Le secteur privé devra sortir le chéquier pour ses employés francophones
Les exigences linguistiques du gouvernement fédéral dans les régions francophones du Canada et prévues dans la modernisation de la Loi sur les langues officielles coûteront 240 $ millions aux entreprises fédérales du secteur privé. Si cette directive est claire, il en est tout autre pour Ottawa qui semble ignorer combien il devra dépenser son 16 millions de dollars qu’il a pourtant réservé précisément pour cette loi.
Dans son projet de loi C-13, le gouvernement Trudeau a un décret garantissant des droits et des obligations concernant l’usage du français en tant que langue de service et travail relativement aux entreprises privées de compétence fédérale dans les régions désignées francophones et au Québec. Le décret doit premièrement entrer au Québec et sera appliqué dans les régions à haute densité francophone hors du Québec deux ans après la Belle Province. Les régions en question restent toujours à déterminer. Au total ce sont près de 822 139 employés du privé qui seront affectés.
« Ces coûts seront principalement dus à la formation linguistique et au versement aux gestionnaires de primes salariales au bilinguisme dans les régions situées en dehors du Québec désignées comme étant bilingues », écrit Yves Giroux dans son rapport.
« C’est très rare, c’est probablement une des premières fois où on nous sert ce genre d’arguments »
Yves Giroux sur le fait que des ministères refusent de divulguer les dépenses de C-13.
Le directeur parlementaire du budget (DPB), une entité indépendante, évalue que cela coûtera 240 $ millions dès le départ et 20$ millions pour chaque année subséquente.
« On s’est basé sur des données qui existent déjà sur ce que le commissaire aux langues officielles et les ministères fédéraux dépensent pour s’assurer du respect des obligations linguistiques où ça s’applique déjà, par exemple dans la fonction publique et dans le secteur privé qui est déjà assujetti à ces exigences-là comme Air Canada qui génère beaucoup de plaintes », explique Yves Giroux en entrevue.
Pour l’Ontario, le DPB a notamment pris en compte dans son rapport certaines régions désignées comme Prescott-Russell, Sudbury et Cochrane (Hearst, Kapuskasing, Timmins).
Le fédéral cachotier
Dans son dernier énoncé économique, le gouvernement fédéral s’est réservé 16 millions de dollars pour les coûts de mise en œuvre initiaux de ce projet de loi en 2022-2023. Mais voilà que les différents ministères impliqués ne veulent pas donner au bureau de l’organisme indépendant la façon dont l’argent sera déployé, car « cette information n’a pas été rendue publique ».
« C’est très rare, c’est probablement une des premières fois où on nous sert ce genre d’arguments. C’est la raison pour laquelle on le mentionne dans le rapport, car c’est très rare. Quand les données n’existent pas, ils nous disent que ça n’existe pas ou « on les a, mais on ne peut pas les divulguer ». »
Pour Yves Giroux, on peut supposer que le gouvernement a annoncé ce montant sachant qu’il ne sait pas à quoi il va servir.
« Étant donné que le Commissariat aux langues officielles nous a dit qu’eux, ne savaient pas encore la proportion du 16 millions de dollars qu’il leur est alloué, ça suggère que les autres ministères ne le savent pas non plus. Plutôt que de dire « on ne le sait pas », ils nous ont dit que ce n’est pas disponible au public. »
Mais le gouvernement se défend en disant que le 16 millions provient d’une évaluation préliminaire et que celle finale sera faite après l’adoption de C-13. Les coûts ne sont pas fixes, plaide-t-on.
« Le projet de loi C-13 suit actuellement son cours devant le Parlement et il est coutume d’attendre la sanction royale avant de rédiger tout règlement connexe », a indiqué Marianne Blondin, l’attachée de presse de la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor.
Pour l’opposition officielle, c’est une preuve que le gouvernement a mis un chiffre sans toutefois savoir comment le dépenser.
« C’est complètement inacceptable, dénonce le critique en langues officielles député Joël Godin. C’est de l’improvisation totale, mais c’est à l’image du gouvernement dans les langues officielles… C’est peut-être même un outrage au travail du directeur parlementaire du budget ».
Pour le Bloc Québécois, ce 16 millions de dollars est un « exemple emblématique des libéraux, que les actions ne suivent pas les paroles ».
« On se demande s’ils savent à quoi il va servir. Il y a un manque de volonté et de transparence… Peut-être, qu’ils ne veuillent pas le dire, mais honnêtement, ça fait dur. C’est comme s’il nous demande un chèque en blanc pour une fois que la loi sera adoptée », déplore le porte-parole du parti en Langues officielles Mario Beaulieu.
Plus tôt cette semaine, le projet de loi a franchi la seconde lecture. Il est maintenant au comité des Langues officielles qui doit l’étudier. Idem au Sénat où le comité sénatorial des Langues officielles a adopté une motion pour faire une pré-étude sur la mouture du gouvernement Trudeau.