Élections fédérales : l’Ontario va-t-il faire pencher la balance?
Avec plus d’une trentaine de jours de campagne en vue, les firmes de sondages prédisent un gouvernement libéral, mais pour ce faire, les troupes de Justin Trudeau devront aller chercher des votes clés en Ontario. Quel sera l’impact du vote franco-ontarien? Les libéraux sont-ils en danger dans le Nord? Les néo-démocrates pourraient-ils ravir un château fort libéral dans la région d’Ottawa? ONFR+ a demandé à deux politologues leurs avis sur l’importance que pourrait avoir la province dans cette campagne électorale.
Des sondages des derniers jours de différentes firmes comme Léger et Mainstreet Research donnent alentour de 6 à 8 % d’avance à l’échelle nationale aux libéraux. Les conservateurs avec près de 30 % d’intentions de vote et le NPD autour de 20 % suivent respectivement en deuxième et troisième place. En Ontario, les chiffres reflètent le portrait national alors que le gouvernement Trudeau aurait la confiance de 40 % des Ontariens, suivi des conservateurs autour de 30 % et des troupes de Jagmeet Singh avec près de 23 %.
Pour la politologue du Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard, l’Ontario sera encore une province-clé comme elle l’avait été lors des élections de 2019.
« L’Ontario est un peu à chaque élection l’eldorado avec le Québec… Erin O’Toole n’a jamais fait secret qu’il voulait percer dans le 905 pour bâtir sur la Ford Nation et atteindre le chiffre magique pour être au pouvoir. Les libéraux, c’est la même chose (…). L’Ontario demeure toujours une province névralgique aux élections fédérales. »
De son côté, le politologue Peter Graefe note que si le NPD a de grandes attentes à l’échelle nationale, ça devra passer par des gains dans la plus grosse province canadienne.
« J’ai l’impression qu’il cherche à aller gagner un autre 25 sièges à l’échelle du Canada dont, sans doute, une douzaine en Ontario dans des endroits ciblés. Comme aux alentours de Toronto, dans la région de Brampton, Ottawa-Centre, Kanata-Carleton et peut-être un ou deux sièges dans la région de Sudbury », avance le professeur de l’Université McMaster.
« Les Franco-Ontariens se sentent peut-être un peu pris en otage par la politique fédérale », la politologue Stéphanie Chouinard
Certaines batailles entre les libéraux et le NPD pourraient se jouer dans le Nord, notamment à Sudbury et Nickel Belt où le député sortant Marc Serré pourrait jouer son siège.
« C’est certain que les circonscriptions où le vote a été divisé avec les néo-démocrates aux dernières élections seront des places à surveiller, car le NPD fait très bien dans les intentions de vote en ce moment. J’ai l’impression qu’on va voir des appels au vote stratégique de la part des libéraux. C’est-à-dire de convaincre les gens qui seraient tentés de voter pour les néo-démocrates de voter libéral pour empêcher les conservateurs de rentrer », avance Stéphanie Chouinard.
Pour cette dernière, si quelques circonscriptions à l’extérieur de Toronto comme dans le Nord pouvaient changer de couleurs, il y a plus de chances que des revirements surviennent dans la ville Reine et sa banlieue.
« Dans le Grand Toronto, on compte tellement de circonscriptions que c’est toujours un lieu de bataille. »
Plus au Sud, les chances que les libéraux perdent un siège dans les circonscriptions autour d’Ottawa et Glengarry-Prescott-Russell sont faibles. Idem pour l’Est ontarien.
« Je ne prévois pas de mouvement dans l’Est ontarien… Du côté d’Ottawa et Orléans, ça semble être assez solide : il n’y aura pas de gros changements. Je ne pense pas que Marie-France Lalonde ait besoin d’avoir peur pour son siège », souligne la politologue.
Où se situent les Franco-Ontariens?
Pour ce qui est du vote franco-ontarien, Mme Chouinard pense que les francophones sont devant un triple dilemme, notamment en raison de l’état des choses au niveau provincial avec les conservateurs.
« Je pense que les Franco-Ontariens se sentent peut-être un peu pris en otage par la politique fédérale. C’est-à-dire qu’on a eu avec le fédéral, des investissements importants, mais au terme de luttes un peu risquées. La ministre Joly a souvent politisé la question de l’Université de l’Ontario français, par exemple. Elle en a profité pour faire de la politique partisane sur le gouvernement Ford… Avec Erin O’Toole, on s’est rendu compte que la question des langues officielles était plus importante, mais que son intérêt était beaucoup plus de séduire les nationalistes québécois. Pour les néo-démocrates, sur la question des langues officielles, ils n’ont franchement pas été très forts ces deux dernières années. »
Les événements à La Laurentienne pourraient notamment être le sujet de l’élection dans Sudbury alors que la course entre le Parti libéral et le NPD s’annonce chaude avec le député libéral sortant, Paul Lefebvre, qui ne se représente pas. C’est une ancienne professeure de science politique à La Laurentienne Nadia Verrelli qui représente le camp de Jagmeet Singh alors que, côté libéral, Vivianne Lapointe, directrice de l’organisme Intégration communautaire du Grand Sudbury, cherche à remplacer M. Lefebvre.
« Les libéraux vont tenter de se battre pour garder cette circonscription-là. Ce n’est pas anodin que la ministre Joly prenne autant de place sur la scène publique et qu’elle ait voulu que la population sache que le gouvernement fédéral voulait être à la table avec la province… Ça sera une lutte à surveiller, les néo-démocrates ont déjà eu le siège de Sudbury et évidemment Mme Verrelli n’est pas une politicienne de carrière, mais elle sait comment la machine fonctionne. »
Doug Ford dans tout ça?
En 2019, le précédent chef chez les conservateurs Andrew Scheer avait refusé de faire campagne avec Doug Ford, en raison de l’impopularité de ce dernier à l’époque. Pour Peter Graefe, le portrait est différent pour M. O’Toole aujourd’hui.
« C’était un peu une décision mal choisie de la part de M. Scheer, car je ne pense pas qu’il a pu rejoindre beaucoup d’électeurs qui étaient contre M. Ford avec la campagne qu’il a eue. Pour M. O’Toole, je ne pense pas qu’il va insister beaucoup sur l’appui de M. Ford, mais il ne va pas refuser ou dire qu’il ne veut pas faire campagne avec. Je pense que M. Ford reste quelqu’un d’assez polarisant, mais il a gagné beaucoup de respect pendant la pandémie. »
Mais est-ce que ça sera possible pour le chef des bleus au fédéral d’aller chercher des appuis de la base du premier ministre ontarien?
« Oui, c’est possible, en grande partie à cause de notre système électoral. La différence entre avoir 30 % ou 36 % est la différence entre gagner un gouvernement minoritaire ou majoritaire. 6 %, c’est quand même beaucoup, mais ce n’est pas impossible de voir de tels changements durant une campagne électorale. Une différence importante entre le provincial et le fédéral est qu’on a un Parti libéral fort et organisé au niveau fédéral et qui est capable de voler des votes à la marge aux conservateurs. Tandis qu’au niveau provincial, on voit un Parti libéral faible et moins solide ce qui laisse de la place à M. Ford. »
La campagne électorale se termine le 20 septembre.