Dyane Adam, le sentiment du devoir accompli
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
TORONTO – La présidente du conseil de gouvernance de l’Université de l’Ontario français (UOF) a quitté ses fonctions cette semaine. Au terme de son mandat, elle revient sur le cheminement rocambolesque de la création de l’UOF et sur ses accomplissements dans les domaines du postsecondaire et de la défense du bilinguisme au Canada.
« Partez-vous de l’UOF avec le sentiment d’avoir atteint vos objectifs?
Oui, c’est le bon moment de quitter l’UOF. Ses assises sont établies, l’équipe est bien en place et le conseil a été renouvelé. J’ai eu le privilège de vivre toutes les étapes de cette institution : élaborer le plan d’affaires, développer les programmes ou encore obtenir l’appui des gouvernements pour aller de l’avant.
Parmi toutes les étapes que vous avez franchies dans ce projet, laquelle vous a le plus marquée?
C’est la pandémie. On sous-estime le défi que cela représente pour un établissement. On a construit le site et embauché quasiment tout le personnel de façon virtuelle. C’était du jamais vu pour tout le monde, d’autant qu’on n’existait pas encore physiquement. On est parti de zéro en pleine pandémie, en prenant des risques énormes, et on a livré le campus à temps, à l’intérieur de notre budget avec des étudiants capables de suivre leurs cours.
Comment avez-vous vécu de l’intérieur la signature de l’accord de financement entre l’Ontario et le Canada, après le cataclysme de l’abolition du projet un an plus tôt?
Quand notre financement a été mis en veilleuse en 2018, ça a été difficile. On a dû aller convaincre un nouveau gouvernement qui ne comprenait pas nos enjeux. Cette « éducation » ne s’est pas faite du jour au lendemain. On a pu compter sur le soutien du palier fédéral de 1,9 million qui nous a redonné du souffle jusqu’à la fameuse entente provinciale-fédérale. Entretemps, tous les partis fédéraux s’étaient engagés à nous soutenir, au moment des élections fédérales. Ce qui était stressant, c’est cette course contre la montre toujours là, que ce soit les élections, les programmes pas encore approuvés… On était toujours en décalage, dans une course aux obstacles perpétuelle.
Est-ce que, à un moment donné, vous vous êtes dit : « Ça ne va pas marcher, on ne va pas y arriver »?
Je ne me souviens pas. Je ne dis pas que je n’ai pas connu des moments de découragement. On était une équipe fortement soudée et pleinement conscient de ce qu’on voulait. Ma nature fondamentale n’est pas d’abandonner. Je ne cède pas tant qu’il y a une once d’espoir. Il faut être convaincant.
Être convaincant : est-ce une qualité que vous retrouvez chez votre successeur, Jacques Naud?
M. Naud a un engagement dans le postsecondaire qui le précède. Il a notamment présidé le comité qui a précédé le conseil de planification de l’université. C’est un homme qui a siégé dans beaucoup de conseils d’administration comme celui du Théâtre français de Toronto. Il a de l’expérience et il arrive à point nommé dans une équipe bien installée avec un capitaine, le recteur Pierre Ouellette, prêt pour entrer dans une nouvelle étape de développement.
Ce développement ne passe-t-il pas par la conquête des étudiants franco-ontariens, en panne depuis l’ouverture de l’institution?
C’est normal et je trouve qu’on met trop l’accent sur ça, sachant que c’est une université qui démarre. Quand le Collège Glendon – dont j’ai été la principale – a commencé, il y avait 65 étudiants, c’est moins que l’UOF en pleine pandémie, avec quatre programmes.
À mesure que des programmes vont s’ajouter, on va attirer la clientèle et cela va avoir un effet boule de neige. Je suis convaincue que ça va marcher sur dix ans, porté par la croissance démographique francophone du Centre-Sud-Ouest. Il faut dire qu’on doit lutter contre une tradition pour les étudiants de la région d’aller dans le système en anglais car, jusqu’ici, il n’y avait rien d’autre. Il faut laisser à cette université le temps de prendre sa place.
De plus en plus d’organisations comme l’UOF se tournent vers la philanthropie. Y a-t-il dans ce domaine un potentiel sous-exploité dans la francophonie ontarienne?
Le potentiel est énorme. L’UOF se penche là-dessus depuis trois ans. Dans le Centre-Sud-Ouest, il y a tellement de francophones et de francophiles intéressés à cette institution-là, mais aussi à la francophonie en général et au besoin à Toronto d’avoir des institutions fortes. On est entouré d’anglophones unilingues qui croient en la francophonie canadienne et qui usent de leur influence auprès de mécènes pour faire valoir pertinence de l’UOF. On peut jouir d’un appui important qu’il faut développer. On n’a pas cette tradition chez les francophones, chez monsieur et madame Toutlemonde, comparé aux anglophones, mais ça se travaille en se dotant de comités.
Et vous? Qu’allez-vous faire à présent?
Je vais profiter de l’été, de mes jardins potagers. Je suis à la retraite, même si je m’implique dans d’autres dossiers comme la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau dont je suis la vice-présidente du conseil d’administration. On accorde une quinzaine de bourses importantes à des étudiants en doctorat qui viennent de partout au pays. Ils sont accompagnés de mentors qui les appuient dans un curriculum qui vise le leadership engagé pour devenir les penseurs chercheurs, mais aussi des agents de changement dans notre société.
Dans quelles conditions êtes-vous devenue la cinquième commissaire aux langues officielles en 1999?
Je terminais mon mandat de principale au Collège Glendon de l’Université York quand j’ai reçu un appel du bureau du premier ministre, Jean Chrétien. On m’a dit que j’étais sur la courte liste pour devenir la prochaine commissaire aux langues officielles et en me demandant si je savais ce que c’était (Rires). J’ai dit « oui, oui, je connais M. Goldbloom » qui était mon prédécesseur. J’ai pris l’avion pour rencontrer le premier ministre et le comité conjoint aux langues officielles. Ma nomination a été approuvée par la Chambre des communes et le Sénat quelques jours plus tard. Parfois, la vie bascule comme ça. J’ai adoré ce mandat de sept ans.
Comment réagissez-vous à toutes les attaques contre le bilinguisme aujourd’hui, que ce soit la polémique Air Canada, les nominations sans exigence bilingue ou encore les tergiversations concernant la langue des juges à la Cour suprême?
C’est complètement inacceptable. Le bilinguisme des juges à la Cour suprême figurait déjà parmi les recommandations dans les années 2000 quand j’étais commissaire, et même avant moi. Au moment où j’y étais on avait quand même une fonction publique fédérale relativement bilingue. Ce n’était pas tout bilingue, mais il y avait une obligation pour les directeurs d’être bilingues. Il aurait été très difficile de penser nommer un unilingue anglophone à la présidence d’une grande agence de la Couronne. Ça n’aurait pas passé.
Qu’est-ce qui a changé fondamentalement? Le gouvernement fédéral est-il plus laxiste?
Ce qui est dangereux avec cette dualité linguistique, c’est qu’il ne faut jamais relâcher, car il y a toujours des impératifs ou d’autres variables qui font que la tendance va vers l’homogénéisation, l’unilinguisme, le groupe majoritaire. Parfois, ce n’est même pas volontaire, mais c’est la dominance naturelle qui l’emporte. Alors le commissariat doit être très vigilant, très affirmatif et travailler étroitement avec le gouvernement et le parlement pour les tenir toujours à l’affût des enjeux comme l’immigration, le sport d’élite, tous les dossiers de responsabilité fédérale doivent être sur les radars du commissaire et son équipe. C’est une vigie constante. Si on n’agit pas, on recule.
Vous détenez un doctorat en psychologie clinique. Cela vous a-t-il aidée dans vos différents postes. N’y a-t-il pas une grosse part de psychologie dans l’art de convaincre?
Je pense que cela m’a énormément servi. Quand on est administratrice dans une université, commissaire aux langues officielles et à la tête d’un dossier comme l’UOF, on travaille avec des personnes qui travaillent ensemble autour d’objectifs communs. Finalement, tout ce qu’on fait, c’est de la résolution de problème et trouver comment atteindre ces grands objectifs, s’assurer que le français a la place qui lui revient dans la société et qui sont les personnes qui, dans des postes variés, doivent assurer cela. Il faut toujours écouter, comprendre, influencer les personnes, savoir ce qui est important pour elles et les pousser à rallier à cet objectif commun, en rassemblant des perspectives différentes.
Avez-vous gardé votre âme d’enseignante, la profession de vos débuts?
Ça fait longtemps que j’ai quitté mon métier. Je l’ai fait pendant sept ans à l’Université Laurentienne. Si je dois encore enseigner d’une certaine manière, c’est davantage dans le leadership, l’administration publique, l’influence des décisions. Ce sont des choses qu’on enseigne peu et que l’UOF essaye d’amener à ses étudiants, avec sa pédagogie axée sur l’apprentissage expérientiel (en entourant les étudiants de chercheurs, d’expert du milieu). Je ne me définis pas autour d’une discipline, mais pleinement comme transdisciplinaire, là encore, comme l’UOF.
Vous avez été vice-rectrice de l’Université Laurentienne de 1988 à 1994. Que vous inspire la grave crise que traverse l’institution sudburoise?
J’aime beaucoup cette université dans laquelle travaillent des gens passionnés. C’est un établissement qui vit une décroissance importante, qui a été important pour les francophones et qui doit se redéfinir. Le processus en cours va lui permettre cela. Il appartient à la communauté francophone de déterminer ce qui est le mieux pour elle. Les gouvernements auront aussi probablement à agir, notamment choisir quel sera le futur réseau des universités francophones en Ontario.
Avez-vous confiance en la capacité de la nouvelle administration de sortir de cette crise par le haut?
L’administration fait face à des enjeux inédits au Canada. Je suis convaincue qu’elle va sortir de là épuisée : on ne passe pas à travers ça en sifflotant. Ça dure depuis deux ans déjà. Il faut souhaiter que cela se fasse dans les six mois à un an, car l’instabilité et l’insécurité ne sont pas bonnes, ni pour la communauté, ni pour les étudiants, ni pour les enseignants et le personnel.
Vous vous êtes rendue tout récemment à l’École élémentaire Dyane-Adam à Milton, ouverte depuis 2019. Qu’est-ce que cela fait d’avoir une école à son nom?
J’y suis allée pour la première fois la semaine dernière. Je n’avais pas pu m’y rendre encore à cause de la pandémie. J’avoue que c’est un surréel de voir cela en vrai. C’est la plus grande fleur que l’on pouvait m’offrir. Voir tous ces petits bouts de chou, les parents et les enseignants, c’est unique. Je n’ai pas de mots pour le décrire. »
LES DATES-CLÉS DE DYANE ADAM :
1953 : Naissance à Casselman, dans l’Est ontarien
1987 : Devient vice-rectrice de l’Université Laurentienne
1994 : Promue principale du Collège Glendon (Université York)
1999 : Nommée commissaire aux langues officielles du Canada
2012 : Entre dans l’Ordre du Canada
2016 : Devient présidente du Conseil de planification pour une université de langue française
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.