Énoncé économique : les francophones épargnés par Doug Ford
TORONTO – Le nouveau « jeudi noir » de l’Ontario français n’aura pas lieu en 2019. À la différence de l’an dernier, marqué par des compressions dans les services en français, l’exercice annuel de l’énoncé économique provincial n’a pas réservé de grosses surprises pour les Franco-Ontariens.
Traditionnellement durant l’automne et destiné à publier une mise à jour des comptes de dépenses provinciaux, l’énoncé économique, rendu public ce mercredi après-midi avec le discours du ministre des Finances, Rod Phillips, comporte même quelques mentions pour les Franco-Ontariens.
Il s’agit bien sûr de réchauffé, mais le document d’une centaine de pages mentionne que le gouvernement ontarien « aide les communautés francophones de la province à promouvoir leur culture et à faire fructifier leurs entreprises et encourage un engagement communautaire accru ».
L’équipe de Doug Ford rappelle le protocole d’entente sur l’Université de l’Ontario français (UOF) signé avec le gouvernement fédéral, début septembre. Un accord qui, comme le souligne le document, doit faire que l’Ontario paiera la moitié de la facture à partir de 2022.
Autre rappel souligné : le Programme d’appui à la francophonie ontarienne (PAFO) pour lequel le gouvernement a ajouté « une composante de développement économique et de création d’emplois ». Même si le document ne le mentionne pas clairement, c’est à priori 1 million de dollars qui devrait être alloués pour ce programme.
Une information bel et bien confirmée par la ministre des Affaires francophones, Caroline Muloney, au micro d’ONFR+, peu après le dépôt de l’énoncé. « Le PAFO est toujours d’un million de dollars ».
Par ailleurs, le ministère des Affaires francophones voit son budget inchangé ou presque. Le gouvernement prévoit pour le bureau de Caroline Mulroney 5,8 millions de dollars pour 2019-2020, l’équivalent de 200 000 $ en moins par rapport aux chiffres révisés de l’année dernière. L’information était certes déjà présente dans le dépôt du dernier budget, en avril.
Enfin, le gouvernement s’engage à « continuer d’investir dans les initiatives culturelles et communautaires locales » concernant les Franco-Ontariens sans en préciser le contenu.
Pas de retour à l’indépendance du Commissariat
Le document dévoilé par le gouvernement marque en somme une stagnation pour les francophones. Il éteint en revanche les espoirs de ceux qui espéraient une mention du Commissariat aux services en français. L’énoncé économique ne fait état aucunement d’un retour à une indépendance de ce même bureau.
Il y a quelques jours, les membres présents au congrès de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), à Sudbury, avaient relancé la revendication d’une indépendance du commissaire incluse dans une version modernisée de la Loi sur les services en français (LSF).
Peu après le discours de Rod Phillips, l’AFO reconnaissait toutefois pousser un ouf de soulagement. « Le gouvernement progressiste-conservateur a compris la communauté franco-ontarienne et que c’était important de travailler avec notre communauté pour faire avancer nos différents dossiers », laissait entendre le président Carol Jolin.
Aurait-il aimé voir une mention d’un retour à l’indépendance du Commissariat aux services en français? « C’est certain que ça aurait été le fun d’avoir une mention, mais on va travailler sur ce document-là à partir de la refonte de la Loi sur les services en français. »
Comme à son habitude, Mme Mulroney s’est montrée prudente lorsqu’interrogée sur le dossier. « L’AFO sera présente les 18 et 19 novembre à Queen’s Park et on aura à ce moment la chance de se rencontrer. »
Parmi les autres réactions francophones : celle de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO). « Je pense qu’il n’y a pas grand-chose de nouveau pour les Franco-Ontariens », résume le président Rémi Sabourin.
« Ce qui me fait peur, c’est la crédibilité du gouvernement par rapport au déficit. On parlait de 15 milliards, on est descendu à 7,4 milliards de dollars avec le Bureau de la responsabilité financière, aujourd’hui on nous parle de 9 milliards, donc on joue beaucoup avec les chiffres, et je pense que c’est au détriment de l’Ontario. »
Le point de vue est plus nuancé pour le Conseil de la coopération de l’Ontario (CCO). Son directeur général Julien Geremie l’illustre.
« Il n’y a rien de nouveau, mais l’orientation économique est intéressante. La francophonie n’est pas folklorisée, mais liée au développement économique. C’est bien de s’en tenir là, ça nous laisse de la marge de manœuvre pour discuter avec le gouvernement. On va continuer nos discussions franches et ouvertes avec le gouvernement pour avancer sur nos projets. »
Réactions politiques
En dehors de la maison progressiste-conservatrice, l’énoncé économique n’a guère convaincu les députés des autres partis. À commencer par l’élue indépendante Amanda Simard, la plus sévère sur le contenu du document.
« On ne devrait pas être dans la position où l’on est en ce moment à sauver nos acquis, mais on devrait être en train de progresser. On ne voit rien sur la modernisation de la Loi sur les services en français et rien sur d’autres services en français. »
La députée de Glengarry-Prescott-Russell prévient : « Pour les coupures, on ne le sait pas, on a rien d’officiel. C’est sûr que le ministre ne va pas se vanter d’autres coupures dans la chambre, mais on attend de voir dans le document s’il y a d’autres informations. »
Sur le retour à l’indépendance du Commissariat aux services en français, Mme Simard avoue avoir « espéré » la présence d’une mention.
En conférence de presse peu après le dépôt de l’énoncé, le chef intérimaire du Part libéral, John Fraser, a aussi évoqué cette indépendance. Dans un français difficile, il a simplement laissé entendre que « les priorités n’ont pas changé » sur le dossier du retour à l’indépendance.
« On a besoin de créer des opportunités pour que les gens viennent ici. C’est pourquoi l’université est si importante. Pour consolider des projets comme cela pour les francophones, on a besoin d’investissements et de plus de détails sur comment on construit ça », a-t-il précisé en anglais.
À noter que le Parti libéral ne possède toujours pas de porte-parole aux Affaires francophones depuis les démissions des députées Nathalie Des Rosiers et Marie-France Lalonde.
Enfin, pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), l’énoncé économique « n’a rien à offrir » sur les enjeux franco-ontariens. « Les priorités des Franco-Ontariens ne sont pas représentées », a asséné la députée Monique Taylor en chambre en réponse à Rod Phillips.
Article écrit en collaboration avec Rudy Chabannes.