École en français : un choix et des défis pour les parents anglophones

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[TÉMOIGNAGES]

Plusieurs parents anglophones à travers le Canada décident d’inscrire leurs enfants dans une école de langue française. Un choix qu’ils assument, malgré les défis rencontrés. #ONfr a interrogé plusieurs d’entre eux sur le sujet.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Devenir bilingue pour accéder à de meilleurs emplois? C’est souvent la première raison qui vient à l’esprit quand on s’interroge sur le choix de parents anglophones d’inscrire leurs enfants dans une école de langue française. Et pourtant, selon les témoignages recueillis par #ONfr, cette raison, si elle est parfois évoquée, ne vient pas en haut de la liste.

« Je suis tombée en amour avec la langue et la culture française. J’ai eu la chance d’aller étudier une année à Nice, en France. Parler français va donner de belles opportunités à mes enfants, notamment d’aller étudier au Québec ou ailleurs dans le monde », explique Roxanne Horwitz, qui depuis leur plus jeune âge, parle à ses deux enfants en français.

Aujourd’hui, ils fréquentent l’école élémentaire catholique Notre-Dame de la Jeunesse, à Ajax, et l’école secondaire catholique Saint-Charles-Garnier, à Whitby.

« Je ne savais pas que je pouvais les inscrire dans une école de langue française, c’est une amie qui m’en a parlé. J’envisageais seulement les programmes d’immersion. Malheureusement, en immersion, le conseil n’a pas les ressources, après la 3e année, pour garantir plus de 50 % des cours en français. »

Une part de l’identité canadienne

Pour pouvoir inscrire son enfant dans une école de langue française, les parents anglophones doivent présenter une demande devant un comité d’admission, tel que le prévoit la Loi sur l’éducation de l’Ontario.

Pour Mme Horwitz, cette étape n’a pas posé problème, puisqu’elle parle elle-même le français. Mais ce n’est pas le cas de tous les parents qui envoient leurs enfants dans une école de langue française.

Résidente de Mississauga, Pamela Zasidko est unilingue anglophone, tout comme son mari. Elle a pourtant choisi d’envoyer ses deux garçons dans une institution francophone.

« Je regrette de ne pas parler français. Je voulais donc offrir cette chance à mes enfants, car ça fait partie de l’identité canadienne. »

C’est la même raison qui a poussé Kelly MacNeill, de l’Île-du-Prince-Édouard.

« J’étais dans un programme d’immersion, mais quand j’ai su que mes enfants pouvaient aller dans une école de langue française, j’ai voulu leur offrir l’opportunité que je n’ai pas eue. Ça leur donne plus de contact avec la communauté. »

Renouer avec ses racines

Dans un excellent français, My Dang, de Burlington, explique avoir voulu reconnecter avec une partie de ses origines vietnamiennes, même si elle ne parlait pas le français à son arrivée au Canada, à quatre ans.

« J’ai toujours voulu parler le français, car ça fait partie de mes racines. Je suis donc allée vivre à Montréal pour être en immersion. J’ai découvert et apprécié la culture québécoise. Et je voulais aussi que mon garçon apprenne le français, car c’est une des deux langues officielles du Canada. »


« C’est un de nos cadeaux, comme Canadiens, de pouvoir parler et comprendre deux langues » – My Dang, mère de Burlington


À l’Île-du-Prince-Édouard, Mary MacPhee a consacré sa thèse de doctorat à ce sujet. Aujourd’hui chargée de cours auprès des enseignants de français langue seconde, elle a elle aussi inscrit ses enfants dans une école francophone, pour leur permettre de reconnecter avec leur histoire familiale.

« Ma mère est née dans une famille francophone qui a perdu son français en une génération à cause de l’assimilation », raconte-t-elle.

Pour ses recherches universitaires, elle a mené plus d’une centaine d’entrevues et un sondage auprès des parents francophones.

« Beaucoup ont été assimilés et veulent que leurs enfants reconnectent avec leur histoire et leur culture. Pour d’autres, il s’agit de reconnaître la richesse de la culture acadienne. Tous croient en la valeur du bilinguisme et du français comme langue officielle. De plus, ils citent souvent les avantages cognitifs du bilinguisme. »

Des défis

Mme Horwitz en est persuadée, si davantage de parents anglophones connaissaient la possibilité d’envoyer leurs enfants dans une école de langue française, la demande serait encore plus importante. Mais ce choix n’est pas sans défi, témoignent plusieurs parents.

« Les défis sont principalement la communication avec l’école et les devoirs à la maison », résume Mme MacPhee. « Certains parents utilisent Google translate, mais ça peut donner des situations cocasses, quand on demande aux enfants d’apporter une serviette pour la piscine, par exemple, et que le mot se traduit aussi bien par napkin que par towel, ce qui n’est pas vraiment la même chose. »


« Ma fille m’a déjà dit qu’elle voulait être francophone. J’ai dû lui expliquer qu’elle ne le serait jamais vraiment à 100 % » – Kelly MacNeill, mère de l’Île-du-Prince-Édouard


Plusieurs parents soulignent l’aide inestimable d’un organisme comme Canadian Parents for French pour leur fournir des ressources et les aider à relever le défi.

Demandes communes

Car du soutien, ces parents anglophones aimeraient en avoir davantage.

« Mais beaucoup sont gênés de demander. Comme ils savent qu’ils ont inscrit leurs enfants dans une école francophone, ils n’osent pas parler de leurs besoins, surtout s’il s’agit de demander de l’information en anglais pour être sûr de bien comprendre. De plus, ils manquent d’un sentiment d’appartenance et même quand ils parlent un peu le français, ils ne se sentent pas à l’aise ni assez bons pour le faire », explique Mme MacPhee.

Pour la chercheuse, il s’agit d’une occasion manquée pour les communautés francophones d’accueillir ces francophiles convaincus.

« Il faut encourager les parents à participer et accepter tous ceux qui veulent parler le français, sans juger leur manière de parler. Beaucoup ne viennent pas aux événements et ne participent pas aux activités, car ils se sentent mal à l’aise. Mais si on les intègre, ils peuvent être une aide précieuse. »

Mme MacNeill  reconnaît pourtant les efforts de l’école de ses enfants.

« L’école offre des cours de français aux parents. Elle organise des dîners en français et propose des livres et de l’information. Ils font un super travail, mais j’ai du mal à me sentir totalement à l’aise, même si je parle le français. »

Autres regrets souvent évoqués, l’absence d’activités en français hors de l’école.

« Il faut donner l’occasion aux enfants d’utiliser le français dans leur vie de tous les jours, pas seulement à l’école », souligne Mme MacNeill. « Plus ils vont s’en servir dans des situations du quotidien, mieux ils vont l’apprendre. »

Aujourd’hui, c’est d’ailleurs la raison qui la fait hésiter à maintenir ses enfants dans une école de langue française.

Des solutions réalistes

Parmi les solutions énoncées, Mme MacPhee suggère que les communications les plus importantes, comme pour des questions de santé ou pour des sorties d’école, par exemple, soient envoyées aussi en anglais, ce que font certaines écoles. Elle recommande également de présenter dès le début de l’année scolaire des ressources, comme des sites internet ou des outils de traduction, pour aider les parents.

« Une autre pratique qui fonctionne bien, c’est de jumeler ces parents avec des parents francophones qu’ils peuvent appeler quand ils ont des questions et qui peuvent les inciter à participer aux activités. »


« La bonne nouvelle, c’est qu’il y a des solutions très simples qui peuvent être apportées » – Mary MacPhee, chercheuse


Pour Mme MacNeill, c’est également aux parents de se responsabiliser.

« Les opportunités sont là, mais elles ne sont pas toujours utilisées. C’est la responsabilité des parents de faire des efforts, d’apprendre quelques phrases et mots clés. Ça encourage les enfants. »

Et parfois, ça offre des opportunités insoupçonnées aux parents eux-mêmes.

« En essayant d’aider mes enfants, ça m’a permis d’améliorer un peu ma compréhension du français », sourit Mme Zasidko.

Même si son mari ne parle pas le français, Mme Dang s’astreint à lire des livres et à regarder des films et des émissions en français avec son garçon. Et une fois par mois, ils l’emmènent à Montréal.

« Mais c’est vrai que les activités en français ne sont pas toujours faciles à trouver selon où on habite. Il y en a peu à Burlington. Nous, comme parents, on doit pousser pour que les écoles aient les ressources d’en offrir davantage », insiste-t-elle.

De son côté, Mme Zasidko suggère une aide du gouvernement et déplore la décision des progressistes-conservateurs ontariens de mettre sur la glace le projet d’Université de langue française à Toronto.

« On devra les envoyer loin si on veut qu’ils puissent suivre des programmes post-secondaires en français. »