Élan de solidarité en Ontario face à la crise humanitaire qui ronge Haïti
Les Haïtiens de l’Ontario multiplient les initiatives à destination du pays caribéen en proie au manque de nourriture, d’eau potable, de biens de première nécessité et de carburant, dans un contexte de violences civiles. Trois mois après le séisme qui a fait plus de 2 200 morts et 12 000 blessés, cette aide acheminée directement contourne les organisations non gouvernementales internationales jugées moins fiables dans leur gestion des dons.
Roby Joseph s’apprête à lancer une troisième collecte de fonds depuis le tremblement de terre. Le président de Ressources haïtiennes de Sudbury tente d’entretenir l’élan de générosité né dans le Nord de l’Ontario, à la suite de la catastrophe, non sans défi.
« On a réuni 800 $ en ligne et 200 $ au restaurant dont je suis propriétaire. Les premiers dollars nous a déjà permis d’acheminer des marchandises là-bas et on voudrait aller plus loin en envoyant un conteneur rempli de matériel de santé et de construction. Mais ça coûte 10 000 $. Alors on va devoir s’associer à d’autres groupes. »
Derrière ces collectes de fonds de circonstances, M. Joseph caresse l’espoir de bâtir un fonds permanent. « On a besoin d’une organisation bien établie pour faire face à ce type d’événement, et non s’organiser à chaque fois au dernier moment, pour être efficace. On veut une organisation structurée car Haïti est sous le coup d’une nécessité constante. »
Il n’est pas le seul à venir en aide aux sinistrés. Le Franco-Torontois d’origine haïtienne Jordan Thomas a passé deux semaines dans le petit d’État des Caraïbes et compte y retourner d’ici fin décembre.
« Ça nous a permis de faire une évaluation du terrain, de rencontrer des leaders locaux et de créer les bases d’un centre communautaire qui aura plusieurs utilités, notamment médicales et de rassemblement », indique le directeur de United Boxing Club. Il décrit une cabane bâtie au centre d’une commune où près de 150 familles, privées d’eau, vivent dans des tentes.
Les zones rurales oubliées du gouvernement et des médias
« C’est une réponse familiale », dit celui qui a été touché par la catastrophe. « Mon père est né là-bas. Les médias se sont peu intéressés à cet endroit et le gouvernement a délaissé les zones rurales, dans les montagnes, qui ont été touchées par d’énormes glissements de terrain. Alors je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. »
Sa prochaine étape : aider à la reconstruction d’une école toute proche du centre communautaire. « On a établi de bons liens avec cette communauté à l’écart de la ville. Avec cette école, mon idée est de développer un programme sport-études (qui est ma spécialité) avec toute l’infrastructure autour. Pour moi, l’éducation et le sport représentent l’avenir des jeunes là-bas et on a le soutien du maire du village. »
La Fondation Sylvénie Lindor a opté de son côté pour un soutien aux femmes entrepreneures. Aucune aide alimentaire ni matérielle. Son président explique vouloir privilégier un projet de long terme qui contribue à rendre les Haïtiens autonomes.
« Apporter de la nourriture, c’est bien mais ça répond à une urgence. Or, on ne reconstruit pas un pays avec l’urgence, avec des projets de court terme », clarifie Amikley Fontaine. « Nous, on cherche plutôt à libérer les Haïtiens de l’assistanat, sur le long terme, en les aidant à lancer ou redémarrer leur petite entreprise car cela va avoir un effet multiplicateur sur l’activité économique et le recul de la pauvreté, sans dépendre des autres. »
Une équipe sur place, à Port-au-Prince et à Chambellan, près de Jérémie, à la pointe sud-ouest de l’île, a sélectionné et financé le démarrage d’entreprise de 32 femmes, avec une enveloppe globale de 2 000 $.
Défiance à l’égard des organisations humanitaires internationales
Derrière toutes ces initiatives, la même idée : apporter un appui direct et ciblé en direction de ceux qui en ont le plus besoin, sans passer par les grandes organisations non gouvernementales (ONG) de l’aide humanitaire à qui on reproche de ventiler une bonne partie des dons reçus en frais de fonctionnement.
« Je préfère les petits canaux d’aide direct parce que si on donnait des fonds à ces organisations bureaucratisées, on risquerait de voir 80% de la somme partir dans les frais de transport et d’hôtel et, finalement, presque rien ne serait acheminé aux nécessiteux », relate M. Joseph qui évite les intermédiaires inutiles. « Je compte sur moi-même et le réseau familial sur place. On m’envoie des photos des produits distribués puis, ensuite seulement, on donne l’argent. »
Même préoccupation pour M. Fontaine : « On veut que les fonds aillent directement et entièrement aux Haïtiens. Pour cela, on a une équipe sur le terrain qui cible les bénéficiaires et s’assure qu’elles en font bon usage en leur demandant de produire un rapport au bout de quelques mois », explique-t-il.
« On a essayé de faire des liens avec les grandes organisations », affirme pour sa part M. Thomas, « mais elles ne bougent pas des villes à cause des kidnappings. C’est extrême dangereux. Sans compter les détournements de fonds de la Croix-Rouge ces dix dernières années depuis le précédent tremblement de terre. Il y une grosse perte de confiance de la diaspora pour aider Haïti. Alors en créant nos propres des liens avec des micro-organismes sur le terrain, on change la dynamique ».