La municipalité de Rivière des Français. Archives ONFR+

NORD DE L’ONTARIO – À quelques jours du scrutin provincial, les attentes demeurent importantes du côté des petites municipalités du Nord ontarien. Infrastructures, logement, santé publique, transfert des responsabilités : des élus francophones de partout dans le Nord font part de leurs défis et de ce qu’ils attendent du prochain gouvernement ontarien.

À Rivière des Français, on veut croire que ces élections amèneront du changement et davantage d’écoute envers les petites municipalités, mais on aimerait surtout que le nouveau gouvernement prenne conscience de la particularité de leur situation.

« Quand tu refais un chemin, ça coûte aussi cher à une petite municipalité comme la nôtre que ça coûte à une municipalité avec 50 000 personnes, mais la différence c’est que nous ici, à la Rivière des Français, on a seulement 3 000 personnes alors on doit augmenter considérablement nos taxes », explique Gisèle Pageau.

Selon la mairesse de cette ville située à 1h de Sudbury, le fait de vivre dans une petite municipalité isolée ne justifie pas de ne pas être écouté par la province : « On n’a pas accès à toute la programmation des services publics à cause de notre situation géographique, mais il faut payer pour quand même, alors il n’y a pas de justice là-dedans. »

Trop de Red tape

Autre défi face auquel les petites municipalités ne sont pas équipées : la lourdeur des démarches administratives.

« C’est surtout parce qu’on est du Nord de l’Ontario et puis qu’on a une petite ville qu’on ne nous écoute pas »
— Raymond Bélanger

« Il y a tellement de rapports à rendre à la province, on est dépassés, on n’a pas de spécialiste dans tous les domaines au sein d’une très petite municipalité qui se gère avec seulement un, deux ou même trois employés à l’administration », constate Johanne Baril, mairesse de Val Rita-Harty.

Johanne Baril est mairesse de la ville de Val Rita-Harty depuis 2014. Source : X/Johanne Baril

« Je pense que nous méritons de l’attention et de l’investissement durable de la province », juge l’élue de cette petite ville de 800 âmes à 10 km de Kapuskasing.

À Mattawa, petite ville de 1800 habitants située à 1h de North Bay et à la frontière avec le Québec, le manque de logement est un lourd problème pour le maire de Mattawa.

« On a beau entendre le gouvernement nous dire que We are open for Business, qu’on veut construire des maisons, mais nous autres, ça fait deux ans qu’on essaie de le faire par tous les moyens possibles », se plaint Raymond Bélanger.

Raymond Bélanger, maire de Mattawa, est impliqué dans la municipalité depuis plus de 30 ans. Gracieuseté de Raymond Bélanger

« Le problème du red tape, je ne sais pas si c’est juste fictif, mais disons que chaque fois qu’on veut faire avancer, il y a tout le temps quelque chose qui nous fait reculer. »

Selon le maire, il faut que la province aide les petites villes à grossir et gagner en influence : « C’est surtout parce qu’on est du Nord de l’Ontario et puis qu’on a une petite ville qu’on ne nous écoute pas. Nous autres, tout ce qu’on veut, c’est d’aider le gouvernement à rejoindre son but de bâtir 1,5 million de logements pour 2030. »

Trop de pression sur les petites municipalités

« Le gouvernement ne semble pas réaliser qu’on ne peut pas continuer à prendre leurs responsabilités. La santé, c’est la responsabilité de la province. Le fédéral donne l’argent pour la santé à la province et la province est sensée de gérer ce dossier-là. »

Selon Mme Pageau, les petites villes ne sont pas non plus équipées pour faire face aux hausses des contributions à la santé et la sécurité publique depuis la fusion des municipalités de 1999 et ne sont pas non plus incluses dans les discussions.

Gisèle Pageau, mairesse de Rivière des Français. Crédit image : Archives ONFR/Rachel Crustin

Elle cite en exemple une augmentation imposée par le Service de santé publique de Sudbury, dont la ville est sous la zone de couverture, de 10% sur une année et pour laquelle une amende de 5000$ par jour serait imposée à Rivière des Français en cas de non-paiement.

« Si on enlevait ces responsabilités-là à la ville, ça nous donnerait un peu plus de 2 millions de dollars par année puis là, on pourrait réparer nos chemins qui sont une responsabilité de la municipalité », ajoute-t-elle.

Même son de cloche du côté du maire de Mattawa qui soutient que le budget de fonctionnement de la police provinciale rattaché à la ville a augmenté subitement de 29%. « J’aimerais que le gouvernement prenne les coûts de la police provinciale sur leur budget. Ce ne serait pas nouveau puisque les coûts dans le passé étaient administrés par la province avant d’être transférés aux municipalités », confie M. Bélanger.

Et d’ajouter : « On est rendus au point de non-retour, on ne peut plus absorber les coûts : soit la province nous aide soit on doit tirer les fonds de nos contribuables. »

De gauche à droite, Victor Fedeli, Ministre du Développement économique, de la Création d’emplois et du Commerce de l’Ontario, Raymond Bélanger et Paul Laperriere, trésorier de la ville de Mattawa. Source : X/Victor Fedeli

Besoin de plus de financement à long terme

À Blind River, des travaux sont nécessaires pour rénover l’usine de traitement des eaux et une somme importante est nécessaire pour trouver une autre source d’eau pour la ville.

« Il faut ouvrir les lignes de communication avec les petites villes, car on est toujours prêts à parler »
— Kaity Whitlock

Comme dans beaucoup de municipalités du Nord, les infrastructures vieillissantes deviennent un véritable fardeau sur les épaules des contribuables.

« C’est bon de donner un peu d’argent ici et là, mais ce serait bien d’avoir ça à long terme. Il faut réduire la pression sur les personnes locales qui financent déjà ces services, surtout des services de santé, de logement, des services sociaux et familiaux aussi », estime Kaity Whitlock qui ajoute que « le Nord est souvent ignoré ».

Celle qui est conseillère de cette ville située à 1h30 de Sault Ste Marie souhaite qu’il y ait plus de liens avec la province : « Il faut ouvrir les lignes de communication avec les petites villes, car on est toujours prêts à parler. »

13% de la population de Blind River a le français comme première langue officielle parlée selon les données du recensement de 2021. Crédit image : Inès Rebei

Inaction gouvernementale devant l’urgence

Dans le nord-ouest, à Terrace Bay, le projet de rachat de l’usine de pâte à papier – laquelle est fermée depuis janvier 2024 – demeure une priorité pour la municipalité de 1500 habitants. À ce jour, le dossier reste au point mort, malgré une promesse du gouvernement provincial d’aider à trouver un acheteur pour l’entreprise qui employait 400 employés et qui avait généré près de 1900 emplois secondaires.

Toutefois, selon Chris Dube, encore faut-il un coup de pouce du gouvernement pour faire face à la pénurie de personnels de la santé qui touche une grande partie des petites municipalités.

« Il faut que le nouveau gouvernement accompagne le potentiel acheteur. Nous devons maintenir un certain niveau de vie pour que la ville subsiste et on ne pourra pas y arriver sans le soutien du provincial », lance le conseiller municipal qui craint de voir la ville située à 2h30 de Thunder Bay se transformer en village fantôme.

Chris Dube est aussi enseignant à Terrace Bay. Source : X de Patty Hadju

Il cite notamment le frein important que constitue l’absence d’un service de garderie dans la municipalité et dans celles avoisinantes.

« On n’a rien ici et c’est très important pour de potentiels médecins, enseignants ou autre d’avoir un système qui permet de garder leurs enfants à 10$ par jour. Comment peut-on recruter des professionnels si on n’a pas de structure de garderie pour leur permettre de travailler? », se désole-t-il.

Le danger sur les routes du Nord

Un autre dossier brûlant pour l’ensemble du Nord : la sécurité routière. Là encore, les demandes se font de plus en plus entendre, sans succès.

« Si on continue de voter pour un parti qui est à l’opposition nous allons continuer à nous plaindre jusqu’à ce que les poules aient des dents »
— Johanne Baril

Mme Baril, de Val Rita-Harty, alerte sur les accidents quotidiens et des véhicules deux fois plus nombreux sur les petites routes de la route 11, mais aussi le manque d’expérience de certains conducteurs.

« Il y a une pénurie de conducteurs, alors il y a de nouveaux arrivants qui se font donner des clés de transport. Avec peu d’expérience, on n’a jamais voyagé sur des routes enneigées, ainsi que la suite. On n’a même jamais conduit des camions lourds, et on voit les résultats de ça. »

Celle qui a joué un rôle clé dans la création du Groupe de travail pour les transports dans le Nord de l’Ontario attend toujours des nouvelles d’un rapport que celui-ci a déposé en 2023 à la province et qui contenait des recommandations telles que l’élargissement de certaines routes, l’amélioration des aires de repos et le renforcement de la formation des conducteurs.

« Pour voir des améliorations sur le corridor de la route 11, il faut voter pour le parti qui tient le portefeuille malgré tous les efforts de M. Bourgoin. Si on continue de voter pour un parti qui est à l’opposition, nous allons continuer à nous plaindre jusqu’à ce que les poules aient des dents », finit-elle.