Emma Ouellet. Gracieuseté Ballet national du Canada

TORONTO – Ça ne fait que deux ans que la ballerine Emma Ouellet a rejoint le corps de ballet du Ballet national du Canada. En si peu de temps, cette jeune danseuse a réalisé des prouesses impressionnantes. Ayant grandi en regardant les productions de la compagnie, la Franco-Ontarienne voit aujourd’hui ses rêves se concrétiser alors qu’elle se retrouve sur scène, aux côtés des mêmes personnes qu’elle a toujours admirées.

Vous êtes née à London en Ontario. Parlez-nous un peu de vos origines. Quel est votre rapport avec la francophonie?

Mon père est un Acadien né à Bathurst, au Nouveau-Brunswick. Quand mes parents se sont rencontrés, ils ont déménagé à London. Quand j’étais petite, ma mère me parlait seulement en anglais et mon père me parlait principalement en français.

C’est un aspect de notre famille qui reste toujours très important. Je souhaite rester bilingue pour le reste de ma vie, mais je dois travailler plus fort pour continuer de l’être, surtout maintenant que je ne suis plus à la maison.

Vous dansez depuis que vous avez trois ans. Qu’est-ce qui vous a poussée vers le ballet?

Ça s’est passé de façon naturelle et assez rapide. Ma mère m’avait inscrite dans des cours de danse à l’âge de trois ans parce que j’étais une girly girl qui aimait les costumes. Mais ça n’a pas été long avant que je tombe en amour avec la danse.

Je ne crois pas avoir envisagé de faire quelque chose d’autre. Ça a toujours été ma décision de rester. Je n’ai jamais senti la pression de mes parents.

Même si ça reste une discipline difficile, je veux faire ça pour le reste de ma vie. Maintenant que j’y réfléchis, c’est vraiment difficile de penser à un monde dans lequel la danse et le ballet n’existeraient pas pour moi.

Au-delà de sa beauté, le ballet est incroyablement exigeant mentalement et physiquement. Comment gérez-vous la pression de la performance qui accompagne souvent cette carrière?

Ça m’a pris beaucoup d’années pour comprendre quoi faire pour gérer le stress de la performance et savoir ce qui fonctionne pour moi. Je pense que la maturité et l’expérience aident beaucoup, mais c’est sûr que je rencontre encore des danseurs aujourd’hui qui ont des difficultés à gérer leur stress.

C’est une forme d’art qui te pousse à atteindre la perfection, mais il faut trouver un équilibre entre la perfection et le respect de soi-même. Je pense que nous devons reconnaître autant le chemin que la performance. Quand j’ai découvert cette façon de voir les choses, c’était un moment lumineux pour moi. En faisant partie d’une compagnie qui réalise tellement de productions, tu apprends très vite que certaines performances vont mieux aller que d’autres. Quand j’ai réalisé que la perfection n’existait pas, je me suis enfin libérée de ce poids.

Emma Ouellet pendant un entrainement au Ballet national du Canada. Gracieuseté

À quoi ressemble une journée typique pour vous?

Nous commençons la journée par une rencontre avec toute la compagnie chaque jour, à 9 h 30. C’est vraiment important pour que je puisse me préparer aux répétitions. C’est un moment pour travailler sur les choses que j’essaie d’améliorer. Après ça, nous avons six heures de répétitions. Cela peut varier en fonction de la période mais, en général, nous dédions les matinées et les après-midis aux répétitions, surtout quand la nouvelle saison approche. Durant la période des spectacles, nous commençons nos journées un peu plus tard avec deux ou trois heures de répétitions qui s’enchaînent après le déjeuner et le souper.

Nos spectacles commencent généralement à 19 h et nous terminons vers 22 h ou 23 h. La période des spectacles, c’est mon temps préféré de l’année. Il y a une magie dans l’air après les spectacles. La joie est palpable parmi nous. C’est ce qui me rend la plus heureuse en tant que danseuse.

Vers qui vous tournez-vous lors de vos moments difficiles et de vos moments de succès?

C’est ma famille qui est mon roc, mon plus grand soutien, surtout ma mère. Nous avons une relation tellement spéciale. Elle a été là pour moi depuis le début et, comme le ballet est une grande partie de ma vie, je pense qu’elle a voulu elle aussi faire partie de cela. Je me sens tellement chanceuse d’avoir quelqu’un d’aussi dévouée qu’elle.

J’ai aussi un très bon groupe d’amis dans la compagnie de danse. C’est tellement facile de se confier à eux parce que nous vivons essentiellement la même vie.

Quelles ont été vos inspirations tout au long de votre parcours en tant que danseuse?

Comme j’ai grandi à London, c’était très facile pour moi de me rendre à Toronto pour voir les spectacles, donc ça fait longtemps que je regarde les ballets du Ballet national du Canada. Je pense qu’en général, cette compagnie a toujours été une source d’inspiration pour moi.

Il y avait certaines danseuses de l’époque qui m’inspiraient beaucoup, comme Heather Ogden et Greta Hodgkinson. Ces deux femmes étaient juste incroyables. Quand je les regardais danser, je me disais OK, je veux devenir comme elles un jour’. Et c’est fou car, aujourd’hui, je me retrouve de l’autre côté du rideau, avec ces femmes. D’ailleurs, Greta Hodgkinson est aujourd’hui ma mentore. C’est un honneur d’être en sa présence chaque jour.

On sait évidemment que ce genre de danse vous apprend la discipline et la rigueur. Qu’est-ce que le ballet vous apporte d’autre dans votre vie de tous les jours?

Ça m’a appris la résilience. Ça m’a aidé à surmonter des défis qui m’ont permis d’être une meilleure personne et une meilleure danseuse. Ça m’a permis de devenir une personne plus confiante, avec plus d’assurance. Ça m’a aussi appris l’importance de la passion. J’ai pris conscience de ce qui fait vibrer mon cœur et je veux faire ce qui me procure de la joie.

Je veux tout faire passionnément, que ce soit lorsque je danse, lorsque je suis entre amis ou lorsque je voyage.

Il est très facile de se laisser submerger par la négativité. Je crois que le ballet, contrairement à ce que beaucoup pensent, permet de découvrir la beauté au cœur de l’adversité.

Quelles sont, à votre avis, les idées préconçues sur la danse classique et les danseurs de ballet?

Il y a cette idée que nous sommes des personnes fragiles et très minces.

C’est vrai qu’historiquement, il y avait une esthétique corporelle idéale dans le ballet, mais ça a beaucoup évolué. Aujourd’hui, les compagnies veulent des danseurs forts qui sont fiers de leur corps. Cette esthétique du passé, ce n’est plus vraiment actuel. Je suis très fière de faire partie d’une forme d’art qui a su évoluer pour devenir plus inclusive. Nous sommes des artistes, mais nous sommes aussi des athlètes. Donc, quand quelqu’un me dit :Tu dois être vraiment mince pour faire ce genre de danse’, je lui réponds : ‘Non, en fait. Tu as juste besoin d’être fort.  Et on travaille pour être fort, tous les danseurs font plusieurs formes d’entraînement-croisé pour qu’on puisse accomplir plus en tant que danseur.

Une autre chose que je constate, c’est que les gens nous voient comme des personnes qui ne sont pas heureuses. C’est vrai que le ballet est difficile, mais nous le faisons parce que nous sommes amoureux de cette forme d’art.

Emma Ouellet pratique le ballet depuis l’âge de trois ans. Gracieuseté du Ballet national du Canada

La saison dernière, vous avez fait partie de la première mondiale d’Emma Bovary aux côtés de la chorégraphe Helen Pickett. Comment s’est déroulée cette expérience?

C’était vraiment une belle expérience. J’adore travailler sur de nouvelles créations. C’était la première fois que je travaillais avec Helen Pickett. Elle a un style de mouvement tellement unique et, comme l’œuvre est ancrée dans l’histoire et la dramaturgie, j’ai pu voir comment on peut développer un personnage. Même les plus petits mouvements peuvent dire tellement dans une histoire de ballet.

La nouvelle saison débute le 6 mars avec Alice au pays des merveilles. Vous allez y jouer plusieurs rôles. Comment vous sentez-vous?

J’ai super hâte. La musique est iconique, la chorégraphie est tellement gratifiante et les costumes sont tellement amusants! Je joue le rôle du loir, un rôle théâtral pour moi. C’est un personnage mignon et drôle, donc j’ai hâte de le faire vivre sur scène. Je joue aussi le rôle de la fleur et de la carte, qui sont des rôles de corps de ballet.

Comme nouvelle membre du corps de ballet, ces rôles signifient beaucoup pour moi, car ils font partie d’une histoire que je regarde depuis que je suis toute petite. C’est très rassurant pour moi. Ça me dit que j’ai réussi quelque part. Dans le corps de ballet, tu as tendance à attendre ton tour et tes rôles sont plus petits, mais le chorégraphe Christopher Wheeldon a un don pour donner de l’importance à tous les rôles, peu importe ton rang dans la compagnie.

Emma Ouellet. Gracieuseté Ballet national du Canada

Vous n’avez que 21 ans. Comment voyez-vous votre évolution au sein du corps de ballet?

J’essaie juste de faire de mon mieux pour pouvoir éventuellement prouver que je peux aller plus loin que le corps. Ce sont de gros rêves. Je ne cherche pas particulièrement le gros titre de première danseuse, mais plutôt la chance de pouvoir danser des rôles ayant plus d’impact.

Quel est le meilleur conseil que l’on vous ait donné?

Faites-le pour vous-même.

Vous avez commencé un groupe hebdomadaire intitulé French Fridays. De quoi s’agit-il exactement?

Nous sommes à peu près six francophones dans la compagnie. Tous les vendredis, nous nous efforçons de parler seulement en français entre nous. Nous avons pris l’initiative de commencer ce groupe pour pouvoir parler en français dans un environnement majoritairement anglophone.

Ma francophonie fait partie de mon identité, donc c’est une initiative assez amusante qui me tient beaucoup à cœur. Si jamais il y a d’autres francophones qui se joignent à la compagnie, ils sont les bienvenus.

Comment espérez-vous intégrer davantage la langue française dans votre parcours de danseuse?

Déjà, de faire une entrevue comme ça, c’est super unique pour moi. J’aimerais continuer à être une représentante de la communauté francophone du ballet et des arts au Canada. Je pense que ma francophonie est une passerelle qui m’emmènera vers quelque chose de très unique.

Et maintenant pour la fameuse question : Où vous voyez-vous dans 5 ans?

Dans cinq ans, j’aimerais me retrouver encore ici, à danser, heureuse, tous les jours. J’espère pouvoir avancer dans les rangs de la compagnie et, peut-être, partager mon talent artistique. Mais avant tout, j’espère tout simplement être heureuse et continuer de danser le plus souvent possible.  »


2003 : Naissance à London, en Ontario, d’un père francophone et d’une mère anglophone

2020 : Acceptée au Programme d’apprentissage RBC du Ballet national du Canada

2022 : Promue au corps de ballet du Ballet national du Canada

2022 : Récipiendaire du RBC Emerging Artist Award

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.