Édith Butler à Yarmouth, Nouvelle-Écosse, pour le spectacle de la Fête nationale de l'Acadie, lors du Congrès mondial acadien, le 15 août 2024. Photo: Rachel Crustin/ONFR

Edith Butler n’a plus besoin de présentation depuis longtemps. Présente dans le paysage musical acadien depuis plus de 60 ans, elle en est devenue l’un de ses symboles. À 82 ans, elle se tient toujours active, que ce soit sur scène ou sur sa terre de 125 acres dans les Cantons-de-l’Est québécois. Rencontre avec celle qui « parle un vieux français, mais c’est peut-être le vrai », comme dans sa chanson Asteur qu’on est là.

« À quel moment avez-vous réalisé que le français était important pour vous?

À cinq ans. J’avais un paquet de cousins et de cousines qui parlaient français, et Maman voulait que je continue à parler anglais. Je suis rentrée à la maison et je lui ai dit : ‘No more English!’ J’ai tapé mon pied par terre et ça a été terminé. Elle ne m’a plus jamais parlé anglais.

J’ai toujours continué à faire de la recherche en français : en généalogie, en histoire, etc. Je me suis intéressée à qui on était. Pourquoi on avait un nom anglais, Butler, en plein milieu d’un regroupement francophone acadien?

ONFR a rencontré Édith Butler à Yarmouth, Nouvelle-Écosse, entre deux répétitions pour le spectacle de la Fête nationale de l’Acadie. Photo : Rachel CrustinONFR

J’ai découvert que l’on était des Lebouthillier. C’est mon arrière-grand-père qui l’a changé, parce qu’il ne pouvait pas travailler. Si tu t’appelais LeBlanc, tu n’avais pas d’ouvrage. Si tu t’appelais White, tu pouvais avoir de l’ouvrage. Donc, les Godin sont devenus les Goodwin, les Aucoin sont devenus les Wedge.

Comment la musique est-elle arrivée dans votre vie?

Tout de suite, en partant. Quand je suis venue au monde, j’ai crié tellement fort que la sage-femme (qui s’appelait Edith d’ailleurs, je porte son nom) a dit à Maman : ‘Elle va faire une chanteuse, celle-là!’

À quel moment avez-vous pris conscience que vous pourriez en faire une carrière?

Je n’ai jamais pris conscience de ça. Même pas aujourd’hui. C’est venu graduellement, parce qu’on faisait de la musique dans la famille. Maman chantait et jouait du piano. Papa racontait des farces. Je pense que j’ai fait un mélange des deux.

Edith Butler avec l’humoriste Clémence Desrochers lors de la cérémonie de remise des Prix du gouverneur général pour les arts du spectacle, en 2009. Édith Butler avait remporté un prix de la réalisation artistique. Photo : La Presse canadienne/Fred Chartrand

Les francophones et surtout les Acadiens, c’est un peuple qui chante. Il y a de la musique dans toutes les familles. Donc, c’était quelque chose de normal, puis ça a grossi. Les gens se sont mis à me demander de chanter ici et là. Finalement, je me suis retrouvée partout à travers le monde.

Pourquoi c’est important de chanter votre coin de pays?

J’ai ça en moi. Je l’ai dit quand j’ai reçu le prix hommage aux Éloizes (le gala artistique en Acadie), ce n’est pas moi qui chante, ce sont mes parents, mes grands-parents. J’exprime le peuple acadien quand je chante. C’est tout un bagage culturel que je transporte.

Vous avez mentionné que vous avez voyagé partout dans le monde. Vous avez même représenté le Canada à l’exposition universelle de 1970, au Japon. Comment c’était?

J’ai connu le vieux Japon, avec les coutumes et les costumes de l’époque. Le Japon d’aujourd’hui est très moderne. Mais (en 1970), ça ne faisait pas longtemps que la guerre était passée par là, que les bombes avaient éclaté à Nagasaki et à Hiroshima.

Edith Butler représentait le Canada lors de l’Expo 70, à Osaka, au Japon. Photo : Gracieuseté de Lise Aubut

Les Japonais ne nous aimaient pas, parce qu’ils pensaient que nous étions des Américaines. Il fallait leur dire ‘Canada’, et là ils nous emmenaient au restaurant, nous faisaient manger et boire du saké.

Quels autres endroits vous ont marquée?

Plusieurs endroits en Europe. La France, la Suisse, la Belgique… les pays francophones. J’y suis allée régulièrement. Le Maroc aussi.

Et comment sont reçues les chansons de l’Acadie dans des pays très différents, comme le Maroc ou le Japon?

Parce que c’est une musique vraie, et que je suis vraie moi-même, ça atteint tout le monde. Au Maroc, beaucoup de gens parlaient arabe et j’avais une traductrice. Je ne sais pas si elle traduisait la vraie affaire, mais tout le monde riait beaucoup!

Ça rit beaucoup dans vos spectacles en français aussi…

Ah, oui oui! Je raconte des histoires. Mais je raconte toujours des histoires vraies. Le monde ne pense pas que c’est vrai, mais oui. Par exemple, mon père nous avait appris les fables de Lafontaine. Maître Corbeau, sur son arbre perché, tenait en son bec un…

Fromage!

Non! Un quart de lard. Mon père disait : ‘Tu diras à ton professeur que des fromages, on n’en a pas par icitte!’

C’était un farceur, un pince-sans-rire. On se faisait avoir presque tout le temps.

Édith Butler a été faite chevalière de l’Ordre national du Québec, sa province d’adoption, en 2023. Photo : La Presse canadienne/Karoline Boucher

Une autre personne importante de votre vie est Lise Aubut, votre gérante depuis plus de 50 ans. Comment cette alliance a-t-elle commencé?

J’allais à des spectacles et je voyais toujours cette jeune femme se promener sur scène, mettre les micros, ajuster les lumières, etc. Pendant plusieurs années, elle m’intriguait. Un jour, je suis allée voir mon amie Angèle Arsenault à Montréal. C’est Lise qui s’occupait de sa carrière alors je l’ai rencontrée officiellement et elle a commencé à s’occuper de moi.

Avant ça, elle a travaillé avec de grands artistes français comme Barbara, Serge Reggiani et Anne Sylvestre. Dans notre métier, elle était déjà connue comme un grand imprésario.

J’ai été vraiment chanceuse de la rencontrer. J’étais un peu picpic. Je me promenais partout à travers le monde avec ma guitare, mais je n’étais pas structurée.

Qu’est-ce qu’elle a représenté pour vous?

Elle m’a structurée. Avoir des affiches, des photos, téléphoner à des gens pour vendre le spectacle, organiser de belles tournées. Aussi me structurer dans le sens où elle me disait : ‘Après ton spectacle, parle au monde, puis va te coucher, parce qu’on a un autre spectacle demain.’ Elle m’a appris la discipline.

Édith Butler et Lise Aubut en 1986, lors de la tournée de l’album Un million de fois je t’aime. Photo : Gracieuseté de Lise Aubut

Ça a été extraordinaire pour nous deux. Aujourd’hui, dans une petite vieillesse, d’avoir chacune notre métier et de le vivre ensemble, ça nous garde en vie et en force. Elle continue d’écrire de la poésie et des paroles. C’est elle qui a écrit le texte de Paquetville et de la majorité de mes chansons. Moi, je fais les musiques.

De plus, je dessine les yeux de gens que je connais et que j’admire, pour illustrer chacun de ses poèmes. J’ai fait les yeux de Lisa Leblanc, de Robert Charlebois, de Gilles Vigneault, de Félix Leclerc. J’en ai fait une centaine jusqu’à maintenant.

Qui vous a le plus impressionnée parmi tous ces grands noms que vous avez rencontrés?

C’est Félix Leclerc qui a été le plus déterminant. Je commençais à peine à chanter. Il était venu à Shippagan et on m’avait invitée à la même émission de radio. On avait parlé, entre autres, d’un de mes amis qui s’était noyé, sur qui j’avais fait une chanson. Il m’a donné des conseils pour améliorer cette chanson-là. Et chaque fois que je l’ai rencontré par la suite, on parlait et il était vraiment impressionnant. Et il était beau!

De gauche à droite : Édith Butler, Zachary Richard, Diane Dufresne et Yvon Deschamps, en 1978. Photo : Gracieuseté de Lise Aubut

Une rencontre marquante, mais plus récente est celle avec Lisa Leblanc. Qu’est-ce qu’elle signifie pour vous?

Je l’ai rencontrée lorsqu’elle avait 17 ans. Déjà, elle jouait d’une façon extraordinaire. La façon dont elle chantait, les mots qu’elle disait, c’était à se jeter par terre. C’était nouveau, moderne. Et il y avait un timing extraordinaire quand elle a sorti ses premières chansons, il y avait une espèce de révolte chez les étudiants. Elle a embarqué dans le mouvement. C’est notre Janis Joplin… sans la drogue (rires).  

Qu’est-ce qu’elle a apporté à votre plus récent album, Le tour du grand bois, qu’elle a réalisé?

Elle m’a ramenée à mes racines, à mon village, à mon ancien parler. Surtout pour la chanson Dans l’bois, qu’on a faite sur le coin d’une table. Un soir, on était toutes les trois, Lisa, Lise et moi. Lisa m’a demandé ce que j’aimais dans le bois, où j’habite. J’ai commencé à dire ce que je trouvais extraordinaire.

Elle est tout le temps en train de bardasser sur son banjo, tu ne penses pas qu’elle est en train d’écrire quelque chose. Et là, elle a commencé à fredonner Dans l’bois… dans l’bois… Lise s’est aperçue qu’elle flashait sur quelque chose et a commencé à lancer elle aussi des phrases sur ce qu’elle aimait dans le bois. À la fin de la soirée, on avait bâti toute une chanson. Ça a été très rapide.

Lisa Leblanc et Edith Butler lors du spectacle de la Fête nationale de l’Acadie à Yarmouth, Nouvelle-Écosse, le 15 août 2024. Photo : Rachel Crustin/ONFR

La beauté de l’album, c’est que Lisa est vraie. Elle ne se prend pas la tête parce qu’elle est une vedette. Et Benoît (Morier), son conjoint, un Franco-Manitobain, est aussi un multi-instrumentiste extraordinaire.

Après qu’on ait choisi les chansons, ils sont partis chez eux et ont fait l’orchestration, les arrangements, ils ont chanté par-dessus mes voix… ça a été magique. C’est un album d’amitié et d’amour.

Ils ont même mis des choses qu’on avait enregistrées juste comme ça… Vishten Avina Vi, je ne savais pas que ce serait sur l’album. J’ai dit : ‘Tiens, je vais t’en chanter une avec de la musique à bouche.’ Benoit a enregistré ça. Ils ont mis des petits interludes comme ça sur l’album.

Vous êtes très active sur votre terre. Que faites-vous de vos journées?

Je fais tout ce qu’une femme fait dans une maison, et je fais tout ce qu’un homme fait dehors. J’ai un tracteur. Je charrie des roches, je fais des trous. Là, j’ai fait un trou énorme, car j’ai défait l’ancienne piscine, qui avait 50 ans. Elle était énorme et ça coûtait très cher de la faire défaire. J’ai une pépine, alors je l’ai défaite moi-même.

Edith Butler en 2021, année de sortie de l’album Le tour du grand bois. Photo : Laurence Labat

J’ai 125 acres de terre, alors il y a tout le temps quelque chose à faire. J’ai bâti une maison à Lise, une petite maison pour les musiciens… je n’arrête pas. J’ai fait un petit Benoit, un bonhomme à danser, pour Lisa.

Quelle est la complémentarité entre la musique et les travaux manuels?

Pour moi, c’est la même chose. Que je sois au piano, en train de construire ou de cuisiner, tout est de la création. C’est fluide.

Quelle est votre chanson préférée de votre propre répertoire?

Comme un béluga. C’est une chanson de peine d’amour. La personne dit qu’elle se sent comme un béluga. Ils sont des mammifères, comme nous. Ils vivent dans la pollution, ils attrapent des cancers, comme nous. Ils sont très proches de nous. J’aime le parallèle entre le béluga et la personne qui a une grosse peine.

C’est une chanson moins connue, car on me demande toujours de faire des choses plus rythmées, comme Paquetville.

Êtes-vous tannée de la chanter?

Non, parce que c’est mon village. Ce que je dis dedans est important. Je suis chanceuse d’avoir eu Lise pour écrire les paroles. La chanson a été écrite pour le centenaire de mon village. L’an dernier, c’était le 150e anniversaire de Paquetville, donc la chanson a eu 50 ans.

Édith Butler lors de l’événement Canada Loves New York, spectacle de solidarité organisé après les anttentas du 11 septembre 2001. Photo : CP PHOTO/Tom Hanson

Ils m’ont fait un hommage, ont nommé une petite salle à mon nom. Ils ont été vraiment gentils avec moi. Ils m’ont demandé de chanter… et j’ai eu un blanc de mémoire! Ils ne m’en ont pas voulu, ils m’ont aidée à la chanter.

On a parlé de votre chanson préférée. La mienne est aussi moins connue, Ne m’appelle plus l’Acadienne sans me dire que tu m’aimes. Qu’est-ce qu’elle évoque pour vous?

C’est tellement la vérité… Je suis tellement Acadienne. Alors, si tu me traites d’Acadienne, c’est parce que tu m’aimes. Je le prends comme un titre de princesse.

Je pense que tous les francophones du pays devraient penser comme ça. Les Franco-Ontariens devraient être fiers d’être Franco-Ontariens. Il faut porter la tête haute et avoir le courage de dire les choses, le courage de se battre. Vous autres, en Ontario, vous vous battez fort. Je vous suis. Il faut inculquer ça aux jeunes. Il faut être fiers d’être francophones. »


1942 : Naissance à Paquetville, au Nouveau-Brunswick.

1969 : Obtention de son diplôme de maîtrise en littérature et en ethnographie traditionnelle à l’Université Laval, à Québec

1970 : Représente le Canada à l’exposition universelle d’Osaka, au Japon.

1973 : Rencontre avec Lise Aubut, qui est toujours sa gérante et complice aujourd’hui.

2019 : Première artiste acadienne à être intronisée au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens pour l’ensemble de son œuvre.

2021 : Sortie de son plus récent album, Le tour du grand bois, réalisé par Lisa Leblanc

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario, au Canada et à l’étranger.