loi sur les langues officielles ».

« Cette décision assurera un plus grand respect des droits linguistiques du public voyageur et une plus grande conformité à la Loi de la part des institutions qui traitent avec ce public », a réagi Raymond Théberge dans une déclaration.